RASA ou l’objection démocratique

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

Vous rappelez-vous de RASA? La fameuse initiative Raus aus der Sackgasse, "pour sortir de l'impasse", visant ni plus ni moins à annuler la votation populaire du 9 février dernier demandant l'arrêt de l'immigration de masse?

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Alors jouez hautbois, résonnez musettes, l'initiative RASA est un succès! Enfin, presque: le texte, qui doit être déposé d'ici fin octobre, a peut-être rassemblé les cent mille signatures requises, mais les initiants espèrent encore en récolter vingt mille d'ici quelques semaines histoire d'être sûr.

La nouvelle - reprise dans une belle unanimité par toute la presse romande - est donc un non-événement. L'initiative RASA n'a pas été approuvée par la Chancellerie fédérale ; à dire vrai les signatures n'y ont même pas été déposées. Les journalistes de garde célèbrent seulement l'annonce du comité des cent milles paraphes récoltés. Et rappellent que le délai court jusqu'à fin octobre. Et rapportent que les initiants visent (c'est-à-dire ont besoin) de vingt mille signatures supplémentaires, soit 20% du total, pour s'assurer que l'initiative soit effectivement déposée, ce qui donne une petite idée de la qualité moyenne des signatures enregistrées. La journée spéciale de récolte est agendée au 29 août.

Si je lisais entre les lignes, je dirais que le succès tant claironné a de petits accents de désespoir, et que l'annonce tonitruante des cent mille ressemble surtout à un appel du pied aux médias - qui y ont répondu avec empressement - pour aider l'initiative à se concrétiser. Mais je me fais sans doute des idées. Récolter des dizaines de milliers de signatures est un exercice difficile et méritoire, quelle que soit la cause défendue, et toutes les initiatives n'ont pas droit à ce soutien médiatique.

RASA demande le retrait de l'article 121a de la Constitution fédérale, soit l'exacte annulation du vote du 9 février 2014. Selon Andreas Auer, professeur de droit constitutionnel et membre du comité d'initiative, le texte est nécessaire pour sortir de l'impasse institutionnelle dans laquelle la Suisse a plongé l'Union Européenne. C'est un fait, revenir en quelque sorte au "8 février" débloquerait une situation que je définissais comme inextricable, l'Union Européenne étant évidemment incapable d'actionner sa fameuse "clause guillotine":

Quelle force pourrait obliger 27 gouvernements de l'Union à résilier simultanément les sept accords bilatéraux I de 1999 et les neuf accords bilatéraux II de 2004 qu'ils ont chacun conclu avec la Suisse? Cela ferait 432 traités à annuler!

Mais je rappelais également (ce que se garde bien de faire M. Auer) que si les lignes devaient bouger, c'était à l'UE de faire le premier pas. En éliminant le caillou que représente la Suisse dans la chaussure européenne, RASA pourrait sauver l'UE institutionnelle. Les Suisses se sentiront-ils concernés?

Bien sûr, il y a aussi un petit côté choquant à revoter si vite sur le même thème - une démarche que le conseiller national MCG Roger Golay n'hésite pas à qualifier "d'abus de notre système démocratique". Pourtant, il n'existe nulle définition d'un tel délai de grâce entre deux initiatives proches, même si la manœuvre laisse une impression bizarre, comme un veuf qui se remarierait un peu trop vite.

RASA a d'autres particularités. Pour la première fois, le citoyen est invité à annuler une modification constitutionnelle jamais entrée en vigueur. On attend toujours les lois d'application pour les quotas à l'immigration! Si les Suisses ont eu à subir la libre-circulation depuis plus de dix ans, il n'y a guère eu d'éléments nouveaux en faveur de RASA depuis le 9 février. Bien au contraire, de nouveaux problèmes sont apparus, comme cette vague d'immigrés économiques qui inonde l'Europe entière. De toute évidence la libre-circulation a montré ses limites et les problèmes liés à l'absence de frontières ne se résoudront pas d'eux-mêmes.

Si RASA parvient probablement à réunir les cent mille signatures, ses chances de succès devant le peuple sont incertaines. Ce qui n'empêche pas de saluer la démarche.

En effet, malgré ses défauts, RASA fait les choses correctement: amener une modification constitutionnelle via une initiative populaire. Ce que le peuple a fait, le peuple peut le défaire ; cette approche permet d'évacuer certains débats, comme celui pour invalider le vote du 9 février ("on ne peut pas revenir sur les accords internationaux approuvés par le peuple") ou d'autres à venir comme le percement d'un second tube routier au Gothard ("on ne peut pas revenir sur l'Initiative des Alpes"). La Constitution n'est pas figée, et comme le rappelle Andreas Auer:

"Seul le peuple peut revenir sur l’une de ses décisions, c’est l’essence même de sa souveraineté."

Voilà pourquoi RASA est sur le fond comme sur la forme une initiative tout à fait recevable, rappelant que la démocratie helvétique repose sur le droit du peuple souverain et rien d'autre.

Le peuple helvétique peut revenir sur absolument tout ce qu'il concède, dont et y compris les traités signés et approuvés - un rappel douloureux pour les apôtres du droit international.

Stéphane Montabert - Sur le Web et sur Lesobservateurs.ch, 20 août 2015

6 commentaires

  1. Posté par G. Vuilliomenet le

    « Pas pour rien que Freysinger la désignait comme: « salle d’enregistrement des décisions du CF ». »

    Ce qui est assez étonnant car justement, certains accusaient les Chambres fédérales d’élire des NULLITES au CF afin d’avoir la main-mise sur eux.

  2. Posté par Pehem Veyh le

    @ G. Vuilliomenet: le conseil des Etats, qu’on appelait il y a longtemps, le conseil des sages, est devenu la pire chambre de notre gouvernement. Pas étonnant, dès lors que l’on s’aperçoit qu’elle ne représente pas du tout les forces politiques en présence dans notre pays. Le mode de scrutin fait que le PDC y est hyper sur-représenté. Alors, est-ce une surprise de le voir prendre de telles initiatives ?
    Je ne le crois plus et ces « sénateurs » sont de vrais traîtres à la patrie. Pas pour rien que Freysinger la désignait comme: « salle d’enregistrement des décisions du CF ».

  3. Posté par yvanovitch y le

    La bagarre va recommencer (si l’initiative réussit) lorsque le vote sera agendé, entre les politiques nuls et les citoyens souverains qui pourraient même emplifier le résultat du 9 février : ce serait la revanche du siècle ! Donc tout ne sera pas dit par la déposition de l’initiative.

  4. Posté par Pehem Veyh le

    L’analyse ci-dessus est excellente. Mais il y a un plus. Avant de crier au loup contre les initiants, saluons leur bêtise crasse. En effet, on pourrait revoter sur cette décision souveraine mais, car il y a un mais. Dans la situation actuelle, de plus en plus catastrophique du point de vue de l’immigration et de ses effets collatéraux (augmentation du chômage, insécurité croissante, dégradation du cadre de vie, irrespect presque atavique des immigrés récents, etc…), on ne peut que se dire que le peuple, las d’avoir été pris pour un con et de ce qu’on lui impose malgré lui, et malgré tous les efforts que les médias vont faire, pourrait fort bien revoter dans le même sens. Et là, la cruche Sommaruga ne pourra plus vraiment continuer son numéro d’acrobate pathétique pour rouler le souverain. On peut donc sentir dans les brumes de ces annonces « effets de manche » que les médias, qui trépignent de nous faire rendre gorge, poussent bêtement (comme d’habitude quoi!) à revenir sur une décision. Les politiques eux, sont tout tremblants et aimeraient mieux continuer le mensonge et la trahison de Simonetta et de tenter de faire passer aux oubliettes la votation du 9 février. Un peu comme celle de l’expulsion des criminels étrangers, qu’ils ont réussi à ne pas appliquer jusqu’à aujourd’hui. Cela me rappelle la votation bénie de l’initiative des jeunes crétins de « En avant l’Europe » qui s’était ramassé une fessée mémorable et qui a éteint, pour un sacré bout de temps, les projets d’adhésion à ce machin de tordus qu’est l’UE. Enfin, avec l’assentiment du peuple!

  5. Posté par Andrea le

    Démocratophobes!!!

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