La théorie du genre et l’amour

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

 

Certains croient que l'amour n'existe, pour un homme, que s'il rencontre une femme qui est «son genre». Même chose pour une femme. L'amour serait lié à des convenances réciproques. Je l'aime parce que j'aime les blondes. Je l'ai épousé parce qu'il est bronzé et que j'aime les bronzés. Aimai-je telle femme parce qu'elle «est mon genre» ou tel homme parce qu'il convient à mes fantasmes ? Est-ce sur la base de caractéristiques physiques, psychiques, voire de l'émission de phéromones qu'hommes et femmes se rencontrent ? Dans le numéro 69 de la revue «Cerveau et Psycho», il est dit que notre cerveau (pas les phéromones) a la capacité d'aimer longtemps. Les neurosciences nous révèlent comment. Je n'ai évidemment pas lu cet article mais il est possible qu'il suggère qu'en stimulant certains neurones, on peut se tenir la main jusqu'à 90 ans sans problème, avec ou sans disputes, selon qu'on a neutralisé ou non les neurones de l'agressivité.

 

A la fin du premier livre de la «Recherche du temps perdu», Swann constate: «dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre !» L'amour comme une forme de suicide (j'ai voulu mourir)... On ne saurait mieux dire que l'amour n'a rien à voir avec le souci de ces mères qui veulent voir leurs enfants bien mariés et bien rangés. Ou qu’il n’a rien à voir avec les phéromones. Ou encore, que le «ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants» est une imposture, comme je l'ai tout de suite senti dans mon adolescence.

 

De même que Proust, Flaubert, dans «L'Éducation sentimentale», dépeint un Frédéric éperdument amoureux mais qui n'obtient de Madame Arnoux, des années après lui avoir fait la cour, qu'une mèche de cheveux blancs. Frédéric, comme Swann, a gaspillé sa vie. Si celle-ci avait inclus l'amour, jamais elle n'aurait été détruite par lui. Denis de Rougemont, essayiste suisse romand, observait en 1935, dans un essai remarquable, «L'amour et L'Occident», que Tristan ne peut vivre son amour que parce qu'il est impossible. L'amour relèverait-il de l'instinct de mort ? Quand je vois un beau jeune homme et une belle jeune femme s'embrasser passionnément, je suis à la fois ému et angoissé. Ému parce que, pour moi, rien n'est plus beau que l'amour. Angoissé, parce que cette beauté est tragique. Combien de scènes déchirantes, de drames, de meurtres parfois, ce premier baiser n'annonce-t-il pas ? Tous les jours, à la télévision et même plusieurs fois par jour, films et séries nous parlent de ces drames.

 

L'amour naît lorsque, a priori, rien ne devrait attirer deux êtres l'un vers l'autre. Ce n'est guère surprenant puisqu'on voit mal comment l'amour pourrait entrer dans les catégories d'un goût personnel, d'idiosyncrasies, de réactions liées à l'habitude. Si tel était le cas, l'aimé viendrait nous satisfaire comme un steak ou un gigot. Or l'amour arrache nous arrache à nous-mêmes. Sans cet arrachement, il n'y a plus que des fricotages, comme on peut les observer dans la littérature ou le cinéma pornographiques.

 

Mais les Modernes, agenouillés devant les idoles de l'individualisme, ne veulent pas être arrachés à eux-mêmes. Ils veulent que leur petit moi jouisse bien à l'aise, dans le confort de leur égocentrisme, tandis qu'on leur fait des câlins sur le haut ou le bas du corps. Dès lors, l'amour, pour eux, c'est très simple. L'amour est une complémentarité mécanique où la femelle attire le mâle, parce que celui-ci peut sentir, grâce à son organe voméro-nasal, les phéromones sécrétés par celle qu'il va fertiliser. Ou est-ce le mâle qui les sécrète, les phéromones ? Quant à l'organe voméro-nasal, c'est, nous disent les scientifiques, ce qui perçoit les phéromones et déclenche une attirance sexuelle.

 

La théorie du genre a eu un certain succès, c'est parce qu'elle paraît offrir une voie de sortie hors des âneries sur les phéromones ou le cerveau dans les relations entre les sexes. Cette théorie suggère en effet que nous ne sommes pas conditionnés à aller vers le mâle ou la femelle. Ou encore qu'il n'y a rien de fatal, d'instinctif, de naturel, dans nos attirances sexuelles. Je croyais que j'étais conditionné à aller vers les femmes, mais si je suis tel, mon mouvement vers elle, sera un mouvement d'esclave pavlovien. Donc je me révolte et me dirige vers les hommes. Vive la liberté !

 

On voit ici comment certains peuvent inscrire la théorie du genre dans un grand programme d'émancipation universelle. Je m'émancipe parce qu'au lieu d'aller vers le mâle ou la femelle comme la société ou la nature m'ont dit que je dois aller, je dis non à la femelle et vais vers le mâle, ou l'inverse. Par ce mouvement, je me libère des règles sociales ou naturelles, comme l'ont peut-être cru Rimbaud et Verlaine.

 

Mais quand on va vers quelque déviance seulement pour se convaincre qu'on n'est pas esclave des normes sexuelles imposées par la société ou la nature, on est mal parti. Les partisans de la théorie du genre sont mal partis, parce qu'ils croient, avec l'illuminé Vincent Peillon, que l'essentiel est d'arracher les hommes à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel pour permettre à chacun de s'émanciper. C'est ainsi, ajoute l'ancien ministre de l'éducation nationale, maintenant titulaire d'une chaire à l'Université de Neuchâtel, «qu'un individu libre peut être produit»*. Il faut s'être égaré pour croire qu'un navigateur est libre parce qu'il échappe aux déterminismes du vent, de la quille de son bateau, des courants marins. S'échapper ainsi, c'est tout de suite couler. Et il faut peut-être se faire faire un scanner du cerveau quand on a déclaré qu'on peut PRODUIRE un individu libre.

 

L'amour n'est pas une déviance, même s'il s’arrache aux habitudes prises ou, pour citer encore une fois Vincent Peillon, aux déterminismes familial, social et intellectuel.  Il est vrai qu'on n'aime pas lorsqu'on ne fait que s'inscrire dans les cycles naturels de la reproduction. Le tragique de Roméo et Juliette entre Médor et Louloute ? Inimaginable. La poésie et la littérature, comme je l'ai brièvement montré, nous font voir que l'amour est un voyage vers l'au-delà de soi-même. L'extraordinaire est que ce voyage a pour destination la chair de l'autre. Ça complique tout. Comment partir pour l'au-delà tout en voulant passionnément s'approcher de la chair d'un corps aimé ? Cette chair, elle, n'est pas dans l'au-delà puisqu'elle est mortelle et donc putrescible.

Jan Marejko, 23 mai 2015

 

*Cette citation est tirée d'un article paru sur les Observateurs.ch le 15 avril 2013, «La théorie du genre, un état d'esprit funeste.

 

 

 

20 commentaires

  1. Posté par Renaud le

    L’amour est l’élan vers l’Autre. Chacun se choisit une altérité à sa mesure. L’être humain ayant la fâcheuse tendance à réduire l’Autre au Même, c’est à dire de le rapporter à soi, il habille cette bassesse du nom prestigieux de science dont la théorie du genre est un avatar. Le principe de la science est celui d’un animal craintif mais possédé par la curiosité qui sort de soi pour un frisson et retourne illico dans sa niche. Quand les craintifs prennent le pouvoir on obtient la société actuelle.

  2. Posté par Moshé_007 le

    Magnifique de voir tant de spécialistes abrités sous la même enseigne !

    Les propagandistes tout genre vont s’en donner à coeur-joie !

    Attention aux excès de douceurs, diabètes en vue !

  3. Posté par Anne Lauwaert le

    Kandel, c’est d’accord, voici un épisode pour vous amuser encore
    L’amour en tant que sentiment oui, mais partagé avec les plantes ou les animaux car la confiance est possible.
    L’amour en tant que sexe avec des humains oui, dans le sens tantrique de « chemin de l’extase » .
    Quant à « croire » à ce qu’on écrit, je n’emploierais pas le verbe « croire ». Il ne s’agit pas de croire ce qu’on écrit, ni d’écrire ce qu’on croit, mais plutôt de constater. Arriver à la fin de sa vie c’est comme sortir d’une voie d’escalade : aussi longtemps qu’on est en paroi l’attention est fixée sur la recherche du passage, ce n’est que quand on arrive au sommet qu’on a le loisir d’analyser et de comprendre comment on a franchi les problèmes.
    Eh oui, avoir pu vivre au Congo et au Pakistan est un grand privilège, mais aussi une grande nostalgie, alors, le soir, assise au coin du feu…
    Suite au prochain numéro…

  4. Posté par Moshé_007 le

    Passionnant ces ébauches sur « l’amour » !!

    Claudel s’y était risqué, c’est sans doute ce qu’il y a de plus débile à retenir de son oeuvre, si pour autant c’était pas la frangine qui l’avait inspiré, comme d’ailleurs ce fut le cas avec Rodin !

  5. Posté par KANDEL le

    Mme Anne Lauwaert, merci pour votre commentaire qui nous amuse bien … tant vous croyez à ce que vous écrivez !

    Sur le fond, Mr Marejko vous a déjà répondu, je n’ai rien à rajouter !

    Nous sommes très nombreux à apprécier vos épisodes de vie mettant en scène des musulmans et/ou des africains ; par avance, merci pour les épisodes suivants.

  6. Posté par Anne Lauwaert le

    Jan en effet nous ne sommes pas que des animaux, presque toujours nous sommes pires que les animaux.

  7. Posté par C. Donal le

    L’amour ?
    L’élu de notre cœur (ou de notre besoin, The Selfish Gene) serait en possession de quelque attribut (physique ou psychique, social, spirituel éventuellement, réels ou projetés) dont nous ne disposons pas, ou pas en quantité suffisante ou pensons ne pas pouvoir développer, pour traverser la vie ou la tranche de vie. Une histoire de dipôle lorsque la flamme prend.
    Le rêve et la réalité, la forme et le fond. L’un n’empêche pas l’autre, mais le fond est biologique.
    On peut broder romance, spiritualité ou droit de l’homme. On peut même vouloir remplacer le fond par la forme en forçant. A l’image des « experts hors-sol », Vincent Peillon entre autres Ada Marra, menant le troupeau à la falaise.

  8. Posté par Jan Marejko le

    Anne, nous sommes des animaux, mais nous ne sommes pas QUE des animaux. P.H. Reymond, la vie de l’esprit est pavée d’incompréhension et de méprises, hélas!

  9. Posté par Anne Lauwaert le

    Amour? Je n’ai pas tout lu mais j’ai quand même envie d’ajouter mon grain de sel. Voilà: Nous sommes des mammifères et dès que la femelle atteint sa maturité sexuelle (chez les petites filles vers 12 ans) elle va en chaleur et se cherche un mâle pour la féconder… (d’où les comportements hystériques de nos adolescentes ) Pour attirer les mâles, les femelles émettent des phéromones, parfums auxquels les mâles ne résistent pas. (raison pour laquelle une hotte aspirante est plus efficace qu’une burqa) La femelle choisit le mâle qui lui paraît le plus apte à être un bon géniteur. Dès que la femelle est fécondée ses hormones ne font qu’un tour et elle ne s’occupe plus que de sa grossesse, accouchement, bébé. Quand l’enfant est en mesure de s’alimenter et ne tête plus, les hormones de la femelle redémarrent et on est repartis pour un tour. Le pauvre mâle est sous le tir constant des phéromones qui sillonnent l’air. Peu ou pas de mammifères vivent en couple… La ménopause délivre la femelle de ses chaleurs et elle peut finalement jouir tranquillement de la vie alors que les phéromones continueront à torturer le pauvre mâle jusqu’à sa dernière inhalation… Brodez tout ce que vous voulez autour de l’amour, croyez-en ma vieille expérience, le fin fond de l’affaire c’est tout ça pour ça…

  10. Posté par Pierre H. le

    @Pierre-Henri Reymond
    Je crois que vous n’avez pas compris ce que je voulais dire.

  11. Posté par Jan Marejko le

    Pierre Henri Raymond, j’aime cette formule : « je n’ai jamais étouffé les questions ni ne les ai ensevelies sous un savoir. » Dans une large mesure, nos universités sont devenues des lieux où l’on apprend à ensevelir les questions sous un savoir. Certes, le savoir est important mais quand il ensevelit il devient un « serial killer » des âmes.

  12. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Pour ceux qui ont vu « l’aile ou la cuisse », Pierre H. me fait penser à Tricatel. Il est bien évident que la « nature » n’aurait jamais osé s’adresser à quelqu’un de son importance. Et si la nature s’était contentée d’écrire quelque chose en lui, c’est enseveli. Pour le reste, il dit juste. Enfin, presque.

  13. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Je n’ai pas vu, contrairement à Jan Marejko, la niaiserie de « ils furent heureux…. » dès l’adolescence. Ma maturation fut plus longue. Quand je vois un couple enlacé, je vois souvent le désastre écrit sur leurs visages. Et j’angoisse pour l’enfant, ou les enfants.
    Les amants du Cantique ne se rencontrent jamais. Cette histoire recèle des choses cachées.
    Vautrin est très « technique ». Désagréablement. Il ignore les facultés de retour et de croissance. Ses yeux ne voient que le mal. Quand à son affirmation de l’hypocrisie de curé à propos de « tu aimeras ton prochain comme toi-même, je dirait qu’elle est inévitable. Un texte aplati pour des images bucoliques et des dogmes simplistes ne peut produire autre chose.
    Quand le Gotha de la planète est réuni en la basilique de Saint-Pierre de Rome pour voir un Pape poser une poupée dans une crèche, et larmoyer « Dieu aie pitié de nous » et nomme ça la foi, Vautrin peut railler, et à bon droit. Mais alors quoi? Pour ma part j’ai entrevu du sens dans les écritures dès l’âge de dix ans. Et cela a mis 33 ans à germer. Je n’ai jamais étouffé les questions, ni ne les ai ensevelies sous un savoir.

    Je ne vous livrerai pas le sens de « tu aimeras… », qui n’a rien d’ésotérique, et n’a rien d’un commandement! Pour la bonne raison que je l’ai déjà fait!

  14. Posté par Pierre H. le

    « Je m’émancipe parce qu’au lieu d’aller vers le mâle ou la femelle comme la société ou la nature m’ont dit que je dois aller, je dis non à la femelle et vais vers le mâle, ou l’inverse. « 

    Personnellement, ni la société ni la nature ne m’ont dit quoique ce soit sur le où aller. J’étais déjà attiré par les femelles à l’âge de 3 ans et jouait au docteur avec les filles dès 4 ans. C’est pourquoi je pense que les intellectuels de l’abstrait, souvent, se torturent eux-mêmes et les autres avec des théories abracadabrantes (un peu comme les socialistes 😀 ). Je note une chose qui en ressort, c’est que c’est incroyable comme les gens font énormément de choses en fonction des autres, soit pour leur plaire soit pour les emmerder. Vivons chacun pour nous-mêmes sans vouloir toujours créer un effet sur les autres.

  15. Posté par Moshé_007 le

    Souvenez-vous en 1998 lorsque madame Guigou dans ses gesticulations avec le PAX promettait qu’il n’y aura jamais de mariage gay !

    C’est un peu comme ça que j’entrevois la politique du PS, ils ne sont pas pressés pour aboutir à leur travail de taupes !

  16. Posté par Moshé_007 le

    Chômage, GPA, amour, immigration, une ministre de la culture qui n’a jamais lu Modiano, al qaïda, le FN, tambour, mais qu’est-ce qu’on s’em…… !

  17. Posté par Moshé_007 le

    « l’amour », quelle invention géniale !

    Le sésame à toutes les débâcles, surtout culturelles, maintenant ce sont les politiques qui imposent « l’amour », quel progrès !

  18. Posté par KANDEL le

    « Et il faut peut-être se faire faire un scanner du cerveau quand on a déclaré qu’on peut PRODUIRE un individu libre. »

    Génial, … j’achète !

  19. Posté par Haskaj Gjon le

    Ah ! Merci cher Monsieur pour m’avoir révélé le nom de ce personnage qui m’a fait bondir de mon canapé en affirmant avec désinvolture que « l’Eglise catholique finirait par faire le pas également ».

  20. Posté par Vautrin le

    « Parlant de genre, je pense au malheur de Penthée, représentant l’ordre rationnel d’Apollon dans Thèbes. Dionysos lui tend un piège infâme : pour surprendre les Bacchantes, lui explique-t-il, « revêts ton corps d’une robe de lin. » « Comment, d’homme soudain vais-je devenir femme ? » s’insurge Penthée. « Crains la mort, si jamais on reconnaît ton sexe », dit Dionysos. Mais on connaît la suite : dans des transes hallucinatoires, Agavé, mère de Penthée, massacre son propre fils, tandis que le chœur célèbre l’holocauste de Penthée qui, « vêtu d’une robe de femme, prit en mains le narthex, le beau thyrse, présage de mort assurée. ». Les folles ménades modernes transgressent la raison et l’ordre apolliniens, tuent la virilité. Il ne peut en résulter qu’un immense désordre et la ruine de Thèbes. » (chapitre « Du genre »)

    « Au fond, il y a une parenté entre les théories du genre et le port du voile islamique. C’est toujours la nature que l’on veut culturellement –par excès de culture- effacer (et non pas nier dialectiquement) : d’un côté, effacer la différence des sexes, de l’autre effacer la concupiscence sexuelle (et non inducatio in tentationem, et ne nous soumets pas à la tentation !). Et si l’on veut un peu fouiller les élucubrations du genre, on verra que l’on cherche aussi à évacuer les éléments de séduction propres à chaque sexe, qui vont se nicher, les bougres, jusque dans la profession exercée. De fait, en présentant les femmes comme des proies, soumises à de vils séducteurs qui ne cherchent qu’à les dominer, incapables de se défendre, les généristes ne font que les dégrader, leur nier toute capacité humaine à s’identifier, nier en dernier ressort leur identité formelle. Exactement comme l’anti-racisme dégrade ses protégés.  » (même chapitre)

    « Il est amusant de constater que malgré les délires du genre et l’extrême-féminisme, il y ait encore des gens pour succomber aux traits du fils de Vénus, ce joufflu ailé dont le nom vient précisément de « cŭpĭo », « cŭpiĕre », le verbe désirer, dont on a dérivé « cupidité » au XIVe Siècle. Ce qui place évidemment la question au niveau du désir dont nous avons déjà parlé. On aurait tort d’opposer le Kâma-Sûtra à l’amour courtois : quant au fond, cela vise un plaisir hédonique ; la preuve, c’est qu’au bout du compte, dans l’amour courtois, la Belle finit par concéder à son soupirant, après bien des péripéties flairant vaguement le sadomasochisme, le « soreplus », ce surplus qui est bel et bien l’objectif principal.  » (chapitre « De l’amour »)

    « Á vrai dire, il n’y a pas fondamentalement de différence du point de vue du désir entre aimer quelqu’un et aimer le steak. Ça doit se jouer quelque part entre la Gestaltung (association primaire d’une forme et d’une notion) apparaissant (peut-être) du côté du cortex orbito-frontal latéral et des noyaux amygdaliens du paléo-cortex reptilien libérant les neurotransmetteurs idoines pour une réaction somatique, et la Culture. C’est la réponse primaire au stimulus ; le steak bien enrobé d’une sauce au poivre fait saliver. L’objet humain aussi, d’une certaine façon ; entre autres phénomènes dont on a l’expérience, le cœur bat plus vite, avec plus de force : c’est de l’émotion dans ce qu’elle a de plus physiologique. Mais seul un fou offrirait un collier de perles (ou une boucle de cheveux) à un morceau de viande frit. L’humain passe normalement (s’il n’est pas psychopathe) cette cupidité au crible de la culture. Nous avons plus haut évoqué le transfert, et c’est bien de cela qu’il s’agit.  » (même chapitre)
    Et pour finir :
    « Le transfert impose les voies détournées et complémentaires de la conquête et de la séduction, le jeu hypocrite du Tendre dont la carte est biseautée. Comme la belote, ce Liebesspiel -jeu de l’amour- se joue avec quatre couleurs, quatre plans de rationalité. Côté désir, il implique une frustration, temporaire ou durable, et, comme dit plus haut, des fantasmes pas nécessairement érotiques, d’ailleurs, parfois héroïques : c’est le preux chevalier délivrant la belle princesse, et peu importe que le chevalier soit bureaucrate ou Encolpe et la princesse Vénus de barrière ou Giton. On oublie les défauts, ou plus exactement : on ne les voit pas, ou on les minimise ; lorsqu’ils finissent par l’emporter –ce qui est presque invariablement le cas- la fantasmagorie s’évanouit et l’amoureux transi se ramasse durement sur le pavé. Bien fait ! L’expression varie au gré de la situation, du sourire béat et niais à l’air de chien battu. » (ibidem)

    Conclusion :
    « Bref : je ne vois rien de positif dans « l’amour » défini comme l’habillage culturel de la pulsion. Et, franchement, il n’y a pas d’autre définition possible à apporter sans se leurrer. Laissons de côté « l’amour du prochain » qui n’est qu’hypocrisie de curé, ou « l’amour-propre » qui n’est qu’une fausse appréciation de soi-même : au bout du compte, il ne reste rien. Mais c’est une tendance de nos sociétés décadentes que de valoriser l’épanchement sentimental au détriment de l’analyse lucide.
    « La haine est pour la vie un stimulant aussi puissant que l’amour » disait, paraît-il, Bismarck. L’un peut compenser les excès de l’autre et vice-versa. Bah ! Tant qu’il y aura de l’amour, le « gender » ne triomphera pas ! C’est là son utilité. « 

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