Blocher et le coup d’État silencieux

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

Vendredi soir l'UDC organisait sa 28e séance de l'Albisgütli. Pareille grande réunion du premier parti politique suisse ne suscite au mieux qu'un désintérêt poli de la part des médias, rapporté dans un simple entrefilet dans la presse. Ce n'était toutefois pas le cas cette année, chacun attendant au tournant Christoph Blocher après l'annonce de son retrait de la vice-présidence de l'UDC. Les journalistes salivaient donc à l'idée d'un discours d'adieu, de l'abandon de la vie publique... Les débuts d'année sont toujours riches en vœux!

C'est un Christoph Blocher combatif et plein de verve qui vint à la tribune. Lorsqu'il annonça "Je n’ai pas quitté la vice-présidence pour arrêter le combat, mais pour le commencer," tous les espoirs de faire l'éloge funèbre de la vie politique de cette figure historique suisse se dissipèrent en un instant. Encore raté!

Son discours durant un peu plus d'une heure, il aborda d'autres question que son non-retrait de la vie politique helvétique. Les médias étaient sur place, ainsi que le président de la Confédératon M. Schneider-Ammann et 1'300 invités et délégués de l'UDC, il était difficile de le passer sous silence. Les médias romands tentèrent notamment d'en rendre compte à travers un article de 24heures. Quant à la RTS, pour avoir un vague compte-rendu il fallut attendre le lendemain où un reportage se contenta de tourner en ridicule les propos tenus la veille.

Alain Rebetez, qu'on avait connu plus inspiré, expédia le propos en une phrase: "la volonté du peuple n'est plus respectée en Suisse, on assiste à un coup d'état silencieux et à l'établissement d'une dictature", avant de passer sans transition à la réunion PLR du lendemain où, face à un public conquis, un M. Schneider-Ammann placide put tourner en dérision les propos entendus la veille.

Le grand public en est-il vraiment quitte pour une franche rigolade? Est-il réellement dupe? Peut-on balayer comme une simple anecdote une discussion aussi cruciale sur le fonctionnement du pays, tenue publiquement par un ancien conseiller fédéral?

Alors que les citoyens helvétiques s'apprêtent à voter le 28 février pour l'initiative de mise en œuvre du renvoi des criminels étrangers - un texte visant à forcer le Parlement et le Conseil Fédéral à appliquer réellement une volonté populaire clairement exprimée six ans plus tôt! - il est difficile de prétendre que M. Blocher soit complètement hors sujet. Et, histoire de partir d'une définition:

Un coup d'État est un renversement du pouvoir par une personne investie d'une autorité, de façon illégale et souvent brutale. On le distingue d'une révolution en ce que celle-ci est populaire. Le putsch est un coup d'État réalisé par la force des armes.

Le coup d'État silencieux existe bel et bien ; il suffit d'obtenir le pouvoir et ensuite abuser de sa position, sans forcément exercer de violence visible.

Il y aura bien entendu une bonne partie de la population complètement d'accord avec l'idée de limiter les droits populaires d'une façon ou d'une autre, que ce soit en rendant leur exercice plus difficile, en subordonnant la Constitution aux jugements de la Cour Européenne de Bruxelles, ou simplement en décrétant que tel ou tel texte d'initiative validé par le peuple n'obéit pas à un vague "droit international", dont il n'existe nulle formulation, avant de jeter le tout à la poubelle. Pratique.

Il y a une quinzaine d'années, seules quelques voies solitaires tenaient des propositions aussi iconoclastes. Elles gagnent progressivement en force aujourd'hui. Il faut bien l'admettre, la seule chose qui ait changé entre-temps est le succès régulier de l'UDC en votation. On peut donc dire objectivement que certains n'hésiteraient pas à détruire le mécanisme de la démocratie directe juste pour contrecarrer leurs adversaires politiques - bien que peu d'entre eux osent avouer ces objectifs aussi ouvertement.

Parfaitement défendable dans le cadre d'une discussion, cette démarche reste selon moi profondément anti-suisse dans le sens où elle s'inscrit en opposition directe à tous les principes fondateurs de ce pays tels qu’égrenés dans son histoire et l'article 2 de sa Constitution: "La Confédération suisse protège la liberté et les droits du peuple et elle assure l'indépendance et la sécurité du pays." Changer constitutionnellement les droits du peuple pour les limiter revient en définitive à demander à la Constitution de se saborder elle-même.

Pour le plus grand malheur de nos journalistes superficiels, le discours de M. Blocher lors de l'assemblée de l'Albisgütli est entièrement disponible en ligne et en français. Chacun peut donc juger sur pièce les propos tenus, et les nombreux exemples que cite M. Blocher lorsqu'il parle de coup d'état silencieux - l'accord-cadre avec l'Union Européenne, le refus d'appliquer l'initiative sur l'immigration de masse, le rejet du renvoi des criminels étrangers sur lequel le peuple sera amené à redonner son point de vue le 28 février.

M. Blocher explique que la Suisse est bien davantage menacée par des forces intérieures que par des forces extérieures ; notamment la propension de la classe politique à s'affranchir de ce peuple revêche qui refuse de reconnaître sa supériorité immanente. Je m'étais déjà exprimé précisément sur le même sujet il y a un an et demi lorsque je voyais l'avenir de la démocratie directe s'assombrir et les chemins que prenaient ces affaiblissements. L'ancien conseiller fédéral ne lit probablement pas mes textes mais a simplement fait de son côté la même observation que moi et de bien d'autres: le régime helvétique de la démocratie directe est menacé, à tel point que, pour reprendre des termes médicaux, son "pronostic vital est engagé".

Le vote citoyen appartient-il au folklore, une vieille tradition désormais vide de sens? La démocratie directe - que tant de peuples européens nous envient en ces heures sombres - est-elle une singularité dont la classe politique doit débarrasser le pays pour le plus grand bien de la population, et sans lui demander son avis? Nous aurons, très vite, des réponses à ces questions ; lorsque nous voterons sur l’initiative de mise en œuvre par exemple, ou sur celle sur l'autodétermination décrétant une bonne fois pour toute que la Constitution n'a pas à se plier à des traités internationaux, mais au contraire que ces derniers doivent être renégociés en cas d'incompatibilité.

Mieux que le résultat des votes populaires, c'est le comportement des élites médiatico-politiques face aux résultats que chacun devra suivre... Et il se pourrait avant peu que le coup d'État silencieux dénoncé par M. Blocher ne soit plus aussi silencieux que cela.

Stéphane Montabert - Sur le Web et sur Lesobservateurs.ch, 18 janvier 2016

8 commentaires

  1. Posté par Myrisa Jones le

    Le passage du discours de M.Blocher sur les juges et les juges étrangers est à relire.

    Pourquoi la Suisse doit-elle également refuser de se soumettre aux juges de la CEDH?
    Parce que c’est juste une instance européenne de plus qui est corrompue.
    La démonstration est faite dans cet article qui parle du secret entourant une des plaintes d’une victime de l’attentat du vol MH17 au-dessus de l’Ukraine et de la manière dont cette plainte est en fait ignorée et cachée malgré sa légalité au nom d’intérêts purement politique.

    On y découvre notamment que la nomination de certains « juges » ukrainiens n’est pas liée à leurs compétences et à leur probité, mais à la capacité de servir de par leur fonction les intérêts politiques particuliers de Kiev et des Etats-Unis, leur maître et seigneur.
    Encore une démonstration de cette corruption pitoyable de l’UE qui gangrène les instances diverses qui la compose.
    Cette lecture vaut vraiment le détours, à l’heure où des « inconscients » souhaitent livrer le sort de la Suisse à ce genre de mafia juridique internationale, qu’un avocat britannique des droits de l’homme décrit en ces termes dans l’article:

    « La CEDH est devenue «notoire» pour son caractère unilatéral et les préjugés politiques. « Elle est maintenant un Star Chamber », a-t-il dit, se référant au fonctionnement de la Cour des monarques britanniques du 15ème siècle jusqu’au le renversement du roi Charles I en 1641. La Star Chamber a opéré en secret, et son nom est devenu synonyme de poursuites politiquement motivées . »

    La CEDH garde secret le cas d’une victime du vol MH17 abattu en Ukraine par un missile

    Par John Helmer, Moscou

    La Cour européenne des droits de l’homme refuse d’agir sur un cas de la fille d’un passager néerlandais tué il y a un an lors du vol MH17 de la Malaysia Airlines qui a été abattu le 14 Juillet, 2014.
    Denise Kenke, la fille de Willem Grootscholten, accuse le gouvernement ukrainien de manquement à son devoir légal d’empêcher les avions civils de voler dans l’espace aérien alors que les responsables ukrainiens le savaient être dangereux. Ses documents de la cour disent que la demande est également fondée sur la conclusion du Bureau de la sécurité néerlandais, rapporté en Octobre dernier, que le gouvernement de Kiev avait été négligent en omettant d’agir sur «raison suffisante pour fermer l’espace aérien au-dessus de la partie orientale de l’Ukraine ».
    (…)
    http://johnhelmer.net/?p=14997

  2. Posté par Hauf, Viviane le

    M. Blocher est un Sage, intègre et libre, ce qui lui permet d’asséner toutes les vérités que l’on nous cache. Il est si lucide et ne craint personne vu son indépendance, c’est pour cela qu’il a démissionné. Les conseillers fédéraux gagnent d’énormes salaires, alors pour rester ils doivent ménager la chèvre et le chou. Ils semblent si honorés de frayer avec des ministres ou chefs d’Etat étrangers, comme lorsqu’ils vont servilement à Bruxelles. Il n’y a rien à perdre de se montrer intransigeant, ils devraient apprendre à négocier comme les marchands de tapis, au lieu d’avoir la naïveté de lâcher les atouts d’avance en dévoilant aux adversaires qu’ils ne vont pas les contrer. Nous sommes un peuple et un pays souverain, ils devraient respecter avant tout défense de notre indépendance.

    *

  3. Posté par conrad.hausmann le

    Blocher a parlé de dictature…C’était à cause de certains Juges fédéraux qui ne voulaient plus appliquer les décisions du peuple. Naturellement la TSR au journal de 19.30 dimanche a escamoté le sujet.C’était donc une forme de mensonge par omission.

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  4. Posté par Michel Mottet le

    Il serait temps que l’UDC organise une récolte de signatures pour désinfecter les prétendus « services publics d’informations »… et pour que soient publiés les salaires de ces personnes que nous payons pour nous faire cracher dessus et tourner en ridicule.

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  5. Posté par Pehem Veyh le

    Ce qu’il dit est vrai: comment se fait-il alors que la votation sur l’expulsion des criminels étrangers ne soit toujours pas appliquée 5 ans après ? Si ça, c’est de la démocratie, alors Simonetta est une virtuose…

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  6. Posté par S. Dumont le

    Le discours de Christoph Blocher est plein de bon sens et je ne comprends pas pourquoi le Conseil Fédéral s’acharne à vendre notre constitution, à ne pas respecter le résultat des initiatives et se couche devant l’UE, les accords de Schengen, de Dublin, de l’OMC et des droits de l’homme. En plus certains accords signés font perdre des emplois comme dans le secteur bancaire et de la fiscalité comme dans l’imposition des entreprises et d’autres font flamber les caisses des assurances sociales, sans compter l’insécurité grandissante. Alors que nos élus devraient se montrer fermes en matière de loyauté nationale, ils se comportent comme des vendus. Consternant! Ci-dessous le discours de Ch. Blocher en français.
    http://www.blocher.ch/uploads/media/F-Schriftliche_Fassung.doc.pdf

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  7. Posté par pierre steiner le

    Le discours de Christoph Blocher est un magnifique concentré de révélations de tout ce qui ne fonctionne pas bien en Suisse. Son analyse des mensonges, couardises et duplicité de la classe politique est magistrale. En particulier la vassalisation rampante du pays à l’égard de l’EU est fort bien décrite. Nous aurions besoin de plusieurs Blocher en Suisse car nous allons vers des temps difficiles.

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  8. Posté par fergile le

    « … certains n’hésiteraient pas à détruire le mécanisme de la démocratie directe juste pour contrecarrer leurs adversaires politiques ».
    Absolument!
    Très souvent, je dirais même la plupart du temps, on vote PS, Verts ou PLR non pas parce qu’on est convaincu par un programme, qu’on ne connait d’ailleurs pas, mais uniquement pour « lutter contre l’extrême-droite ».
    Et même si on se dit démocrate, on est prêt à interdire tout UDC (ou apparenté dans son esprit) de parole et donc à soutenir une dictature car, quand on lutte contre l’extrême-droite, on fait partie d’une élite qui se doit de protéger d’eux-mêmes ceux qu’on considère comme des ignorants.
    C’est pourquoi il est impossible d’avoir un débat politique avec un « anfifasciste » car la seule idée qui le mène étant de lutter contre les nazis, tous ses adversaires en sont par essence et donc il n’a besoin d’aucun argument pour refuser de les écouter et les traiter avec haine et mépris.
    Et inutile de lui demander le programme de l’UDC, des Démocrates Suisses ou ce que sont l’extrême-droite, le fascisme ou le nazisme, il a toujours refusé d’en prendre connaissance parce que « il sait très bien de quoi il s’agit et qu’il est donc inutile d’en parler ».

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