Eh oui, la frontière protège le faible !

Pascal Décaillet
Pascal Décaillet
Journaliste et entrepreneur indépendant
post_thumb_default

 

Un poste de douane, pour le passant, ça n’est jamais très drôle. Il faut attendre, on risque le contrôle, il y a toujours quelques palpitations (même si on n’a strictement rien à se reprocher !), ça bloque la circulation, ça nous met en retard. Alors évidemment, la perspective d’une humanité sans frontières, ça excite le bourgeois. A quoi bon les pays, les nations, soyons tous frères, enfants de la mondialisation post-moderne, abolissons cet archaïsme, la frontière.

 

Le problème, c’est que ça ne marche pas comme ça. Les frontières sont les fruits de l’Histoire, des guerres, des négociations, des traités. Elles sont certes fluctuantes, n’ont rien de définitif, il suffit de consulter de vieux atlas pour voir à quel point elles ne cessent d’évoluer.

 

Elles évoluent, mais ne disparaissent pas. L’actuel découpage des nations, prenons l’Europe, ne doit rien au hasard, il est la résultante de rapports de force, chaque pays s’étant créé par lui-même, et n’ayant pu continuer à exister, à travers les siècles, qu’en versant son sang, ou en négociant durement son droit à arborer son drapeau. L’Histoire est tragique, elle ne fait aucun cadeau, chaque génération doit se battre, rien n’est acquis, jamais. Cette dimension réaliste de l’Histoire, fondé sur une nature humaine prédatrice, quel prof ose encore l’enseigner aujourd’hui ? Les Histoires nationales, avec leurs guerres, leurs batailles, leurs alliances, leurs traités.

 

Je suis un partisan des frontières. Non pour le plaisir de rencontrer des douaniers, cette jouissance-là est chez moi, comme chez nous tous je pense, assez limitée. Mais parce que je crois profondément que les différentes communautés humaines doivent avoir la possibilité d’embrasser, pour chacune, un destin commun au sein d’un territoire défini, avec des institutions partagées, des valeurs communes acceptées, un système politique, judiciaire, une conception de l’école, de la santé, de la sécurité publique, etc. Chaque nation a son génie propre, ses traditions, son Histoire : on ne fait pas de la politique en Suisse comme en France, on n’a pas construit l’Etat social en Allemagne comme en Angleterre, on ne conçoit pas l’école dans les pays scandinaves comme en Espagne ou au Portugal.

 

Le rêve de mondialisation ne vient pas des peuples. Il serait d’ailleurs très intéressant de consulter chacun d’entre eux, à la manière suisse, en donnant la parole à tous, pour savoir si ça les excite tant que cela, l’idée d’une Europe ou d’un monde sans frontières.

 

Je suis pour la frontière. Cela ne signifie en aucune manière pour leur fermeture. Mais pour un système de contrôles, pour une régulation des flux migratoires, décidée par le corps des citoyens. C’est à lui de prendre les grandes décisions qui engagent le pays, à lui de placer le régulateur, à lui de fixer le nombre de personnes qu’il accepte de faire venir de l’extérieur. Chaque communauté humaine doit avoir ce droit. Or, il se trouve qu’en Suisse, le corps électoral a eu l’occasion, grandeur nature, de prendre une décision de principe sur ces questions-là : c’était le 9 février 2014. Ce dimanche-là, le souverain, peuple et cantons, a tranché. Son verdict doit impérativement, sans jouer au plus fin, sans contourner l’essentiel, être mis en application par les autorités fédérales.

 

Je suis pour la frontière, parce que le corps social de mon pays m’intéresse au plus haut point. Je déteste la loi du plus fort, encore plus celle du plus riche. Et justement, j’affirme que la frontière, parmi ceux qui sont déjà là, à l’intérieur, protège le faible. Comme l’a remarquablement noté Julien Sansonnens, dans un édito récent de Gauchebdo, les personnes les plus fragilisées de notre pays, en termes d’emploi notamment, ne seront pas les premières à applaudir en cas d’une élévation trop brutale de notre solde migratoire. Ces choses-là, dans l’Histoire suisse, sont fragiles, délicates, et ne peuvent en aucun cas être laissées aux mains d’idéologues d’une ouverture totale des vannes. L’effet, dans l’opinion publique, notamment auprès des personnes les plus défavorisées, serait dévastateur.

 

La frontière protège le faible. Elle dessine des horizons communs. Elle n’exclut ni l’accueil, ni l’asile, ni la générosité. Simplement, elle applique des seuils, des limites. Et c’est le corps des citoyens qui doit décider de ces derniers. En se montrant ouvert, ou ferme. C’est selon. En fonction de sa conception, non de la métaphysique ni de la morale, mais simplement de l’intérêt supérieur de la nation à laquelle il appartient. Toute nation, toute communauté humaine, depuis toujours, fonctionne comme cela. Refuser de le voir, au nom d’une idéologie mondialiste ou d’une béatitude universaliste, c’est se condamner à d’amères désillusions, entendez  le pire de tout en politique : la perte de maîtrise sur le cours des événements.

 

Pascal Décaillet, Sur le vif - Dimanche 4 octobre 2015

 

2 commentaires

  1. Posté par Jean-Marc le

    Bravo Monsieur Décaillet, pour vos articles pleins de bon sens, toujours biens construits et surtout qui ont un sens!
    Par ces derniers vous contribuez en plus à maintenir ce pluralisme journalistique, grand absent de la presse écrite.
    Merçi

  2. Posté par Pierre H. le

    Quand on rentre chez soi, on ferme sa porte à clé et l’on vit selon ses règles…

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.