Syrie. Les années des cerises.

NDLR. Le journaliste Said Hilal Alcharifi  nous écrit de Syrie.

Un demi-siècle après. Des images de l'époque d'une certaine Syrie restent indemnes dans ma mémoire.

Enfants, nous attendions impatiemment la veille de la fête, beaucoup plus que la fête elle même,  pour nous enfoncer parmi la grande foule, dans les souks abondamment éclairés des couleurs d'arc-en-ciel,  truffés de toute sorte de pâtisseries,  de jouets, de pétards, et grouillant de jeunes filles belles et envoutantes qui profitaient, elles aussi de l'occasion, pour sentir de près, pour la première fois, l'odeur piquante de  la sueur  d'un jeune «  male », ardent et entreprenant.

J'ai cherché vainement cette lueur dans les visages et les yeux des gens la veille de la dernière fête passée il y a quelques mois dans les rues de Damas, qui, vivant une explosion démographique commence véritablement à perdre, petit à petit les siens, sans pour autant reconnaitre les nouveaux venants.

L'attente chez Roland Barthes dans "fragments d'un discours amoureux" ressemble à une " tumulte d'angoisse" et "elle a ses moments mornes".

C'est cette attente confuse, aux regards apeurés et éteints des gens qui font un "Picasso" dans ses moments les plus déments.

Ce sont bientôt cinq années de peur, de terreur, de nuits blanches dans l'attente expectative d'une sérénité perdue. Il ne se passe pas un jour sans, surtout en pleine nuit et dans l’obscurité totale des villes, de tomber affolé de son lit, particulièrement depuis les bombardements russes autour de la capitale. Du mois d’octobre jusqu’au réveillon du nouvel an ce fit l’apocalypse. Les missiles et les bombes lancés sur les cantons rebelles autour de Damas faisaient trembler le sol sous nos pieds dans un espace de 50 km.

Une balle tirée d’un pistolet par un extrémiste sur le pont de Sarajevo en 1914 fut suffisante pour déclencher la première guerre mondiale. Une petite intrusion des troupes du mégalomane turque serait aussi suffisante pour déclencher une troisième et probablement une dernière guerre mondiale qui éraflera certainement des continents de la carte.

A Damas et ses environs, les populations, autochtones ou migrantes, partagent le même vœu : sortir de ce bourbier et reprendre la vie.

Ce flux ahurissant des migrants enfonçant les frontières de l'Europe, se reproduit depuis des années de la même manière à l'intérieur de la Syrie, chaque fois que les groupes armés attaquent une nouvelle ville. La dernière en date fut la nymphe du désert, Palmyre.

On disait qu'environ vingt mille âmes, avaient fuit la ville millénaire sous les ailes de la nuit, pour se couvrir à Damas, dont un grand nombre réside encore dans les écoles publiques et les centres d'hébergement offerts par l’État à tous les sans abris.

Tragédie d'un peuple ?

Le mot est ratatiné.

Après cinq années d'embargo total, des sanctions économiques, financières et pétrolières que la Syrie n'a jamais connues de son histoire, ont eu un impact dévastateur sur les populations civiles, loyalistes comme opposantes,  à commencer par le manque de médicaments,  la carence des dérivées pétrolières, le programme de rationnement de l'électricité le plus dur dans la capitale et ses environs en raison du sabotage systématique par daech du gazoduc qui alimente les centrales électriques du sud du pays,  sans oublier la chute spectaculaire de la valeur de la monnaie nationale, et l’effondrement total du pouvoir d’achat du simple citoyen.

Les ressources pécuniaires des familles sont minimes. Les sanctions financières imposées unilatéralement par les EU et leurs alliés,  et en dehors de l’ONU, n'ont jamais troublé l'action du gouvernement pour traiter ses opérations commerciales les plus nécessiteuses en seconde main, bénéficiant des expériences de l’allié iranien, champion dans ce domaine. Mais par contre, ces dites sanctions ont privé les pauvres familles, qui ont tout perdu, de recevoir des aides financières envoyées par des proches ou des éventuels donateurs, via les banques qui prélèvent des commissions raisonnables, pour le compte du seul bénéficiaire : la fameuse « Western Union » qui a le monopole des virements bancaires vers la Syrie et qui se fait des fortunes sur le dos des ces pauvres gens, vu les commissions exorbitants appliqués.

Les cerisiers efflorent de nouveau dans les campagnes du nord-est. L’espoir d’un nouveau cycle de la vie se dessine sur des brumes printanières.

Said Hilal Alcharifi, journaliste syrien, 9 février 2016

 

5 commentaires

  1. Posté par Gégé le

    Merci Said. Article émouvant, magnifique. Donne nous d’autres articles encore. On a soif de vérité.

  2. Posté par Jose Goncalves le

    Merci Said belle pièce, c’est vrai qu’il va falloir un nouveau départ, mais, que ça laisse des plaies, ça, c’est sur. La fin s’approche et la Syrie sera toujours la Syrie!

  3. Posté par Aline le

    Magnifique article de mon ami Said ! Merci à vous de l’avoir publié. Et je vous encourage à le faire encore afin de permettre à notre pays de connaître la réalité de la Syrie et non pas de s’abreuver aux lignes embrumées des journaux aux bottes de la manipumédiatisation.

  4. Posté par Dorleans le

    Excellent article qui force l’admiration de son auteur. Merci Said. On t’aime.

  5. Posté par Soyeux jean jacques le

    Respect à ce journaliste

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