Dans le camp de la droite professionnelle, le cas Wauquiez

Bruno Bertez
Bruno Bertez
Analyste financier anc. propriétaire Agefi France

 

Laurent Wauquiez a attiré notre attention récemment en raison de son ouvrage publié aux Editions Odile Jacob : « Europe, faut tout changer ». Nous avons également écouté très attentivement l’émission qui lui a été consacrée en fin de semaine dernière par France 3.

Pourquoi nous intéressons-nous à Laurent Wauquiez ? Il y a tellement de gens qui parlent et qui essaient de se pousser du col que la concurrence est rude et que le choix doit être guidé par quelque chose de précis. En l’occurrence notre intérêt pour Wauquiez tient à son positionnement affiché. Vous remarquez que nous précisions « affiché ». Il est critique de l’Europe telle qu’elle est,  il se dit clairement de droite, il martèle sa fibre sociale. Une droite sociale, cela mérite que l’on fasse un petit détour intellectuel, n’est-ce pas ?

Afin que tout soit clair, nous rappelons notre analyse de la situation politique française. L’organisation politique française est un immense bricolage historique dominé par l’opportunisme, d’un côté, et l’idéologie socialo-étatiste de l’autre. L’organisation politique française est un pur non-sens, négation de la démocratie, elle marche sur la tête, c’est le haut qui se projette sur le bas, c’est l’élite qui a perdu le sens de sa mission et qui ne cherche qu’à séduire pour accéder, les uns diront aux responsabilités, les autres, comme nous, diront accéder au Pouvoir, aux richesses, aux honneurs, et maintenant, pour être à la mode, aux femmes et aux hommes. Nous soutenons l’idée que le bricolage, à ce stade, ne peut plus rien apporter et que ce qui s’impose, dans une perspective positive, c’est une recomposition politique fondamentale.  Les partis, les corps constitués, les intermédiaires de la démocratie, doivent se réformer et se restructurer afin de redevenir l’expression des différentes classes sociales. Les majorités doivent se recomposer en fonction des alliances entre ces classes sociales.

Dans cet ordre d’idée, il y a d’abord une démarche négative, ensuite une démarche positive.

La démarche négative consiste à être contre, à s’opposer, à sanctionner  tout ce qui n’est pas satisfaisant actuellement : l’Europe, l’euro, l’atlantisme, le bricolage institutionnel, la négation de la  démocratie, la politique économique idiote, l’entretien des inégalités, la production de chômage, l’abaissement, etc. Nous arrêtons car la liste est tellement longue qu’elle prendrait toute la page.

La démarche positive consiste à tenter de se projeter dans ce que pourrait être une recomposition politique efficace, démocratique, respectueuse des intérêts de la majorité des Français, respectueuse des devoirs envers les générations futures, respectueuse de l’héritage du passé, ou si l’on veut simplifier, respectueuse de la France.

Il nous paraît inadmissible, dans ce cadre, qu’un Président puisse conduire la politique du pays avec 3% d’adhésion, 17% d’opinions positives dans les sondages, sans majorité parlementaire réelle, autre que par défaut. Il nous paraît inadmissible que l’opposition n’en soit pas une et qu’elle soit constituée d’un ramassis d’ambitions personnelles dont la plupart sont touchées, soit par la limite d’âge, soit par la préemption. Il nous paraît inadmissible que le gagnant des élections européennes, le Front National, soit en réalité un tigre de carton-pâte, sans consistance, et que rien ne soit fait pour donner un contenu crédible à ses propositions.

En un mot comme en cent, nous sommes persuadés que l’horizon de la recomposition se situe autour de la constitution d’un parti conservateur soucieux de la prospérité, soucieux de la justice sociale, soucieux de l’unité du pays.

Compte tenu du monde dans lequel nous nous trouvons, il n’est pas question que ce pays soit conservateur au sens rétrograde, il doit être conservateur au sens ouvert, au sens de construction projetée vers l’avenir, avide de progrès qui profite à tous, mais néanmoins, et c’est en ce sens qu’il doit être conservateur, construit sur les fondations historiques et morales de la société française.

Ce grand parti conservateur doit pouvoir, à partir de sa propre force, à partir de la clarté de ses principes et de ces engagements, pouvoir tendre la main à un Front National qui resterait populiste, mais qui aurait entrepris un travail de réforme et de retour sur lui-même afin de présenter  à ceux qui croient en lui une alternative de gouvernement crédible.  Offrir une alternative de gouvernement crédible, le Front National n’en est actuellement pas capable. Mais on peut supposer et espérer qu’avec une intégration plus poussée dans la vie politique et médiatique,  il se frottera au réel, à la concurrence, et pourra ainsi pleinement jouer son rôle.

L’évolution de l’UMP ces derniers jours va à l’encontre de la voie que nous traçons. C’est une équipe ancienne qui a fait les preuves… de ses échecs, qui a pris le pouvoir intercalaire.  Sa stratégie, si on peut appeler cela une stratégie, consiste à se rapprocher du centre pour barrer la route au Front National. Ce n’est pas une stratégie, c’est une tactique de spectacle. Il s’agit de montrer, en se rapprochant du centre, que l’on est moins médiocre, moins ridicule qu’on ne l’est en réalité. Il s’agit de faire de la gonflette.  Hélas, le centre n’existe pas. Comme le disait un célèbre observateur politique du temps du Général de Gaulle, le centre, c’est le trou du c.l. Le centre est opportuniste, instable, il est absolument impossible de construire une stratégie sur les sables mouvants, surtout quand on ne connait pas les contours.

Le problème, nous y revenons, et nous y insistons, tient à ceci que l’on élude la démarche partisane fondamentale. La démarche partisane fondamentale consiste à se demander : « qui voulons-nous représenter ? ». Et cette équipe des anciens, on pourrait même dire des recalés, ne tient absolument pas à se poser cette question. Elle croit qu’elle détient la vérité. Elle croit qu’elle sait mieux que les couches sociales ce qui est bon pour elles. Elle croit que la sphère politique professionnelle est une sphère  autonome, voilà le grand mot.

Que vient faire le malheureux Wauquiez dans tout cela, on a presque l’impression déjà que le costume que nous faisons est trop large pour lui. Qu’importe, comme nous ne sommes jamais à court de banalités et que nous aimons enfoncer les portes ouvertes, nous dirons qu’il faut un commencement à tout, les petits ruisseaux font les grandes rivières. Petit poisson deviendra grand. Et vous en rajoutez autant que vous voulez dans le même esprit.

Wauquiez, c’est donc un petit début :

-         il rejette l’Europe telle qu’elle est

-         il veut reprendre le contrôle de l’immigration au niveau national

-         il s’indigne de la situation sociale et semble sincèrement préoccupé par le chômage

-         il dénonce l’assistanat, en particulier sous la forme du RSA qui conduit les gens à s’installer dans l’oisiveté

-         il est pour la restauration des incitations à l’effort et à la production

-         il est contre la religion de l’Europe, c’est-à-dire contre le fait que l’Europe est une croyance abstraite et trompeuse

-         il souhaite une Europe plus politique qui régule mieux et fait mieux ce dont elle s’occupe

-         il s’interroge sur la non-protection européenne, sur une Europe à tous vents qui ne se préoccupe pas d’un minimum de protection

-         il est très dur sur les malversations politiques, très clair sur l’affaire Copé

-         il est pour une Europe rétrécie et stigmatise l’Europe des 28

Cette énumération explique que nous lui portions intérêt. Porter intérêt cependant n’implique ni adhésion, tout juste une attitude de soutien positif. Pourquoi ?

Parce que Laurent Wauquiez n’a aucune analyse dialectique de fond de la situation, il a composé une sorte de catalogue, comme toujours catalogue à la Prévert, de ce qui ne marche pas et de ce que n’importe quelle personne de bonne volonté aurait envie de changer. En un mot comme en cent, faute d’analyse fondamentale, il lâche les proies pour l’ombre. Ne voulant pas la mort du pécheur, nous ne lui jetterons pas la pierre, et nous voudrons bien considérer, provisoirement, que derrière la Com, derrière l’étiquette, il y a du vin acceptable dans le flacon.

Wauquiez n’aborde aucun des problèmes de fond, lesquels sont déterminants dans la situation française :

-         il ne met pas en question la convergence scélérate entre les pays qui constituent l’Europe, il est donc encore, à ce stade, partisan du laminage unificateur et de la réduction des différents pays à un seul modèle

-         il ne dit pas un mot sur l’hégémonie allemande et la transposition de cette hégémonie, auparavant militaire, à l’hégémonie actuelle qui a pris la forme civile de l’économie

-         il n’analyse pas le carcan monétaire actuel et donc n’en titre pas les bonnes conclusions

-         il ne met pas en question l’alignement atlantiste et la soumission à l’ordre du monde impérialiste et hégémonique des Etats-Unis

-         il n’a aucune analyse des dérives du système capitaliste et de sa perversion financière

Avouez que tout cela constitue un sérieux handicap pour élaborer, proposer, et éventuellement piloter une action de redressement.

Si nous regardons les propositions concrètes de Wauquiez, c’est-à-dire celles qui sont réalisables, elles se résument à ceci :

-         meilleur contrôle de l’immigration, il y a presque consensus maintenant au niveau européen sur ce point

-         charges zéro pour les PME qui embauchent et augmentent leurs effectifs. L’entreprise de moins de 50 salariés qui embauche ne devrait payer aucune charge. Ce n’est pas trop stupide, mais si philosophiquement cela est contestable car c’est vrai, il ne sert à rien de donner des aides aux Grandes entreprises, elles n’embauchent pas. Seules les entreprises individuelles, les TPE et PME embauchent

-         proposition de réformer les aides sociales et en particulier le RSA, en faisant en sorte qu’il favorise le retour au travail et qu’il soit incitatif

Il y a peut-être autres choses, mais nous ne les avons pas vues. Il y a une proposition ou une déclaration de foi de Wauquiez contre laquelle nous nous insurgeons. Wauquiez lance un appel au rassemblement : « Il faut tous se rassembler, nous avons besoin de tout le monde ». Nous sommes contre l’appel au rassemblement. C’est un moyen de mettre un couvercle sur les énergies, un moyen de remettre en selle les vieux chevaux de retour. Au lieu de rassembler et d’unifier, il faut laisser les tendances s’exprimer, il faut laisser innover et mettre les innovations en concurrence. Il faut laisser le neuf mettre à mort le vieux.

2 commentaires

  1. Posté par James le

    Voici ce que déclarait le même Wauquiez en aout dernier a propos d’un retour éventuel de Sarkozy :
    «La question de fond c’est pour quel projet. Et sur ce sujet, il ne s’est pas encore exprimé», tempère le député. «Et ce n’est que par rapport à ça que je m’exprimerai, j’attends de voir quel sera le projet politique de Nicolas Sarkozy». Cela ne l’a pas empêché de soutenir sa candidature à la présidence de l’UMP avant même de connaître son projet. Cela s’appelle de l’opportunisme ni plus ni moins. Il n’y a ni cohérence ni convictions mais de l’ambition pure et simple. Il s’agit de se placer, d’obtenir un maroquin en échange de son soutien et faire oublier ces critiques de Sarkozy. Personne n’est dupe de la manoeuvre. C’est le degré zéro de la politique politicienne.

  2. Posté par Sancenay le

    Dans le langage jeune on dirait simplement : » Wauquiez ne sert à rien » , et comme il dirait lui-même c’est « juste » gentiment dit.
    Dieu merci il va bien falloir , que cela plaise ou non à la profession -ou au milieu-, que l’horizon s’éclaircisse car il est en effet tout à fait « normal »de tirer le constat que la France n’a plus les moyens d’abreuver une trop large partie de cette faune faune et cette flore politique.
    Il me semble que bon gré mal gré nous nous dirigeons malgré tout enfin de ce côté là. C’est tout le côté supportable de la « crise » pour peu qu’elle serve au moins en ceal à libérer le pays.
    Alors , bien sûr cela va un peu tanguer car les nostalgiques ,authentiques cette fois, vont devoir dévoiler leur vrai visage, remplis de crocs amères face au vent de l’histoire qui retourne.

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