LIBAN : LA SOLUTION CONSENSUELLE,C’EST SLEIMAN FRANGIEH !

Richard Labévière
Journaliste, Rédacteur en chef  du magazine en ligne : prochetmoyen-orient.ch

 

A Beyrouth, les ordures ménagères ne sont plus collectées depuis plus de trois semaines. Ayant donné lieu à moult commissions, le contrat de sous-traitance à une société privée ne sera pas renouvelé et fait l’objet d’un véritable pugilat politique dans un contexte de blocage généralisé des institutions. Le Premier ministre Tammam Salam, a menacé de démissionner, si certains ministres de son cabinet continuaient d’entraver les activités du gouvernement. Lors de leur dernière réunion, ces derniers ne sont pas arrivés à se mettre d’accord sur les mécanismes des activités du gouvernement. Le différend principal porte sur les modalités du transfert des prérogatives du président de la République au conseil des ministres. Les divergences de vue, au sujet de la nomination du nouveau président de la République, sont à l’origine de la vacance du poste présidentiel, depuis août 2014.

 

François Hollande vient de téléphoner longuement au Premier ministre « régent «  pour le dissuader de démissionner, ce qui ajouterait un facteur supplémentaire d’instabilité dans un Liban déjà passablement fragilisé par les attaques de Dae’ch et de Nosra… Le président français avait aussi chargé son ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius d’évoquer les blocages de la présidentielle libanaise avec son homologue iranien Mohamad Javad Zarif ainsi qu’avec le président Rohani. Ainsi, le chef de la diplomatie française serait parti à Téhéran avec une liste de trois noms de « président consensuel » en poche… Cette médiation française aurait reçu l’aval du Patriarche maronite Béchara Raï et du Vatican mobilisé sur l’avenir des Chrétiens d’Orient.

 

Posture d’équilibriste pour Paris qui, dans le même temps, ne doit pas mécontenter ses riches alliés saoudiens. En effet, Riyad vient de demander au leader chrétien des Forces libanaises Samir Geagea (financé par les pays du Golfe depuis des années) de soutenir aussi le cabinet intérimaire, tout en poussant un candidat qui aurait l’aval de l’Arabie saoudite. Depuis des années, Riyad cherche ainsi à rallier des responsables chrétiens afin de former un lobby politico-militaire de poids susceptible de faire face au tout puissant Hezbollah chi’ite. Depuis plusieurs semaines, Riyad et Paris ont multiplié les coups de fil sur ce sujet délicat.

 

Dans le même temps, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a saisi son homologue libanais Gebran Bassil (qui n’est autre que le gendre du général Aoun) afin de dissuader le même Aoun de maintenir sa candidature pour laisser la place à un candidat plus « consensuel ». La diplomatie russe, qui joue historiquement aussi la carte de la défense des minorités du Proche-Orient agirait également de concert avec le Vatican. Selon plusieurs sources diplomatiques autorisées, « la Russie exhorte la partie chrétienne entravant les élections présidentielles à les faciliter. Par ailleurs il est avéré que Michel Aoun ne dispose pas des caractéristiques principales lui permettant d’accéder à la présidence. Cet accès semble également impossible à Samir Geagea. Il faudrait donc que les deux hommes laissent la place à un candidat plus acceptable ». Selon les mêmes sources, « le Kremlin estimerait que le premier responsable du blocage serait le général Aoun, alors que Geagea aurait exprimé sa disposition à accepter un autre candidat ».

 

Laurent Fabius venant de faire chou blanc à Téhéran, qui a du mal à lui pardonner d’avoir soutenu les positions israéliennes jusqu’à la finalisation de l’accord sur le dossier nucléaire, la recherche du « Monsieur X », sauveur de la présidence libanaise est devenue l’une des questions régionales prioritaires dans un contexte où émergent de nouveaux périls.

 

Il n’est pas certain que l’administration Obama réussisse à calmer l’Arabie saoudite qui poursuit son opération de destruction systématique du Yémen qui pourrait lui revenir dans la figure… En effet, il sera difficile d’instaurer un « Yalta régional » entre un pôle sunnite Saoudo-égyptien et l’axe chi’ite soutenu par Moscou : Iran, Irak, Syrie, Hezbollah. Mais la dimension la plus préoccupante concerne l’inconfortable posture du cabinet Netanyahou, le grand perdant de l’accord de Vienne du 14 juillet dernier. Au jour d’aujourd’hui, Tel-Aviv ne peut plus, décemment envisager d’attaquer militairement un Iran de retour dans le concert des nations. Par contre, et voulant absolument montrer à sa base électorale extrémiste comme à ses soutiens américains qu’il garde une marge de manœuvre sur le plan militaire, Netanyahou pourrait remettre le couvert en direction du Liban et du Hezbollah.

 

Depuis sa défaite militaire et politique de l’été 2006, l’armée israélienne ne rêve que de revanche contre un Hezbollah qui l’a proprement humilié en détruisant nombre de ses chars Merkava, de ses hélicoptères de combat et même de plusieurs unités de ses commandos à la réputation surfaite d’invincibilité… Dans son dernier discours, le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah souligne qu’ « Israël évoque aujourd'hui une menace existentielle, ce qui, en soi, est une victoire pour la Résistance ». Toutefois, il reconnaît que « les développements des dernières années dans le monde arabe ont fortement nui au projet de la Résistance, et ont permis au projet sioniste de réaliser des avancées ». Et d'ajouter : "Israël a réussi à faire oublier aux pays arabes et autres capitales la cause palestinienne. Cela est extrêmement dangereux ».

 

En effet, les vols de drones israéliens, tant du Liban du Sud que du secteur très disputé des fermes de Chebaa, se sont intensifiés, alors que plusieurs experts militaires relève une recrudescence de violations quotidiennes des espaces aérien et maritime libanais par les chasse et marine israéliennes. Dans ce contexte, Netanyahou, qui multiplie les déclarations belliqueuses, « pourrait commettre une nouvelle folie guerrière d’envergure afin de redéfinir ses nouvelles lignes rouges destinées à répondre à l’accord adopté sur le nucléaire iranien », ajoute les mêmes sources militaires. En effet, il y a donc urgence à régler le dossier de la présidentielle libanaise, et pas seulement pour évacuer les ordures qui s’accumulent dans les rues de Beyrouth…

 

A l’intersection des efforts diplomatiques français, russes, sinon américains, déployés sur ce dossier prioritaire, le Vatican sait parfaitement que les enquêtes d’opinions (réalisées auprès des communautés chrétiennes, sunnites, chi’ites et druzes) place le jeune Sleiman Frangieh largement en tête, dans l’esprit et le cœur des Libanais. Ce leader chrétien du Nord présente essentiellement trois avantages : sa compétence (dans un passé récent, il a été, avec succès, à la tête de plusieurs ministères techniques difficiles) ; sa jeunesse (50 ans) incarne un changement de génération des vieux chefs des milices de la guerre civile -1975/90 - et, en définitive, une belle image prometteuse de l’avenir du Pays du cèdre ; enfin, sa popularité s’explique largement parce le fait qu’il n’ait jamais été aussi « clivant » que son allié le général Aoun.

 

Mais sa carte la plus déterminante réside dans les bonnes relations qu’il entretient, à la fois avec Bachar al-Assad et les Iraniens, mais aussi avec plusieurs prince saoudiens qui verraient favorablement son accession au Sérail de Baabda. Faudrait-il encore que Laurent Fabius et ses conseillers néo-conservateurs comprennent simplement cette complexité et qu’ils lèvent un peu le nez du guidon de leur « diplomatie économique » à courte vue, exclusivement conditionnée par les humeurs financières et pétrolières de leurs obligés saoudiens… Ce n’est pas gagné !

 

Richard Labévière, 8 août 2015     

 

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