Roger Koeppel : Guillotine, Quelques vérités sur les Bilatérales I

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Dans le débat actuel sur la relation entre la Suisse et l'UE, les milieux économiques et tous les partis bourgeois, à l'exception de l'UDC, se focalisent sur un thème en particulier. La libre circulation des personnes serait extrêmement importante pour fournir à notre économie une main-d'œuvre qualifiée européenne en nombre suffisant. Voilà pourquoi l'adoption de l'initiative contre l'immigration de masse serait périlleuse pour la place économique.

Curieusement, cet argument n'a pas joué le moindre rôle au moment de l'accord sur la libre circulation des personnes et les Bilatérales I dans les années 90, alors que l'économie suisse se portait plus mal qu'aujourd'hui.

Lorsque le Conseil fédéral a évoqué, le 23 juin 1999, dans son «Message sur l'approbation des accords sectoriels entre la Suisse et la CE» la libre circulation des personnes, il n'a, à aucun moment, été question de l'urgente nécessité de main-d'œuvre européenne pour l'économie suisse. Au contraire, la liberté de circulation dans le cadre des Bilatérales I était surtout censée profiter à la jeunesse suisse, affirmant que «l'introduction par étape et de manière contrôlée de la libre circulation des personnes apportera[it] aux Suissesses et aux Suisses des possibilités supplémentaires d'épanouissement dans les pays membres de l'UE». Pas un mot sur la prétendue demande des chefs d'entreprise de main-d'œuvre étrangère.

La déclaration du gouvernement était en complète adéquation avec les promesses du ministre des Finances de l'époque, Kaspar Villiger. Le conseiller fédéral PLR a expliqué lors d'une journée de l'union thurgovienne des arts et métiers en avril 2000 que la libre circulation des personnes apporterait surtout à «la jeunesse» l'opportunité «d'oser changer d'air et d'étendre ses horizons personnel et professionnel au-delà des frontières de la Suisse».

Villiger n'a jamais fait état de la nécessité de main-d'œuvre européenne pour l'économie suisse. En revanche, l'ensemble du Conseil fédéral s'est empressé de saluer dans son rapport le fait que la «position de la Suisse du point de vue de la politique d'intégration allait nettement s'améliorer avec ces accords entièrement eurocompatibles».

Cet aspect est déterminant. Les Bilatérales I n'ont jamais eu pour objectif de fournir plus de main-d'œuvre européenne de haute qualité à l'économie suisse. L'accès aux marchés européens n'a pas non plus été franchement amélioré avec les Bilatérales I – lire à ce propos mon dernier éditorial.

Le véritable sens de cette série d'accords tant encensés se dégage de la première page du message du Conseil fédéral d'alors, signé par Ruth Dreifuss et le chancelier de la Confédération François Couchepin: «Ces accords s'inscrivent dans le droit fil de la politique d'intégration à long terme du Conseil fédéral, […] telle qu'elle est définie dans le message du Conseil fédéral relatif à l'initiative populaire ‘Oui à l'Europe!’».

L’objectif du Conseil fédéral n’était pas une Suisse trop indépendante de l'UE et bénéficiaire de conditions favorables pour son économie. Son but était plutôt de «réduire l'isolement institutionnel», de son point de vue, «préoccupant sur le plan politique et économique de la Suisse à une base stable».

Isolement institutionnel? Tout État souverain, indépendant a ses propres institutions. Ces institutions l’éloignent inévitablement des institutions d'autres États, en sont indépendantes. La démocratie directe suisse ne vaut que pour la Suisse. La démocratie parlementaire de l'Allemagne ne vaut que pour l'Allemagne. C'est la chose la plus normale du monde.

Ce que le Conseil fédéral critique ici comme «isolement institutionnel préoccupant» n'est rien d'autre que l'indépendance de l'État suisse qu'aux termes de la Constitution fédérale il est tenu de préserver, mais qu'il entendait très ouvertement contourner avec les Bilatérales I.

Rétrospectivement, on peut affirmer que, dès la première série d'accords en 1992, le Conseil fédéral a dévoyé les accords qui régissent les relations bilatérales entre la Suisse et l'UE. Il avait admis, certes fallacieusement et pour calmer les esprits, que le chômage diminuerait avec la circulation des personnes. Il n'en est rien. Qui plus est, les accords sur la circulation des personnes seraient «dénonçables». Il n'en est rien, non plus.

Car sans nécessité ni contrainte, le Conseil fédéral s'est laissé dicter une «clause guillotine» restrictive qui lui sert aujourd'hui d'argument pour faire échouer, de son propre fait, la mise en application de l'initiative contre l'immigration de masse. Cette clause guillotine prévoit que la dénonciation d'un accord des Bilatérales I rend automatiquement caducs tous les accords bilatéraux de la première série. Si l'accord sur la circulation des personnes était si facilement dénonçable, comme l'a laissé accroire à l'époque le Conseil fédéral – pourquoi fait-on alors un tel cirque aujourd'hui à ce sujet?

L'ancien secrétaire d'Etat Jakob Kellenberger analyse au scalpel les négociations d'alors dans son dernier livre «Wo liegt die Schweiz?» (2014). Selon lui, le Conseil fédéral s'est laissé imposer cette clause par l'UE parce que cette dernière «estime trop risqué que des accords, surtout profitables à l'UE, puissent être évacués par le biais de la démocratie directe».

L'UE savait que les accords bilatéraux allaient au premier chef dans son intérêt. C'est pourquoi elle a fait pression avec la clause guillotine anti-démocratie directe pour assurer ses arrières. Le Conseil fédéral a délibérément plié parce qu'il aspirait déjà à la pleine adhésion à l'UE, à moyen terme.

Il est temps de remettre les choses en place. La guillotine est un non-sens. La libre circulation illimitée des personnes n'a jamais été dans l'intérêt de la Suisse. Les Bilatérales I ont principalement été avantageuses pour l'UE. Parions que l'UE ne dénoncera jamais les accords bilatéraux si la Suisse applique sa décision populaire contre l'immigration de masse?

Roger Koeppel, Die Weltwoche, 8 octobre 2015

9 commentaires

  1. Posté par blum le

    Je commence à comprendre que nombre de Suisses se sentent floués par la politique appliquée par leurs élus. Je n’avais jamais entendu parler d’une restriction quelconque de la liberté de circulation en Europe, concernant les Suisses.
    De loin en loin, j’apprenais, à la radio qu’un référendum d’initiative populaire concernant des minarets ou des aspects voyants de l’islam, étaient lancés, dans votre pays. Et je me félicitais que des voisins montrent des réflexes de bon sens et de survie , qui nous faisaient défaut, depuis longtemps.
    je vous enviais, aussi. A présent, je me rends compte que la contamination islamique a gagné la Suisse, et qu’il devient problématique de s’en préserver.
    L’un des commentaires de vos lecteurs indique que, en Suisse, ( comme en France, et sans doute dans la plupart des pays d’Europe), se pose la question des salaires à verser aux Européens, et de ceux qu’acceptent des immigrés extra-européens.
    N’étant jamais allée en Suisse, je ne peux que mentionner ce que j’observe en France: sur TOUS les chantiers du Btp, de la voirie (à Paris), dans les hôpitaux —tous personnels soignants et de service, dans les super-marchés,dans l’hôtellerie et la restauration, etc… : la majorité des employés sont originaires d’Afrique du Nord ou d’Afrique Noire, voire d’Europe de l’Est.
    Et nous avons près de 6 millions de chômeurs.
    Vous n’en êtes pas là, Dieu merci.
    Et ce que j’ai lu de l’histoire suisse , du moins ce que j’en retiens, ne vous crée nulle obligation de repentance, donc nulle obligation d’accueillir à bras ouverts des dizaines de milliers d’immigrés mahométans peu enclins à adopter la culture helvétique.
    Partout où nous voyons se déverser ce trop-plein démographique des terres d’islam, c’est précisément pour imprimer le sceau de l’islam à jamais, sur nos sols, en gommant, par la force, s’il le faut, la civilisation d’origine.
    Le délire dévastateur de l’Etat islamique éradiquant, sous nos yeux, l’antique présence chrétienne en Irak et en Syrie (sans compter les autres pays, avec d’autres étiquettes: Boko Haram, Aqmi ou je ne sais quoi ), devrait éveiller les consciences et faire prendre les armes, tant qu’il en est temps.

  2. Posté par Gérald le

    Réponse à Jade : si l’UE va mourir, nous mourrons également avec eux car l’UE est notre principal partenaire économique. M. Koeppel semble faire fi de la clause guillotine : libre à lui et à ses supporters de penser cela, mais je reste persuadé que, si la clause est actionnée par l’UE, les conséquences en seraient désastreuses pour le monde économique suisse.

  3. Posté par Myrisa Jones le

    Ne rêvez pas! Ils ont besoin des milliards de la Suisse, avant toute chose…
    Et nous n’aurions pas plus droit à la parole que les petits pays qui sont dans l’UE, et comme nous le constatons depuis Schengen.
    Je n’ai jamais accepté que le CF accepte de signer lâchement ces bilatérales avec menace à la clé.
    Cela ne se fait pas entre partenaires qui se respectent et nous montrait déjà à l’époque, le vrai visage totalitaire de cette construction européenne.

    1. Les 26 millions d’euros de publicité de l’UE sous le feu des critiques
    Par Tara Palmeri

    Les conservateurs l’appellent un gaspillage d’argent.

    STRASBOURG – Les chefs des conservateurs et des eurosceptiques au Parlement européen, en visant le nouveau plan de 26 millions pour promouvoir l’UE, ont brandi la menace à peine voilée d’un Brexit.

    Réagissant à un rapport de POLITICO, qui a obtenu un document préparatoire détaillé du plus grand effort de communication jamais effectué à ce jour, des hommes politiques ont mis en cause le Plan de la Commission visant à “promouvoir les avantages que les Européens retirent de l’UE” par une campagne de publicité massive et ont suggéré que cette stratégie pourrait se retourner contre l’UE.

    “La Commission risque de se tirer une balle dans le pied et pourrait déclencher beaucoup plus de publicité négative que celle qu’elle attendait”, a dit Syed Kamall, un parlementaire européen britannique et chef du groupe “Conservateurs et réformistes européens”.
    (…)

    2. La campagne d’autopromotion de l’Union européenne (UE) à 26 millions d’euros

    Le but de cette proposition de la Commission est de relancer la « compréhension » de ses politiques.
    Par Ryan Heath

    Selon un projet consulté par POLITICO, le président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker, veut dépenser, en 2016, près de 26 millions d’euros dans une nouvelle campagne de publicité massive pour promouvoir l’UE.

    Cette campagne pourrait constituer la plus importante initiative en matière de communication jamais réalisée par l’UE ; elle est axée autour du thème « Un nouvel élan pour les emplois, la croissance et l’investissement. » Son budget de 25,75 millions d’euros est prévu pour alimenter une série de publicités allant des affiches aux publicités « internet », et probablement des expositions et des temps d’antenne télé et radio.

    Le but premier de ces dépenses, selon un document préparé par Juncker et son vice-président chargé du budget de l’UE, Kristalina Georgieva, est « d’arriver à une meilleure compréhension, par les citoyens de l’UE, de ses priorités et des activités ; d’informer et d’intéresser différents groupes cibles de citoyens européens à propos des priorités politiques de l’UE. »

    Depuis le déclenchement de la récession et de la crise économique en 2008, l’UE est associée aux politiques qui ont conduit à la nuisance financière. Comme, de plus, des campagnes eurosceptiques montent en puissance, cela a conduit la Commission à se battre pour vanter les avantages de ses lois et projets auprès du public.

    Les fonds nécessaires pour la campagne devraient être réunis et dépensés de manière centralisée plutôt que par des départements séparés, marquant ainsi une étape supplémentaire dans la centralisation accrue des décisions politiques.

    Le prix élevé pourrait causer une réaction violente à un moment de resserrement des budgets à travers le continent, mais il est présenté comme partie d’un “budget axé sur des résultats”.
    (…)

    http://www.les-crises.fr/les-26-millions-deuros-de-publicite-de-lue-sous-le-feu-des-critiques-par-tara-palmeri/

  4. Posté par aline le

    Jacques: vous avez raison, M. Köppel est d’une intelligence rare, un fin analyste. C’est pourquoi je suis abonnée depuis des années à la Weltwoche pour mieux comprendre ce monde.

  5. Posté par Jean-Francois Morf le

    Regardez qui travaille dans les entreprises: les DRHJ (Jetables) n’engagent que des 25-35 ans et les virent systématiquement à 45 ans. C’est pour cela qu’ils ont absolument besoin du réservoir de jeunes européens de 25-35 ans sans emploi, et du réservoir de jeunes mahométans de 25-35 sans emploi: pour pouvoir virer systématiquement leurs employés suisses à 45 ans!

  6. Posté par Jacques le

    Comme toujours, Roger Koeppel est plein de bon sens. Esperons qu’il sera élu car nous avons besoin de sa voix au Parlement fédéral. Il est d’une intelligence rare.

  7. Posté par Andrea le

    En fait, la Suisse dispose des moyens nécessaires pour s’opposer aux délires europhôus du CF (Constitution et Code Pénal).
    Malheureusement, il n’y a pas un politicien, un seul, qui ait le cran de les faire respecter (oui, même chez les UDC).
    Cette bande de pusillanimes m’a convaincu à renvoyer à ma commune une enveloppe vide pour le 18 octobre.

  8. Posté par jade le

    De toute façon l’UE va mourir alors autant leur filer un coup de pouce en appliquant le 9 février 🙂

  9. Posté par fergile le

    Et même si l’UE dénonce ces accords, que risquons-nous?
    L’UE est en effet une entité technocratique dictatoriale, haïe des et haïssant les peuples qu’elle soumet par la force et la menace (cette « clause guillotine » en dit long sur sa philosophie), contre laquelle il est dans notre intérêt de lutter.
    Mais pour dénoncer cet accord il nous faudrait un gouvernement qui cherche à défendre le peuple qui l’élit et l’entretient plutôt que sa propre caste.
    Et depuis le temps que je le cherche, je ne l’ai encore trouvé nulle part en Suisse.

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