Les noirs nuages de la modernité

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

 

Il y a eu des nuages noirs dans toutes les sociétés. Seule la nôtre, avec le mythe du progrès, s’est crue en route vers un ciel pur. Il est vrai que les prophètes d’Israël annonçaient du lait et du miel, mais à condition que gouvernants et gouvernés reconnussent leurs péchés, erreurs, abominations. Rien de tel aujourd’hui. Nous sommes en route vers le bien, quoi que nous fassions. Il est vrai qu’avec Daech, des dettes publiques colossales et le réchauffement climatiques, il y a des perturbations. Mais après quelques gouttes de pluie, elles devraient se dissiper, croit-on. On recyclera les djihadistes en même temps qu’on réintègrera nos criminels, on se réunira bientôt à Paris pour purifier l’air de notre planète et on restructurera la dette grecque.

Je dis souvent qu’avec le progrès  nous sommes victimes d’une propagande aussi puissante que l’était la propagande communiste. Je ne suis pas sûr que le mot de propagande convienne. Peut-être faudrait-il dire que l’air du temps charrie de gros nuages noirs. J’en repère deux qui me paraissent grossir de plus en plus : l’un concerne la mort – l’autre les enfants.

La récente canicule a permis  de rappeler celle de 2003 qui a fait 70 000 morts en Europe. On a profité de ce rappel pour dire que grâce aux enseignements tirés de cette catastrophe, on peut maintenant mettre en place des mesures de prévention qui permettront de réduire considérablement le nombre des victimes. Avec le progrès, on peut presque s’attendre à zéro mort à l’avenir. Il n’y a pas que les canicules. Dans tous les domaines, on s’agite frénétiquement pour faire diminuer le nombre des victimes. On va s’arrêter de fumer, conduire à 20 à l’heure, faire tous ensemble du jogging. Nos vies vont devenir saines et longues, très longues.  Elles vont presque devenir éternelles. Ce n’est pas seulement que demain on rasera gratis, mais que nos luttes contre la maladie, la pauvreté ou la corruption seront couronnées de succès. La mort reculera tellement à l’horizon qu’on ne la verra plus.

Du coup, lorsque « certains », parmi nous, meurent c’est un scandale. Ils mettent en doute la noblesse de nos luttes pour éliminer le mal. Ils mettent aussi en doute la légitimité des énormes investissements destinés à promouvoir la survie à pratiquement n’importe quel prix. Tandis qu’en Égypte ancienne l’investissement dans des pyramides destinées à des morts était colossal, aujourd’hui c’est juste l’inverse. C’est pour les vivants que nous construisons des pyramides d’assurances sociales. Le problème est que les vivants meurent, ce que les momies ne faisaient pas. Aussi faisons-nous tout notre possible pour nous maintenir en vie aussi longtemps que possible, opération plus difficile qu’avec les momies. Progressivement, la mort est devenue intolérable et sa prévention, pour ne pas dire son élimination, justifie des débauches en capitaux et en recherches le plus souvent inutiles. La mort passe désormais pour ce qu’il y a de pire et la lutte contre elle a la priorité, avec multiplication de procès pour en trouver les responsables.

Jamais la mort n’a passé pour telle. Aucune civilisation, pour autant que je puisse en juger, n’a considéré la mort comme un horizon indépassable. Nous seuls la considérons comme un terminus. Dans les gares on voit des voies ferrées qui ne vont nulle part et semblent avoir été coupées net dans quelque terrain vague. Telle est la mort pour nous. Elle est une interruption de la vie, un point c’est tout.

Cette image, très puissante aujourd’hui dans l’air du temps, déclenchera un jour un orage. En quoi cet orage consistera-t-il ? Je l’ignore, mais orage il y aura.

Le deuxième nuage noir concerne les enfants. Hannah Arendt disait qu’un enfant est un « nouveau » lorsqu’il naît dans un monde qu’évidemment il ne connaît pas. Nous ne savons jamais ce qu’un enfant va devenir. Hitler était un joli bébé comme tous les bébés. Qui aurait pu deviner ce qu’il deviendrait ? Saint François d’Assise était aussi un tel bébé. Il est devenu un saint. Un enfant peut apporter du nouveau dans le monde parce qu’il n’est pas que produit par le monde.

Mais aujourd’hui, avec les progrès de la génétique, nous avons tendance à croire que les enfants sont produits au terme d’une chaîne de production biologique. Cette vision procède du même conditionnement des esprits que celle qui nous conduit à voir dans une personne le produit d’une culture, de son passé, de sa famille. Certes, ce que nous sommes dépend de ces facteurs, mais pas seulement. Il y a toujours un mystérieux « plus » et la naissance d’un enfant l’annonce, pour le meilleur ou pour le pire.

Je parlais de propagande. La différence entre hier et aujourd’hui est la suivante. Au XXe siècle,  la propagande annonçait des lendemains qui allaient chanter. Au XXIe siècle, elle proclame un présent qui dans lequel nous allons tout de suite nous égosiller de bonheur. Un tel présent doit éliminer la mort, parce qu’elle empêche de chanter. Il élimine aussi les enfants parce qu’avec eux peuvent apparaître des monstruosités (Hitler). Alors, soit on ne fait plus d’enfants pour ne prendre aucun risque, soit on les considère comme de purs produits qui ne remettront jamais en question l’ordre des choses. Lorsqu’il s’agit de promouvoir un doux ronronnement dans les langes de la sécurité, il faut cacher les nuages noirs. Le philosophe russe Soloviev l’avait déjà compris au XIXe siècle. Il disait que la nouvelle Bible de la modernité conduirait à l’adoration du bien-être et de la planification raisonnable. C’est à lui que je pense à chaque fois qu’on me dit qu’un règlement a été fait pour garantir ma sécurité.

Jan Marejko, 13 juillet 2015

 

7 commentaires

  1. Posté par Ecce Homo le

    «Aucune civilisation, pour autant que je puisse en juger, n’a considéré la mort comme un horizon indépassable. Nous seuls la considérons comme un terminus. Dans les gares on voit des voies ferrées qui ne vont nulle part et semblent avoir été coupées net dans quelque terrain vague. Telle est la mort pour nous. Elle est une interruption de la vie, un point c’est tout. »

    Tout cela est bien vrai, pour beaucoup, en Europe, aux USA…
    Mais prenons Israël, ils ont également le culte du progrès, de l’indépassable ; innover pour améliorer le sort de l’homme, ils adorent ça. Mais d’un autre côté, ils aiment la vie, dans chaque rite juif, dans la mentalité juive, on peut trouver un immense amour de la vie. Cela ne les empêche pas d’être conscient que leurs enfants, à 18 ans, feront trois ans de service militaire, en sachant qu’ils peuvent ne pas revenir…

    Je n’ai pas plus de fascination pour l’EI que pour le nazisme, c-à-dire, aucune. Je peux parler de peur, d’effroi, de haine profonde, mais pas de fascination. L’EI, c’est le mal personnifié, Satan réincarné, à regarder en face. Aimer la mort, c’est aimer le mal ; même si la mort fait partie de la vie.
    Je me sens prêt à prendre des risques, jusqu’à donner ma vie, pour combattre l’islamisation de mon pays, à prendre les armes, me défendre et défendre ceux que j’aime.

    Bien que je souhaite mourir, en pas trop mauvais état, le plus tard possible, je déteste que l’état s’y mêle en instaurant des mesures pour prolonger ma vie (ceinture de sécurité, assurance maladie obligatoire, campagnes anti-cancer, anti-obésité, et j’en passe). D’ailleurs, toutes ces mesures génèrent des fonctionnaires, des parasites supplémentaires.
    Et le problème est justement là, l’état devrait préserver notre civilisation, repousser l’ennemi en cas de nécessité … mais nos élus font le contraire, ils favorisent l’invasion.
    Le citoyen est contraint de participer à sa propre destruction en finançant des fonctionnaires étouffants dont le nombre ne cesse de croître.

    Malheureusement, l’enfant miracle qui prendra le rôle du leader pour nous conduire hors du désert n’est pas encore né.

    Et comme vous le dites, si bien :
    « Lorsqu’il s’agit de promouvoir un doux ronronnement dans les langes de la sécurité, il faut cacher les nuages noirs. »

    La situation se présente ainsi : Un patient demande à son médecin d’opérer au plus vite son ongle incarné qui lui rend la marche difficile.
    Mais le médecin n’entre pas en matière, il lui rappelle qu’il a négligé son diabète trop longtemps, qu’il a refusé de soigner ses ulcères gangrenés à la jambe et que maintenant … seule l’amputation des deux jambes pourrait le sauver mais l’opération est sans garantie !
    Le patient doit réaliser que l’ongle incarné passe au second plan, … peut-être même, l’amputation des deux jambes.
    Telle est la situation des européens…

    « Tout le monde doit devenir musulman. Il y a 50 millions de musulmans en Europe. Il y a des signes qu’Allah va faire triompher l’Islam en Europe, sans sabres ni armes ni conquête militaire.
    Les 50 millions de musulmans vont transformer l’Europe en un continent musulman en quelques décennies. Allah mobilise la nation musulmane de Turquie. Ce qui ajoutera 50 autres millions
    de musulmans en Europe. Les États-Unis vont devoir accepter de devenir islamiques et de suivre le cours de l’Histoire, ou ils devront déclarer la guerre aux musulmans. » Mouammar Kadafi.

    « C’est difficile d’être optimiste face à l’islamisation de l’Europe. Nous sommes en train de perdre. Le pire, c’est la trahison des élites. Les milieux universitaires, les artistes, les médias, les syndicats, les églises, le monde des affaires, l’establishment politique au grand complet couchent avec l’islam et nous demandent de renoncer à nos libertés » Geert Wilders.

  2. Posté par Renaud le

    Les nuages noirs sont en altitude. La santé physique des occidentaux n’a jamais été meilleure. Leur santé morale sur le plan du sentimentalisme n’a jamais été meilleure également. Mais au delà des nuages strictement humains la santé spirituelle est dans un état épouvantable. Elle n’a jamais été plus mauvaise, ça refoule dans des proportions gigantesques depuis longtemps. Le libéralisme a réalisé l’enfumage le plus colossal de tous les temps, faire croire que la société pouvait prospérer éternellement sur la seule base de l’intérêt individuel bien compris. Cela a semblé fonctionner parce qu’on a vécu sur l’héritage moral chrétien qui avait accumulé des trésors de richesse spirituelle. Mais la source étant tarie, l’héritage s’est épuisé et aujourd’hui la dette s’accumule, on vit à crédit sur le plan monétaire mais aussi spirituel. Ce qu’il y a à penser aujourd’hui ce n’est pas comment renverser l’oligarchie qui emballe le système pour qu’on ne puisse pas en sortir mais comment endiguer le tsunami de démons fascistes qui va déferler après le renversement des démons libertaires. Les conflits avec l’islam et avec la Russie sont des diversions créées par l’oligarchie, les peuples ne doivent pas être dupes. Daech doit être éradiqué avec l’aide des musulmans et la Russie n’a tout simplement aucune vocation a être notre ennemie.

  3. Posté par Jan Marejko le

    Ecce homo, nous ne rêvons pas vraiment de vie éternelle, mais d’une vie indéfiniment prolongée. Les égorgeurs fascinent parce que, eux, ne veulent évidemment pas prolonger leur vie. Y aurait-il autre chose que cette prolongation?

  4. Posté par Ecce Homo le

    Nous rêvons de vie éternelle … mais nous avons perdu tout instinct de survie !
    Pensons seulement au fait que des centaines de millions de personnes voudraient venir vivre en Europe et feraient tout pour y parvenir, afin de profiter de nos modes de vie qu’ils ne peuvent pas obtenir autrement.
    Pensons que parmi eux, certains seraient prêt à nous égorger pour prendre notre place.
    Pensons au fait que l’UE, la Suisse ne font rien d’efficace pour se protéger de cette invasion qui menace leur survie.

    http://e360.yale.edu/slideshow/our_overcrowded_planet_failure_of_family_planning/205/1/

    http://www.ajib.fr/2011/01/population-musulmane-mondiale/

    http://www.prb.org/FrenchContent/2013/demographics-muslims-fr.aspx

    https://www.youtube.com/watch?v=1pYQlKReVyA

    http://community.travelchinaguide.com/show_photo.asp?p=81103211334883.jpg

    http://www.20min.ch/ro/news/suisse/story/Se-lever-plus-tard-afin-de-soulager-les-trains-bondes-25332751?redirect=mobi&nocache=0.17387307820983216

  5. Posté par Jan Marejko le

    Oui, il est fait référence dans la Bible à des femmes qui mangent la chair de leurs enfants. C’était plus grave que la fessée. …

  6. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Dans la hiérarchie des nuages, j’aurais mis les enfants en premier. Les prophètes d’Israël en ont parlé, « les femmes mangent la chair de leurs enfants ». Et «  ils font passer leurs enfants par le feu ». Par le feu? On imagine les statures incandescentes du dieu Moloch, telles que les a dessinées Jacques Martin dans les aventures d’Alix. Evidement, nous ne ferions pas des choses pareilles. Et pourtant… Qui ne veux pas des héritiers à son image, des briques adaptées à la construction des lendemains qui chantent, de bonnes récoltes et l’apaisement des dieux socio-culturels? Avec les meilleurs intentions du monde, dont l’enfer est pavé.

  7. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Wow! « Génial Jan Mareko! Vous effleurez un sujet qui me « préoccupe » depuis longtemps. Vous posez les bases de sa mise au jour. Incroyable aussi, moins de deux heures avant de lire cet article je disais, presque avec les même mots, l’enfant « nouveau » à une maman! Mais j’y reviendrais. Je dois préparer mon retour à la Nursery! Merci Monsieur Marejko. Et merci aux Observateurs.

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