Macédoine : ni Bruxelles, ni Berlin, svp!

Pascal Décaillet
Pascal Décaillet
Journaliste et entrepreneur indépendant

 

Dès mon premier passage en Macédoine, il y a très longtemps, j’ai aimé ce pays. Elle était à l’époque une République de la Yougoslavie, simple et pauvre, très paysanne, on voyait partout des ânes, pas encore remplacés par les machines agricoles. C’était une époque où j’allais beaucoup en Grèce, on visitait la Macédoine grecque (oui, je sais, pour mes amis grecs, ces deux mots, mis ensemble, forment pléonasme), mais nul ne se souciait de la Macédoine yougoslave. Ce pays était pourtant d’une troublante beauté, et rien que d’en parler, j’ai envie d’y retourner.

 

On n’a recommencé à parler de la Macédoine que lors de sa déclaration d’indépendance en 1991 (lorsque la Yougoslavie a commencé à éclater), puis lors du conflit du Kosovo, à la fin des années 1990. Lorsque j’étais à Pristina en décembre 1998, on parlait beaucoup de Macédoine, car il existe dans ce pays une forte population albanaise. Beaucoup moins importante, en proportion de l’ensemble de la démographie du pays, qu’au Kosovo, mais tout de même une proportion qui compte, et peut peser sur le destin du pays : entre 25% et 40%, en fonction des données des uns ou des autres. La démographie, dans les Balkans, est non seulement loin d’être une science exacte, mais s’avère le principal argument de propagande des antagonistes ethniques. L’un des intellectuels albanais que je fréquentais à Pristina en 1998 était un professeur de géographie, démographe justement : le pouvoir encore tenu par les Serbes le pourchassait.

 

Et puis voilà que depuis hier, on reparle de Macédoine. Grande manifestation, entre 40'000 et 50'000 personnes, contre le pouvoir en place, celui du Premier ministre Nicola Gruevski. On parle de corruption, justice et médias à la botte du pouvoir, etc. Les détails sur cette manifestation, nous sont donnés par qui ? Je vous le donne en mille : par l’OSCE, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, qui se félicite que les différentes composantes ethniques du pays (très complexe, passionnant, nécessitant impérativement une vision diachronique pour comprendre) se soient mises ensemble, dans la manif, pour dénoncer les « dérives du pouvoir en place ». On se félicite qu’Albanais, Macédoniens, Roms et Turcs défilent ensemble contre une équipe gouvernementale, jugée pourrie. Et les dépêches, en chœur, reprennent cette interprétation.

 

Originaire de la Macédoine grecque, Gruevski est un orthodoxe pratiquant, il incarne une vision qui n’est pas exactement celle de l’OTAN et de l’Union européenne, dans les Balkans, depuis 1991. Un jour, l’Histoire de la décennie 1990 dans cette région d’Europe sera enfin écrite. On y dégagera le rôle des uns et des autres, nul n’étant évidemment blanc, mais nul n’étant totalement noir. On y établira le rôle de l’Allemagne de MM Kohl et Genscher dans le démantèlement de la Yougoslavie, le suivisme de l’Europe, hélas même celui de la France. On y décryptera le financement de l’UCK, la fonction jouée par les services secrets allemands, les vraies finalités stratégiques de l’OTAN. Oui, tout cela, un jour, sera établi. Parce que tout cela, simplement, doit l’être.

 

Au cœur des Balkans, en conflit historique avec la Grèce sur le nom même du pays, la question macédonienne est aussi passionnante que complexe. Il faut bien sûr espérer que toutes les communautés ethniques composant ce pays puissent y vivre en paix et le respect mutuel. Mais les premiers signaux de ce qui s’est passé hier à Skopje ont de quoi inquiéter. Que le pouvoir soit corrompu, c’est bien possible. Il ne s’agit ici ni de le défendre, ni de l’accabler. Mais quand on voit des diplomates et des parlementaires européens rejoindre la manifestation, et promettre le soutien de l’Union européenne, alors oui, il y a de quoi avoir peur. Voilà qui rappelle, presque au mot près, ce qui a pu se passer à Kiev il y a quelques années.

 

Respectons les Macédoniens. Ces manifestations sont les leurs, elles ont évidemment des raisons d’être. Souhaitons de toutes nos forces que ce pays demeure dans la pluralité ethnique qui, depuis la nuit des temps, lui est propre. Mais de grâce, que l’Union européenne, et surtout pas l’Allemagne de Mme Merkel, que l’OTAN, se gardent bien d’aller fourrer leur nez dans les affaires macédoniennes. On espérait que le chapitre des violences balkaniques ait bien voulu, pour un temps, se refermer. Assurément, il se rouvrira toujours dans l’Histoire. Mais de grâce, ne laissons pas Bruxelles et Berlin jeter de l’huile sur le feu.

 

Pascal Décaillet, Sur le Vif, 18 mai 2015

 

 

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