Une démocratie affaiblie par les parlementaires eux-mêmes

Suzette Sandoz
Suzette Sandoz
Prof. honoraire UNIL

Si les Parlementaires avaient le courage de déclarer totalement nulle toute initiative populaire ne respectant pas l’unité de la matière, ils contribueraient à renforcer la démocratie. En effet quand une initiative comporte deux ou plusieurs buts, on ne peut savoir lequel a spécialement convaincu le citoyen qui l’a signée et la volonté des citoyens est donc obscure, ce qui nuit à la démocratie et au respect de ladite volonté. Malheureusement, les Parlementaires ne sont en général courageux que si l’initiative émane d’un tout petit groupe de citoyens. Quand un parti gouvernemental ou un groupement politique important soutient ou lance officiellement une initiative - souvent à des fins électoralistes – qui ne respecte pas l’unité de la matière, on tergiverse mais on est d’une timidité extrême. Un exemple tout récent est celui de l’initiative sur l’impôt successoral, soutenue par le parti socialiste, et qui poursuit le double but d’instituer un impôt successoral fédéral en violant la souveraineté cantonale et d’en enrichir l’AVS, deux buts bien distincts. N’importe quel parlementaire un peu soucieux du sérieux des institutions aurait dû déclarer nul ce texte dont l’absence d’unité de la matière empêche le citoyen de prendre une décision claire. Mais le Parlement s’est contenté d’inviter à rejeter cette initiative, incitant par cette mollesse à poursuivre le dépôt d’initiatives bricolées et malsaines. Tel est le cas de l’initiative actuelle du PDC en faveur de la famille. Elle comporte deux volets bien distincts : d’une part, une définition du mariage, en tant qu’union durable d’un homme et d’une femme, d’autre part, une clause fiscale relative aux époux. Pourquoi, au nom du ciel, le PDC a-t-il voulu ainsi violer la règle de l’unité de la matière ? Il devait déposer une initiative ne concernant que la définition du mariage. Cela eût permis de savoir si oui ou non le peuple et les cantons étaient bien d’accord de conserver une notion hétérosexuelle du mariage, seule notion acceptable à mes yeux comme à ceux de bien des citoyens puisque le peuple suisse a accepté de n’unir les personnes de même sexe que dans un partenariat enregistré et non  pas dans un mariage. La question fiscale, elle, aurait parfaitement pu faire l’objet d’une autre initiative, même simplement parlementaire, respectant d’ailleurs l’exigence, votée par le peuple en même temps que le partenariat enregistré, de l’égalité de traitement fiscal  des partenaires enregistrés et des époux.

Si les parlementaires avaient eu le courage de prononcer la nullité totale de l’initiative PDC pour défaut d’unité de la matière, il eût été possible de reprendre le sujet comme cela aurait dû être fait selon ce qui est dit plus haut. Malheureusement, la lâcheté parlementaire va avoir pour conséquence éventuellement que l’on  présentera un contre-projet qui respectera l’égalité fiscale voulue par le peuple, entre époux et partenaires enregistrés, mais évacuera la question du mariage, après que le Parlement aura bien insisté sur la nécessité de ne pas « fermer la porte à un élargissement de la notion du mariage conforme à l’évolution de la société ». Et si le contre-projet est accepté par le peuple et les cantons, et l’initiative, rejetée, les chances de succès ultérieur d’une initiative concernant la seule définition du mariage seront lourdement hypothéquées.

Pour corriger sa propre erreur et la lâcheté du Parlement, le PDC aurait tout intérêt à retirer sa propre initiative en faveur du contre-projet pour que seule la question fiscale soit soumise au vote du peuple et des cantons, et ensuite de présenter une nouvelle initiative concernant uniquement la définition du mariage.

La démocratie dégénère quand elle manque de clarté. La règle de l’unité de la matière consacrée par la constitution fédérale est une marque de respect de la volonté des citoyens dont les parlementaires auraient tout intérêt à tenir compte plutôt que de se plaindre d’être épuisés par le nombre d’initiatives populaires déposées. Ils sont eux-mêmes la cause des abus.

 

Suzette Sandoz, 14 décembre 2014

6 commentaires

  1. Posté par aldo le

    « La démocratie dégénère quand elle manque de clarté » Tout est dit! N’oublions pas que le manque de clarté est, dans de nombreux cas, le fait de politiciens avocats… qui, comme lobby, pour se donner du boulot, nous fabriquent une inflation législative constellée d’inepties, propre à rendre le droit inaccessible au commun des mortels. Donc la justice existe plus pour les bénéficiaires de l’aide judiciaire que pour un citoyen payeur de cette même aide.

  2. Posté par Marie-France Oberson le

    Excellent article Madame Sandoz!
    @DAG: je ne crois pas que cela relève de l’incompétence des parlementaires, mais plutôt, comme le dit Mme Sandoz d’un manque de courage certain et d’une certaine lâcheté de leur part !

  3. Posté par DAG le

    Madame le Professeur Suzette Sandoz apporte une contribution éclairée à la bonne gestion des objets soumis au vote populaire et à l’endroit d’initiatives qui ne respectent pas l’unité de la matière : on l’en remercie.

    Quand donc retrouvera-t-on une classe politique qui connaît son métier et qui sait nous dispenser de voter sur des objets ficelés qui n’autorisent pas la détermination claire et précise sur ce qui est proposé à notre sagacité ?

    Madame le Professeur Suzette Sandoz a raison : les Chambres fédérales, pourtant étonnamment soucieuses à certaines occasions de leurs prérogatives, ne font ici pas correctement leur travail et la démocratie s’en trouve affaiblie. Peut-être faut-il y voir encore la difficulté qu’ont aujourd’hui les Chambres fédérales à mettre en œuvre de réelles compétences et aptitudes, voire les connaissances spécifiques qu’exigent les missions qui leur sont confiées.

  4. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    C’est pour cela qu’Ecopop n’aurait pas du mentionner l’encouragement au planning familial volontaire chez les pygmées et l’argent qui va avec! Dire qu’il s’en est trouvé, comme toujours, pour interpréter la volonté du peuple!

  5. Posté par KANDEL le

    « Cela eût permis de savoir si oui ou non le peuple et les cantons étaient bien d’accord de conserver une notion hétérosexuelle du mariage, seule notion acceptable à mes yeux comme à ceux de bien des citoyens puisque le peuple suisse a accepté de n’unir les personnes de même sexe que dans un partenariat enregistré et non pas dans un mariage. »
    OUI; OUI; OUI allons le PDC du courage et suivez cette « évidence chrétienne » … ou bien changez le nom de votre parti.

  6. Posté par Le furet le

    L’article de Madame Sandoz est remarquablement intéressant. Elle démontre l’incohérence de la classe politique qui prétend gouverner le peuple. Certes, on pourrait évoquer encore bien d’autres incohérences. Tout cela ne fait que renforcer la méfiance qui s’installe à l’égard du parlement fédéral (deux chambres réunies).
    Quant à la définition du mariage par le PDC on pourrait ajouter celle du mariage gay énoncée par Jean d’Ormesson !!!

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