Prostitution : l’abolitionnisme à l’épreuve des faits

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Par Alain Borgrave.

Prostitution

Depuis que la loi « Renforçant la lutte contre le système prostitutionnel », incluant la pénalisation des clients, a été votée au Parlement le 30 novembre, celle-ci fait son chemin au Sénat, où elle sera débattue début juillet.

Un rapport a été remis le 5 juin, qui reprend sans surprise le discours abolitionniste habituel, selon lequel il faudrait prohiber l’achat de services sexuels parce que les prostitué(e)s, par essence (et partout dans le monde):

  1. seraient massivement victimes d’esclavage sexuel
  2. souffriraient de graves troubles psychiques
  3. seraient confronté(e)s à une violence endémique et incontrôlable

Entre-temps, une série d’études récentes présentées ci-dessous continuent d’apporter un démenti cinglant à ce discours.


 

Déclaration de la Police (PSNI) à l’Assemblée d’Irlande du Nord (2014) :

« La majorité de la prostitution en Irlande du Nord est réalisée par des prostitué(e)s indépendant(e)s qui ne sont ni victimes de traite d’êtres humains, ni contrôlé(e)s par des groupes criminels (p. 4). La Police se prononce contre la pénalisation des clients (p.9). »

Étude réalisée par une chercheuse de l’Université du Queensland, Australie (régime de prostitution réglementée) (2007) :

  • « Les travailleuses du sexe déclarées du Queensland ont une satisfaction au travail comparable à celle du reste de la population, tout comme leur santé physique et mentale. »
  • « Seules 3% des prostituées travaillant dans une maison close ont été victimes de violence de la part d’un client dans l’année écoulée, contre 12% des travailleuses indépendantes et 52% des prostituées non-déclarées » [Les maisons closes légales sont donc la meilleure façon de garantir la sécurité des prostituées - NDLA].

Étude réalisée pour le Ministère de la Santé de Nouvelle-Galle du Sud, Australie (régime de prostitution réglementée) (2012) :

  • « Pas d’indication récente de traite d’êtres humains pour les femmes prostituées des deux échantillons. » (p. 11)
  • « Les prostitué(e)s travaillant en maison close avaient un niveau de santé mentale comparable à la population générale. » (p. vi)
  • « Pas de cas documenté d’une femme prostituée ayant acquis ou transmis le virus du SIDA dans l’exercice de son activité. La prévalence du SIDA chez les travailleuses du sexe en Australie est rare. » (p. 12)
  • « 5% à 10% des prostitué(e)s de maison close / indépendant(e)s ont déjà subi de la violence durant leur travail. Ce chiffre était de plus de 50% des prostitué(e)s de rue » (p. 13) [Même remarque sur les maisons closes que ci-dessus - NDLA].

Barbara Brents, Université du Nevada (régime de prostitution réglementée) (2012)

« Avec des collègues de l’Université du Nevada, j’ai réalisé des recherches sur la prostitution dans cet état depuis plus de 15 ans. Dans les maisons closes légales, les employées se sentent en sécurité, sont libres d’entrer et sortir, et ne sont tenues que par leur contrat. Des prostituées de maison close que nous avons interrogées, 84% ont répondu se sentir en sécurité dans leur travail. Ce sentiment de sécurité provenait du fait que la police, leurs employeurs et collègues étaient là pour les protéger. »

Étude sur la prostitution aux Pays-Bas et en Autriche (régimes de prostitution réglementée) réalisée par des chercheurs des Universités de Sheffield, La Haie et Vienne  (2013) :

  • « Autour de 10% des prostituées ont été trompées sur les circonstances, mais toutes sauf une savaient qu’elles allaient travailler dans la prostitution. Ces chiffres relativement bas et la nature de leurs histoires sont en contradiction avec le battage médiatique sur l’esclavage sexuel et la traite. » (p. 35) [la prostitution forcée concernait 4% des femmes prostituées des deux échantillons étudiés (5 sur 118 voir pp. 35, 104 et 105) - NDLA.]
  • « Les médias jouent un rôle essentiellement négatif dans le débat sur la prostitution aux Pays-Bas. En utilisant adroitement un discours sensationnaliste, la prostitution est presque universellement présentée comme contrôlée par le crime, et les prostitué(e)s comme des victimes impuissantes de trafiquants. La nature morale de la prostitution peut donner aux médias une influence disproportionnée dans l’élaboration des lois. » (p. 89)
  • « Même les formes imparfaites de réglementation sont meilleures pour les droits humains des prostitué(e)s que l’illégalité qui découle de la prohibition. » (p. 10)

Déclaration de Daniela Danna, expert de l’Université de Milan qui a dû arrêter de coordonner une étude sur la prostitution pour la Commission Européenne dans les conditions suivantes (2014) :

« J’ai été forcée de me retirer du projet car mon travail a été rendu impossible par la position abolitionniste des employées de la division ‘Egalité de Genre’ à qui je devais rendre le rapport. Leur fanatisme était sourd à toutes les recherches empiriques démontrant que la prostitution n’est pas nécessairement une violence faite aux femmes et que le travail sexuel ne se résume pas à la traite des êtres humains. Elles m’ont fait comprendre que mon rôle se résumait à leur donner des raisons pour justifier l’extension de la pénalisation des clients à toute l’Europe. Ceci est contraire à notre charte éthique. »

Étude publiée dans « The annals of the american academy of political and social sciences » ayant étudié un échantillon particulièrement vulnérable de jeunes prostitué(e)s de rue aux USA (régime de prohibition) (2014) :

  • « Les situations d’oppression et de captivité étaient suffisamment rares dans un échantillon représentatif des deux villes pour remettre en question le discours dominant sur la traite des prostituées mineures. »
  • « 2% de toutes les prostitué(e)s que nous avons interrogé(e)s, dans les deux villes, étaient dans une relation avec un proxénète violent. » [Au total moins de 10% des prostitué(e)s avaient un proxénète, voir Figure 2. - NDLA] … « et à peu près la moitié des prostitué(e)s ne connaissaient pas un seul proxénète. »

Étude publiée dans le journal médical « BMJ Open », ayant étudié l’impact de la pénalisation des clients sur les prostitué(e)s à Vancouver (2014):

« Ces résultats suggèrent que la pénalisation des clients reproduit les problèmes de la pénalisation des prostitué(e)s, en particulier leur vulnérabilité à la violence et aux IST / SIDA. Les résultats de l’étude confirment que la dépénalisation du travail sexuel [clients et prostituées] permettrait d’atteindre de meilleures conditions de travail concernant la santé et la sécurité des prostitué(e)s au Canada et ailleurs. »

 


Toutes ces études confirment que les arguments des abolitionnistes sont en décalage complet avec le monde réel. Les systèmes réglementés / dépénalisés sont en réalité bien plus respectueux des prostitué(e)s et de leurs droits humains, que les systèmes de prohibition.

L’abolitionnisme se résume donc en réalité à une position morale, discriminatoire et sans doute inconstitutionnelle : les féministes ne peuvent pas accepter que des hommes aient un accès aisé à la sexualité par l’achat de services sexuels et sont prêts à sacrifier les droits des prostituées pour en organiser la prohibition.

Comme l’a dit Najat Vallaud-Belkacem : « Je ne veux pas d’une société dans laquelle le sexe serait un service fourni à des voitures qui défilent (…) Je ne veux pas d’une société où les femmes ont un prix. Je ne veux pas d’une société où les femmes font l’objet d’une ristourne pour les clients seniors, d’une autre pour les titulaires de minima sociaux, d’une autre pour ceux qui viennent à vélo. Je n’en veux pas. »

« Je n’en veux pas ». Voilà le vrai visage de l’abolitionnisme. C’est une position morale.

 

Extrait de: Source et auteur

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