[Reprise] L’Europe au rythme de Juncker, par Philippe Grasset

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Reprise de 2 bons articles de DeDefensa et un de la Tribune sur Juncker.

Enorme ça : des élections montrant que les peuples ne veulent pas de plus d’Europe, et les types choisissent un fédéraliste forcené (issu d’un paradis fiscal), alors que l’Angleterre n’en veut absolument pas !! Ce qui la pousse vers la sortie (ce qui n’est pas un mal pour elle, et pourrait nous donner des idées…)

Au prétexte de “Démocratie”, que le PPE (qui n’existe pas, on est d’accord, un lecteur aurait-il une carte du PPE là ?) aurait “gagné les élections” : “David Cameron, le Premier ministre britannique, refusant de se voir imposer Jean-Claude Juncker, la tête de liste du PPE (conservateurs) qui a pourtant gagné les élections” (Quatremer Inside)  

Question : depuis quand 28 % des sièges, ça s’appelle “gagner les élections” ?

Pour information, les socialistes, dont les rares députés du PS, vont voter pour Junker – normal quoi… Mais rassurez-vous, ils se sont déjà partagés les postes avec le PPE…

 

Épreuve de force et lutte à mort

(billet du 31 mai 2044) Nul ne se plaindra du départ du citoyen-président Barroso, effectivement président de la Commission Européenne (CE) doté de l’exceptionnalité d’une médiocrité sans limites, exercée pendant de longues années colorées d’une ternitude palpable. Barroso avait été choisi pour cela, – sa médiocrité, sa ternitude, – et il a n’a pas démérité : Mission accomplished, comme disait l’autre. Son successeur devrait être l’ancien Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, et l’on passe à une autre dimension, à un autre rythme ; la perspective s’est brusquement éclairée à cet égard avec le très récent tournant de Merkel en faveur du soutien de Juncker (voir le 30 mai 2014, en consultant le Guardian). Avec Juncker, nous changeons de registre par rappeur à Sa-Médiocrité Barroso : activiste, adepte du franc-parler, brillant et corrosif, la pensée ferme et droite, toujours intéressant sinon explosif dans ses déclarations, Juncker est une sorte d’antithèse de son éventuel prédécesseur.

Le choix de Merkel («The German chancellor said at the National Catholic Congress in Regensburg: “I will now lead all negotiations in the spirit that Jean-Claude Juncker should become president of the European commission.”») nous permet d’assumer que Juncker a de fortes chances de devenir le nouveau président de la CE, et nous pouvons raisonner sur cette hypothèse, – mais en comprenant bien que l’hypothèse est un cas-limite d’une situation des institutions européennes qui évoluera complètement, inéluctablement, avec ou sans lui, dans le sens décrit. Effectivement, la nouvelle situation, Merkel regnante, nous permet d’assumer qu’au moins l’esprit de la direction européenne est bien dans le sens qu’opérationnaliserait le choix éventuel de Juncker. Certes, on peut s’arrêter aux considérations démocratiques, qui permettent de badigeonner d’un peu de vernis convenable la situation européenne, puisque Juncker est le choix pour la présidence de la CE du premier parti (PPE, ou centre-droit type-démocrates-chrétiens) du Parlement Européen (PE) renouvelé. Tenons-nous-en là pour ce domaine du simulacre et passons aux choses sérieuses : la montée de Juncker implique le renforcement d’une résolution de la direction européenne qui colore un état de l’esprit particulièrement remarquable. Parlant après le résultat des élections européennes et la montée des “eurosceptiques”, Juncker a abruptement répondu qu’il n’en avait cure (bref, qu’il s’en fout, – “I don’t care”) puisque la vraie et belle “démocratie”, c’est la première place du PPE au PE, et que, “démocratiquement”, il est naturel que lui-même soit désigné. (Effectivement, le PE joue désormais un rôle important dans diverses décisions européennes, et notamment dans la désignation du président de Commission Européenne.)

Poursuivons l’hypothèse et constatons que la désignation éventuelle de Juncker se fait sur un fond déclamatoire qui confirme, que non seulement “on s’en fout”, de la montée des “eurosceptiques”, mais qu’en plus on la tient pour pire encore que ce qu’elle est : la montée de la “peste brune”, résurrection d’une protohistoire toujours prête à servir dans l’arsenal sexydes pro-européens, ces hyper-postmodernistes vivant au rythme des années 1930. Dans un autre article du Guardian, du 28 mai 2014, on lisait des échos de déclarations qui ne nous l’envoient pas dire…

«Speaking at a conference in Berlin, Wolfgang Schäuble, the German finance minister and one of the most influential politicians in the EU, deplored the outcome of the European election in France where Marine Le Pen’s FN made its biggest breakthrough to win the ballot with 25% of the vote. “A quarter of the electorate voted not for a rightwing party but for a fascist, extremist party,” said Schäuble. [...]

»The attack on the FN was taken up by Viviane Reding, the vice-president of the European commission. Asked by a Swiss television station whether the FN’s triumph imperilled democracy in Europe, she responded: “It is absolutely dangerous, like all fascism.” While neo-fascists from Greece, Hungary and Germany won seats in the Strasbourg parliament, the far right also scored dramatic victories in Britain and Denmark and did well in Austria.

»On the other side of the political spectrum, the hard left also won the election in Greece, did well in Ireland and boosted its presence in several countries. Reding branded some of them as fascist, too. “There is also the fascism of the left which will be in the parliament.”»

Un aspect très spécifique de la situation européenne, c’est que l’éventuelle victoire de Juncker serait une défaite cuisante pour le Britannique Cameron. On sait que Juncker déteste les Britanniques, en privé sans aucune retenue et en public avec le sarcasme aux lèvres ; il les juge irrémédiablement anti-européens. “Bien vu”, se réjouiraient certains Français peu sensibles à la contraction du temps et à l’accélération de l’Histoire qui changent toutes les données, et croyant dur comme fer à l’Europe de leurs rêves, celle à laquelle on pouvait encore s’attarder à croire il y a un quart de siècle et même un peu plus. Mais non, Juncker ne dit pas cela parce qu’il veut une Europe indépendante dans le sens qu’elle serait débarrassée de l’influence US que relaient les Britanniques et qui constitue un des aspects importants de son absence d’indépendance politique. Sa démission en 2013 du poste où il semblait inamovible de Premier ministre luxembourgeois (voir par exemple RTBF.info, le 11 juillet 2013) est due au scandale SERL (services de sécurité luxembourgeois). On avait alors appris qu’en 2006-2007, Juncker avait montré un comportement tout à fait indifférent et laxiste devant la révélation que le SERL, bon serviteur du réseau Gladio “géré” par l’OTAN, entretenait un énorme fichier de surveillance des citoyens grands-ducaux, pour servir notamment à l’information et aux entreprises de Gladio, et aussi du MI6 britannique et, par voie de servilité, de la CIA. Juncker n’a pris aucune mesure, il a laissé faire, n’y trouvant rien à redire ; il n’est pas un atlantiste acharné, du type agent actif-neocon, mais simplement un atlantiste disons par habitude sinon par défaut et indifférence, fataliste de la domination US au niveau de toutes ces fonctions régaliennes de la souveraineté et de la sécurité générale, – toutes choses assez étrangères au Luxembourg et à Juncker. Non, répétons-le, si Juncker déteste les Britanniques c’est parce qu’il les juge anti-européens selon ses propres conceptions intégristes de l’Europe, à lui Juncker.

Merkel semble être venue à lui finalement, alors qu’elle favorisait d’abord l’Allemand bon teint Martin Schultz (social-démocrate du Parti Socialiste Européen [PSE] au PE), pour répondre à des pressions nouvelles, y compris en Allemagne même avec un édito fracassant du Bild et d’autres interventions (voir EUObserver le 31 mai 2014), parce que Juncker s’impose comme le candidat le mieux élu et qu’il importe de plus en plus aux instances européennes d’avoir au moins des allures démocratiques. D’autre part, avec Juncker les nécessités démocratiques font bien les choses si l’on considère l’envergure et l’activisme intégriste mais tactiquement habile du personnage. Il faut voir que ces diverses manœuvres tendent à imposer au niveau européen une riposte politicienne des grands partis-Système dont certains font face à une terrible situation au niveau national (en France et au Royaume-Uni, principalement). Considérée d’un point de vue plus élevé, cette évolution installe l’affrontement entre européistes-Système et eurosceptiques-antiSystème à tous les niveaux de pouvoir en Europe ; elle renforce l’antagonisme entre les institutions européennes, salvatrices des grands partis-Système en danger aux niveaux nationaux, et les situations nationales où dans bien des cas monte l’euroscepticisme.

Ce qui est intéressant, c’est que, dans cette passe d’armes, Cameron s’est retrouvé, en s’opposant à Juncker qu’il connaît bien comme européen intégriste sans partage (ses services, MI6 en tête, le tiennent au courant), dans le rôle de défenseur de l’État-nation et de la prise en compte du vote des “eurosceptiques” … «“Europe cannot shrug off theses results. We need an approach that recognises that Europe should concentrate on what matters, on growth and jobs and not try and do so much,” said Cameron. “We need an approach that recognises that Brussels has got too big, too bossy, too interfering. We need more for nation states. It should be nation states wherever possible and Europe only where necessary. Of course we need people running these organisations that really understand that and can build a Europe that is about openness, competitiveness and flexibility, not about the past.”»

“Intéressant” et curieux à la fois, parce que ce rôle-là, ce n’est bien entendu pas Cameron qui aurait dû le jouer mais bien Hollande, parce que la France est de tradition la défenderesse de la souveraineté des nations. Bien entendu, il n’en fut rien et il n’en est rien, le président-poire ajoutant à sa dimension fruitière initiale celle de président-camembert par temps de canicule en pleine dissolution et qui inventerait pour peu le sondage de popularité de type négatif (3% de Français favorables à sa réélection, – bientôt “– 3%” ?) ; par conséquent, il n’en sera rien… Hollande ne peut manifester une véritable opposition de la France au processus en cours, symbolisé par Juncker, puisqu’il n’est plus un acteur français dans le désordre actuel, mais bien un acteur “européen” tenu à bout de bras, relayant le diktat européen à l’Elysée et rien d’autre, et qui plus est “acteur européen” que ses collègues méprisent ouvertement puisqu’il est incapable de tenir sa maison en ordre. C’est une sorte de Juncker en caoutchouc, tout mol, – certes, sans les tripes, la vigueur et le franc-parler, – comme si la France était réduite au Luxembourg, – certes, France réduite au Luxembourg mais sans les banques ni la prospérité. Bref, passons outre puisque la France n’a pour l’instant plus rien d’elle-même dans ses structures principielles vidées de leur contenu, et donc plus aucun rôle institutionnel à jouer.

Poursuivons l’hypothèse Juncker qui est l’hypothèse extrême d’une situation inéluctable d’affrontement entre l’Europe institutionnelle et les nations. Ce qui se profile c’est une machine de guerre institutionnelle européenne (les institutions européennes) plus intransigeante que jamais après ces élections qui lui ont apporté un cinglant démenti. Plus Bruxelles-Europe est mis en question par les événements qu’il suscite, plus Bruxelles-Europe ne supporte pas de l’être puisque Bruxelles-Europe est oint d’une sorte d’huile sacrée nommée “Europe” qui lui interdit d’accepter la moindre réticence, la moindre critique. Il faut entendre du dedans, c’est-à-dire chez certains fonctionnaires de cette direction qui y furent directement impliqués, le récit de la circonstance initiale de novembre 2013 qui déclencha la crise ukrainienne, l’extraordinaire intransigeance du Commissaire à l’Elargissement de la Commission, tchèque de nationalité, qui mena les négociations et refusa la moindre concession à Ianoukovitch, ne lui laissant d’autre choix que de refuser, – et ainsi pourra-t-on mieux comprendre cette crise-là… “Et ainsi” pourrait-on mieux envisager d’autres crises, avec l’évolution probable de l’attitude de Bruxelles-Europe, notamment, et particulièrement d’une manière symbolique pour nous, si Juncker devient président de la CE. Nous aurons une complète intransigeance vis-à-vis des États-Membres, et particulièrement ceux qui ont eu des votes eurosceptiques marquants. S’il le faut et si les circonstances vont dans ce sens, – et rien ne montre qu’elles puissent prendre une autre tournure, – rien n’empêcherait que l’on envisageât de faire subir à la France le sort de la Grèce, et un Juncker, avec toute son alacrité d’acteur européen musclé et expérimenté, jouerait un rôle accélérateur non négligeable dans une telle occurrence.

Cela signifie que nous nous dirigeons vers des affrontements majeurs, parce que, bien entendu, ni la France ni l’Angleterre, pour prendre les deux cas des deux des trois “grands” européens qui ont enregistré la même poussée dévastatrice des eurosceptiques (28% pour l’UKIP, 25% pour le FN), ne sont prêtes à accepter des pressions et des diktat de cette sorte, même adaptés à leurs situations respectives. On envisagerait aisément que de telles circonstances constitueraient un moteur puissant pour accélérer encore des situations quasi-insurrectionnelles vis-à-vis de l’Europe dans ces pays, et la France pourrait alors trouver un rôle à sa mesure, plutôt du type insurrectionnel, dans le registre “Ah ça ira, ça ira, ça ira…” de son inventaire. Les élections européennes suivies du durcissement de Bruxelles-Europe avec des opérateurs tels que Juncker ouvrent donc la voie à une période de grand trouble, – ou bien accélère de façon impressionnante le grand trouble d’ores et déjà existant, – où le facteur économique et le facteur institutionnel pourraient céder la place à des occurrences politiques de violence pure et des menaces graves de rupture. Ce que ces élections européennes décidément historiques d’il y a une semaine menacent de faire céder, c’est l’existence du cordon sécuritaire et quasiment sanitaire que constituaient jusqu’ici les directions nationales, dont le rôle semblait depuis les épisodes intégrateurs de la Constitution européenne, du traité de Lisbonne et de la crise de l’euro, avoir été réduit à la tâche de faire appliquer une “politique européenne” dont on connaît la recette type FMI-Goldman-Sachs, fardée d’une dialectique nationale de circonstance qui avait pour mission de dissimuler la vérité de la situation. Nous sommes désormais à proximité d’un point de rupture menaçant tous les équilibres nationaux et européens, – comme si l’on évoluait vers une véritable épreuve de force à l’échelle d’un continent qui s’est institué lui-même, dans le chef de ses élites-Système, comme un modèle de gouvernance pour le reste du monde et l’avenir de la civilisation. C’est un autre aspect de la crise d’effondrement du Système qui se précise, et toujours avec cette stupéfiante rapidité dans la formation et le développement des événements.

Source : DeDefensa

 

L’Europe au rythme de Juncker

(Billet du 28 juin 2014) C’est un grand jour pour l’Europe, pour l’UE, pour le Parlement européen (PE) & Cie. C’est-à-dire que c’est un grand jour pour les eurosceptiques et pour le processus de déconstruction de la machinerie européenne qui n’est plus qu’un appendice monstrueux du Système. Il s’agit d’une belle occasion où se fait la démonstration que le Système n’a pas de plus sûr ennemi et d’ennemi plus puissant que lui-même, selon la romantique formule qui nous passionne tant, – l’équation surpuissance-autodestruction. Comme dans chaque occasion de cette sorte, les acteurs changent de script selon les circonstances, et le brillant Cameron s’est trouvé temporairement mais d’une façon efficace, en position d’antiSystème. Ecoutez ses geignements et instruisez-vous des principaux éléments de l’affaire, – l’article de Ian Traynor et de Nicholas Watt, du Guardian, ce 28 juin 2014, fait l’affaire…

«David Cameron took Britain closer to the exit door of the European Union last night following a tumultuous EU summit at which his fellow leaders inflicted a crushing defeat on the prime minister by nominating Jean-Claude Juncker for one of the most powerful jobs in Brussels. In what marked a rift in the UK’s long and troubled relationship with the continent, Cameron was left isolated as 26 of 28 countries endorsed Juncker as head of the European commission for the next five years. “This is a bad day for Europe,” said the prime minister as he voiced bitterness over the nomination of Juncker. “Of course I’m disappointed.” He described the nominee disparagingly as “the career insider of Brussels” and criticised other EU national leaders who he said had “taken different views along the way”.

»Accusing the leaders of Germany, France, Italy and another 23 countries of making “a serious mistake” by abandoning an approach that could have brought consensus on an alternative to the former prime minister of Luxembourg, Cameron said: “We must accept the result … Jean-Claude Juncker is going to run the commission.” Cameron admitted that he now faced an uphill struggle to keep Britain in the EU if his mooted in/out referendum on membership goes ahead as scheduled in 2017. “Today’s outcome is not the one I wanted and, frankly, it makes it harder and it makes the stakes higher,” he said. “This is going to be a long, tough fight. Frankly you have to be willing to lose a battle in order to win a war … Europe has taken one step backwards with its choice of commission president.”

»Pierre-François Lovens, a journalist with La Libre Belgique, tweeted a selfie of himself with Juncker in what appeared to be a bar where he was apparently awaiting the result of the vote. Lovens tweeted: “The man waits, serene, calm, smiling.” Juncker tweeted after the vote that he was delighted to have been nominated. “I am proud and honoured to have today received the backing of the European council.” In a second post he tweeted: “I am now looking forward to working with MEPs to secure a majority in the European parliament ahead of the vote on 16 July.”

»On a momentous day in Brussels which shifted the balance of power in Europe, the decision to back Juncker also handed a big victory to the European Parliament over the way the EU is run. No vote has ever been taken among national leaders on who should head the commission, a decision that until now has always been taken by consensus. But given Cameron’s immovable opposition to Juncker, the issue was put to a qualified majority vote, with Cameron supported solely by Viktor Orbán, the pugnacious Hungarian prime minister. Other allies who had previously voiced sympathy with the British line of argument – the Swedish and Dutch prime ministers – have peeled away to side with the majority over the past week, leaving Cameron unusually isolated.

»But the big shift was that no other candidates but Juncker were considered for the powerful EU executive post because the European Parliament set the leaders by insisting on Juncker after his Christian Democrats grouping won last month’s European elections. The German chancellor, Angela Merkel, a Christian democrat, was the key supporter of Juncker, despite Cameron’s earlier confidence that Berlin shared his reservations about the 59-year-old, who ended a 19-year stretch as prime minister of Luxembourg last year.

»Bowing to the European parliament’s insistence on Juncker marked a seismic shift in the way the EU is run, with the national elected leaders ceding power to the parliament on the question for the first time. There were signs that the government chiefs realised they had blundered, but the momentum behind Juncker had become irreversible. While nominating him, they also decided to review the nomination process, suggesting they would try to claw back their prerogatives from the parliament.»

Juncker est une forte personnalité qui dispose d’un poids politique certain. C’est un Président disons “de substance” et “de caractère”, ce qui le relie directement à Jacques Delors (1985-1995). Entre les deux, Santer (1995-1999), Prodi (1999-2004) et Barroso (2004-2014) ont été des personnalités politiques effacées, avec une mention particulière pour le héros de la bande, pour son exceptionnelle médiocrité, dito Barroso l’imbattable. Ce constat est important. Il signifie plusieurs choses, qui ont toutes un aspect involontairement antiSystème par le biais de la doctrine de “la discorde chez l’ennemi” ; laquelle est, en bonne logique et en bonne tactique qui est presque une stratégie, une réplique à peine indirecte de l’art martial du “faire aïkido” qui ne peut que nous séduire. (Voir le 2 juillet 2012 : «L’opérationnalité de la résistance antiSystème se concentre naturellement dans l’application du principe fameux, et lui-même naturel, de l’art martial japonais aïkido : “retourner la force de l’ennemi contre lui…”, – et même, plus encore pour notre cas, “aider la force de cet ennemi à se retourner naturellement contre lui-même”, parce qu’il est entendu, selon le principe d’autodestruction, qu’il s’agit d’un mouvement “naturel”.») Certains le comprennent parfaitement, comme l’UKIP britannique, pour qui Juncker est le choix idéal pour la cause des eurosceptiques (Novosti, le 28 juin 2014) :

«[Senior UKIP’ MEP David] Coburn also warned that Juncker’s nomination as President would have far reaching consequences for the EU and predicted it would lead to the collapse of the entire European project. “In some ways he’s perfect for UKIP because he’ll bring the whole EU project crashing down. I think that will happen sooner rather than later,” Coburn said. “He’s the worst of all possible candidates in a very poor field. He’s a donkey in a field of donkeys,” Coburn added.»

Nous allons détailler dans quels sens, dans quels domaines, etc., le choix de Juncker est le meilleur qu’on pouvait espérer pour la situation présente et pour ses développements ; “meilleur”, dans le sens de la dynamique la mieux appropriée à une exaspération de la situation-Système dans les institutions européennes.

• Juncker est donc une forte personnalité qui a pour particularité de haïr profondément les Britanniques, – sentiment que les Britanniques lui rendent fort bien. Sur les véritables causes et conséquences de cette haine réciproque, et pour qu’aucune illusion ne subsiste à propos de Juncker, ceci, venu d’un texte du 31 mai 2014 :

«Un aspect très spécifique de la situation européenne, c’est que l’éventuelle victoire de Juncker serait une défaite cuisante pour le Britannique Cameron. On sait que Juncker déteste les Britanniques, en privé sans aucune retenue et en public avec le sarcasme aux lèvres ; il les juge irrémédiablement anti-européens. “Bien vu”, se réjouiraient certains Français peu sensibles à la contraction du temps et à l’accélération de l’Histoire qui changent toutes les données, et croyant dur comme fer à l’Europe de leurs rêves, celle à laquelle on pouvait encore s’attarder à croire il y a un quart de siècle et même un peu plus. Mais non, Juncker ne dit pas cela parce qu’il veut une Europe indépendante dans le sens qu’elle serait débarrassée de l’influence US que relaient les Britanniques et qui constitue un des aspects importants de son absence d’indépendance politique. Sa démission en 2013 du poste où il semblait inamovible de Premier ministre luxembourgeois [...] est due au scandale SERL (services de sécurité luxembourgeois). On avait alors appris qu’en 2006-2007, Juncker avait montré un comportement tout à fait indifférent et laxiste devant la révélation que le SERL, bon serviteur du réseau Gladio “géré” par l’OTAN, entretenait un énorme fichier de surveillance des citoyens grand-ducaux, pour servir notamment à l’information et aux entreprises de Gladio, et aussi du MI6 britannique et, par voie de servilité, de la CIA. Juncker n’a pris aucune mesure, il a laissé faire, n’y trouvant rien à redire ; il n’est pas un atlantiste acharné, du type agent actif-neocon, mais simplement un atlantiste disons par habitude sinon par défaut et indifférence, fataliste de la domination US au niveau de toutes ces fonctions régaliennes de la souveraineté et de la sécurité générale, – toutes choses assez étrangères au Luxembourg et à Juncker. Non, répétons-le, si Juncker déteste les Britanniques c’est parce qu’il les juge anti-européens selon ses propres conceptions intégristes de l’Europe, à lui Juncker.»

• … Il n’y aura donc pas de lutte politique à proprement parler entre Juncker et les Britanniques, ce qui n’est d’ailleurs pas une chose mauvaise parce qu’une lutte politique ne serait qu’une occurrence trompeuse par rapport à ce qu’elle nous ferait croire faussement d’une véritable évolution de la situation. Mais il y aura sans aucun doute une lutte bureaucratique, pour deux raisons : 1) parce que Juncker, spécialiste des arcanes européennes et effectivement fédéraliste acharné, n’a pas l’habitude de lâcher prise. Il voudra faire passer ses options fédéralistes dans la monstrueuse bureaucratie de la Commission, c’est-à-dire aller dans le sens de dessaisir les pays-membres de ce qu’il leur reste de miettes de souveraineté. 2) Contre cela, les Britanniques (pas les Français, certes, dans l’état où ils sont) se battront jusqu’au bout. Or, s’ils sont bien peu “européens”, ils ont par contre une grande maestria bureaucratique et ont réussi à placer leurs hommes (tout fonctionnaire UE de nationalité britannique reste par-dessus tout un “homme de l’Angleterre”) dans nombre de postes stratégiques de la bureaucratie de l’UE. C’est dire si Juncker trouvera à qui parler et que, compte-tenu de son caractère, cela se traduira par des batailles internes et des tensions extrêmes à l’intérieur des bureaucraties européennes, – les deux adversaires, Juncker et l’activisme bureaucratique britannique déployant une égale vacherie dans la bataille à venir. Ces batailles auront pour premier effet de contribuer à réduire sinon paralyser les capacités d’influence et d’action des pouvoirs concernés.

• Un autre aspect intéressant de la nomination de Juncker est que ce processus entend s’oindre de l’huile divine de la légitimité démocratique (Juncker, candidat du premier “parti” (?) européen, qui est un rassemblement hétéroclites des droites-Système des pays-membres. Sacré curiosité : allez dire à l’électeur moyen de l’UMP qui s’est déplacé pour les européennes qu’il a participé à la légitimation de Juncker à la tête de la Commission, et demandez-lui la signification de la chose…). Bien, tout cela est politiquement plutôt grotesque, mais c’est une grotesquerie qui roule et à laquelle les politiciens européanisés tiennent ; c’est-à-dire que la participation du PE au fonctionnement des institutions-UE est désormais elle-même institutionnalisé au nom de l’imagerie démocratique de l’ensemble, avec tout ce que cela suppose de tracasseries, d’intrigues politiciennes et ainsi de suite, et finalement d’entraves à la bonne marche de l’exécution des politiques. On a l’exemple-type à Washington d’un système démocratique auquel Roosevelt avait réussi à donner un exécutif “impérial”, et qui a sombré dans des querelles institutionnelles après que la branche législative ait réussi à reprendre une partie du pouvoir, avec la fin de la Guerre froide, – le résultat étant la paralysie type-usine à gaz ou type-Titanic c’est selon.

• A cette aune, on retiendra le commentaire du Guardian : «Bowing to the European parliament’s insistence on Juncker marked a seismic shift in the way the EU is run, with the national elected leaders ceding power to the parliament on the question for the first time. There were signs that the government chiefs realised they had blundered, but the momentum behind Juncker had become irreversible. While nominating him, they also decided to review the nomination process, suggesting they would try to claw back their prerogatives from the parliament.» Les “souverainistes” de certains États-membres doivent-ils marquer ce jour d’une pierre noire en parlant d’une souveraineté nationale encore diminuée ? C’est à voir même si la souffrance est fondée parce que, selon nous, les gouvernements nationaux en leur état présent, avec le personnel inculte et psychologiquement exsangue dont ils disposent, ne servent qu’à donner un alibi d’apparence de souveraineté puisqu’ils usent des restes de cette souveraineté pour en trahir le principe, pour donner leur soutien à la mentalité européenne. Eh bien, certes ! Que ces gouvernements soient encore plus privés de souveraineté, et l’on aura au moins une vérité de situation, – à savoir que la souveraineté n’existe plus nulle part, que les institutions européennes n’auront plus de relais nationaux pour appliquer leurs directives, qu’elles seront placées devant leurs responsabilités, avec la possibilité d’insurrections nationales relayées par les succès des partis antiSystème… C’est à ce point que l’on comprend la logique du MEP du parti UKIP David Coburn («In some ways he’s perfect for UKIP because he’ll bring the whole EU project crashing down…»)

• La désignation “élective” de Juncker ouvre donc bien des perspectives, dans la mesure où elle pourrait être le pas de clerc de la poussée globalisante, s’exprimant en Europe sous le visage du fédéralisme à outrance. Comme Juncker est un dur, on peut compter sur lui pour contribuer à pousser l’expérience jusqu’à son terme, c’est-à-dire contribuer éventuellement à conduire directement l’Europe à sa Guerre de Sécession avant même que leur ambition des “États-Unis d’Europe” soit rencontrée.

Source : DeDefensa

Et enfin un billet de la Tribune, de l’excellent Romaric Godin

Qui est le grand perdant du Sommet européen, Hollande ou Cameron?

Le Sommet européen a mis l’accent sur la croissance et a nommé Jean-Claude Juncker. Mais François Hollande est loin d’avoir obtenu la victoire escomptée depuis son alliance avec les socio-démocrates européens

A l’issue du Sommet européen, tout le monde, comme toujours s’est dit vainqueurs. Mais tout le monde n’a pas raison.

Une « flexibilité » pas si souple…

Comme on s’y attendait, le Conseil a reconnu le droit aux États membres à plus de « flexibilité » dans l’application du pacte de stabilité dès lors qu’il réalise les réformes structurelles demandées. Matteo Renzi, le président du Conseil italien, pouvait y voir un accord « très, très bon » et se vanter, affirmant qu’il n’aurait pas voté pour Juncker « s’il n’y avait pas eu d’abord un bon accord politique. » Mais en réalité, rien ne change vraiment et Angela Merkel l’a immédiatement précisé : « la flexibilité, cela signifie que le pacte de stabilité sera appliqué de la meilleure manière possible. » Et d’ajouter que « ce ne sera pas aux Etats de décider eux-mêmes de l’application de cette flexibilité, mais à la Commission. » Angela Merkel a tenu bon.

Une Europe du changement ?

Autrement dit, comme aujourd’hui, c’est bien Bruxelles qui continuera à accorder des délais pour l’application du pacte, moyennant évidemment l’application d’une politique qui, rappelons-le, reste une politique de consolidation budgétaire qui porte en soi des éléments déflationnistes. La victoire de Matteo Renzi est donc d’abord, comme il l’a reconnu lui-même « terminologique » : la croissance est affichée comme la priorité du Conseil. On promet d’utiliser les outils actuels : la BEI, les « project bonds », etc. Mais là encore : rien de plus que l’existant. Pas de montant sur les investissements en œuvre. La BEI, dirigée par l’ancien secrétaire d’Etat aux Finances libéral allemand Werner Hoyer, a prouvé sa frilosité. Les project bonds sont encore dans les limbes. Or, pour relancer la machine économique, il faut de l’ambition. L’existant, même amélioré ne sera sans doute pas suffisant.

La France grande perdante ?

Reste un constat : l’Italie dispose d’une légère marge de manœuvre, étant sortie de la procédure de déficit excessif. Pour Paris, les chaînes du pacte de stabilité demeurent quasiment les mêmes, sans vraie compensation d’envergure. François Hollande devra négocier avec la prochaine commission les modalités de son nouveau délai pour la rdéuction du déficit sous les 3% du PIB et ne gagne pas vraiment de nouvelles marges de manœuvre budgétaire. Le train actuel de la consolidation budgétaire devra simplement se maintenir. Lorsque l’on observe « le plan d’attaque » de l’Elysée publié dans Le Monde du 25 juin, on comprend que, encore une fois, Paris n’a guère pesé et n’a pas obtenu grand-chose. Sa défaite est complète.

David Cameron n’a peut-être pas tout perdu

Dans un sens, elle est plus cuisante encore que celle de David Cameron. Humilié en théorie par sa défaite sur Jean-Claude Juncker, il a pu montrer aux Britanniques sa détermination à refuser l’Europe « à l’ancienne » incarnée par le premier ministre luxembourgeois. « La position de Cameron pourrait avoir été renforcée après cet épisode, étant donné le risque de voir le Royaume-Uni de quitter l’UE et celui de voir Berlin se retrouver seule avec un « bloc Club Med » », souligne le Think Tank eurocritique Open Europe. Les autres postes européens, notamment ceux de la Commission seront déterminants pour mesurer si Londres a perdu ou gagné la partie.

D’ores et déjà, Angela Merkel a répété sa volonté de ne pas abandonner le Royaume-Uni et de le conserver dans l’UE. Elle a ainsi reconnu le droit d’une « Europe à deux-vitesses » pour les Britanniques. Preuve que Londres n’a pas tout perdu. Il n’est donc pas impossible que le Premier ministre britannique s’en sorte bien, avec un Commissaire chargé des dossiers économiques (chargé d’appliquer la “flexibilité” des règles budgétaires et un programme de libéralisation très “Tories”) .  Dans ce cas, Paris aura bu sa défaite jusqu’à la lie.

Source : La Tribune

 

 

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