Quelque chose de pourri au royaume d’Europe

Bruno Bertez
Bruno Bertez
Analyste financier anc. propriétaire Agefi France

Nous avons indiqué, dès nos premiers commentaires, que l’enjeu des élections européennes serait non seulement le rapport de forces et le score obtenu par chacune des formations, mais également les commentaires. Et nous avons même tendance à dire maintenant que le second point est devenu plus important que le premier. En effet, les scores dès lors qu’ils n’atteignent pas un niveau critique susceptible de mettre en difficulté les partis de gouvernements et les classes dominantes, ces scores sont vite escamotés. La mémoire est courte. La chape de la propagande est épaisse. Ce qui reste donc, ce sont les commentaires, les interprétations, les mises en forme.

 

Pour parler plus simplement, ce qui reste, ce sont les triturations.  Pour les classes dominantes et les partis de gouvernement, ce qui compte, c’est de noyer le vote dans un ensemble d’interprétations qui vont justifier leurs actions futures.  Retenez bien cela : les interprétations ont pour objectif de justifier les décisions et les actions à venir.

Nous passerons sur les habiletés et les maladresses. Elles font partie de l’écume de la vie politique. Ainsi,  Hollande utilise toutes les ficelles de  la rhétorique et de la Com pour esquiver ses propres responsabilités, trouver des bouc-émissaires, et enfin, à partir de là, tenter de se remettre en selle.

Certains diront que c’est une prestation réussie. Nous dirons au contraire que c’est une prestation scélérate. Nous nous plaçons en effet, pour juger du présent, dans la perspective d’un avenir sombre et où les habiletés, d’ici quelques temps, seront interprétées comme autant d’erreurs qu’il ne fallait pas commettre. Pour nous, en effet, à moyen terme, la situation va s’aggraver et en ne posant pas les premières pierres d’un changement fondamental, en ne balisant pas une nouvelle route, les responsables de la conduite des affaires commettent une faute majeure qui leur sera plus tard reprochée.

 

Lorsque Hollande dit : « L’Europe, elle est devenue illisible, j’en suis conscient, lointaine, pour tout dire, incompréhensible, même pour les Etats, çà ne peut plus durer ».  Cette phrase est pour nous fondamentale.  Elle résume, elle symbolise tout ce qui est critiquable et condamnable.

D’abord, c’est du charabia. On croirait entendre du Michel Rocard dans ses plus mauvais jours. Vous savez le Rocard dont, pour le comprendre, on disait  qu’il fallait un décodeur type Canal+. Qu’est-ce que cela veut dire que l’Europe est illisible, absolument rien, c’est du charabia. Mais c’est un charabia utile car il s’attaque à la forme des choses pour éviter de s’intéresser au fond. Critiquer l’écriture de quelqu’un par exemple, c’est se donner les moyens d’éviter de s’intéresser au sens de cette écriture. Et nous sommes au cœur de la grande entourloupe post-électorale. On se concentre sur la forme, sur les détails, sur les à-côtés, sur tout ce qui est annexe, et on épargne, car on le considère comme sacré, on épargne le fond.

L’exercice de Hollande, que nous avons pris pour exemple, a été répété plusieurs dizaines de fois dans chacun des pays européens. C’est à croire que la consigne a été donnée. Non seulement, c’est à croire, mais nous le croyons, qu’il y a eu concertation au niveau des maîtres de la propagande pour dégager en touche et ainsi ébaucher les lignes d’une convergence qui, plus tard, produira des actions qui iront dans le sens voulu par les dominants européistes et surtout pas dans le sens souhaité par les peuples.

Nous avons fait le tour de la presse européenne. Il y a des bonnes et des mauvaises choses, mais dans 90% des cas, on ne trouve que de mauvaises choses. Peu d’analyses intéressantes. De temps en temps, un commentaire qui sort du lot, mais dans l’ensemble, du pipeau hypocrite, sinon trompeur.

L’un des commentaires que nous aimons, c’est celui qui est paru à la Une de Die Welt. Non qu’il soit intelligent, mais parce qu’il est clair, il résume tout.

En effet, Alan Poesner écrit : « quelque chose est pourri en Europe ». Voilà une affirmation que nous ne contredirons pas.

Nulle part, dans la presse, nous ne voyons une analyse qui dépasse la forme des choses. Pas plus dans Die Welt que dans Bild, dans El Païs, dans le Corriere de la Serra. Encore moins dans la presse française dont on comprend à sa lecture l’effondrement du lectorat. Nous avons noté une petite ébauche d’analyse dans le journal néerlandais De Volkskrant. Elle vient d’Alexis Brezet qui se permet d’écrire, chapeau à lui : « Si l’Europe veut regagner le cœur des Européens, de simples bricolages ne suffiront pas : une réforme fondamentale est nécessaire ».  Cela dit, on reste sur sa faim quant au contenu du fondamental.

L’analyse de la presse et des commentaires indique très clairement ce qui va se passer : on va noyer le poisson et enfumer, ce qui est déjà bien commencé. Ensuite, on va se servir de l’Europe abstraite comme bouc-émissaire. On va charger en quelque sorte ce qui n’existe pas. Cela va permettre de laisser intacte l’Europe concrète. Enfin, on va faire la grande alliance des partis européistes, la grande coalition, comme en Allemagne, entre la droite, la fausse-droite et la pseudo-gauche pour renforcer l’ordre de la troisième voie, c’est-à-dire renforcer l’ordre fasciste. Parallèlement, on va diviser et pilonner les eurosceptiques de telle manière que leur influence réelle soit réduite à rien.  Voilà le schéma. Tout cela débouchera comme le veut Barroso, le chef simplet, non pas sur une autre Europe ou moins d’Europe, mais sur encore plus d’Europe. On va mettre en place les réformes voulues par les gnomes du FMI et de la finance internationale. Le tout agrémenté par quelques fariboles, quelques hochets autour de la question du rapatriement de certains pouvoirs, autour du faux débat de la subsidiarité.

Le tour sera joué, emballé, pesé. La grande alliance des fausses droites et des pseudo-gauches, cette alliance qui préfigure ce que l’on appelle les systèmes de troisième voie, cette alliance va être consolidée, cimentée, par la pression électorale des extrêmes et des eurosceptiques. Résultat paradoxal, direz-vous, mais tout à fait conforme au mouvement dialectique qui est engagé depuis longtemps. En France, l’UMPS est le reflet de cette tentation de troisième voie. Au niveau européen, la tendance qui n’était qu’ébauchée va se trouver largement renforcée.  Nous n’avons rien de conspirationniste. Tout, dans notre culture et notre formation, nous détourne de ce type d’interprétation. Nous croyons à ce que nous voyons et non pas à ce que l’on ne voit pas. Mais il ne faudra pas s’étonner si l’irrationalité gagne du terrain au vu de ces infâmes évolutions. Le Système mis en place se comporte comme une conspiration. Les citoyens ont du mal à imaginer que l’on puisse faire autant de choses contre nature sans un sombre projet.  Il faut les excuser de considérer qu’un système ne peut pas être aussi malin et que, derrière, en réalité, il y a une bande de criminels. Dans ces conditions, il ne faudra pas s’étonner si de nouvelles évolutions perverses, racistes, antisémites, xénophobes, archaïques, se mettent à nouveau en branle. Elles feront le bonheur de la grande coalition. En effet, ils auront beau jeu de dire, eux, les fascistes : « regardez, nous vous protégeons contre le retour de la bête immonde ».  Honte à ceux qui jouent avec l’histoire, honte à ceux qui jouent avec l’intelligence, honte à ceux qui jouent avec la morale.

Nulle part, nous n’avons vu effleurer les questions fondamentales qui se posent au lendemain du vote européen. Elles sont pourtant absolument évidentes. Il suffit de s’intéresser aux gens, de les écouter. Les écouter avec la volonté de discerner derrière la maladresse des mots la vérité des idées.  Bref, il suffit de faire le contraire du populisme. Le populisme monte en épingle tout ce qui est primaire et s’en sert pour déclencher des réactions indignes.  La véritable écoute politique, elle, elle consiste à savoir écouter le primaire pour discerner ce qu’il y a derrière, ce qui peut être mis en langage politique, républicain, démocratique.

Quelles sont les questions fondamentales qui se posent au lendemain du vote :

-         Il faut oser mettre en question l’ouverture sur le monde et sur l’Europe et s’interroger sur le rythme de la mondialisation. Il y a un temps, il y a un rythme pour tout et, si on va trop vite, à marche forcée, alors on laisse une partie de la population sur le carreau, sur le bord de la route

-         Il faut oser mettre en question la volonté de détruire les nations, les identités, les spécificités. Les gens n’ont pas envie de mourir en tant que ce qu’ils sont. Ils aiment leur passé, ils aiment leur identité, ils aiment leur famille

-         Il faut oser s’interroger sur la volonté délirante des élites de continuer de favoriser l’immigration pour faire baisser les salaires, alors que les pays européens n’ont plus les  moyens de l’intégration

-         Il faut s’interroger sur la question centrale de la concurrence qui est devenue le moyen pour les élites kleptocratiques de réduire la part du travail, de peser sur les salaires et d’améliorer les bénéfices. La concurrence est devenue perverse, au lieu d’être source de progrès pour tous, elle est devenue un moyen d’accroître les injustices du partage de la richesse et du revenu national

-         Il faut s’interroger sur la situation financière des pays. La réponse à la crise de surendettement et de solvabilité n’est pas unique. Il y a d’autres solutions que de baisser les salaires, que de réduire les retraites que d’amputer les soins de santé, que de raboter les investissements, et rationner l’éducation. Face à un excès de dettes, il faut oser envisager ce qui n’a pas été fait en 2009, il faut oser envisager ce que l’on appelle en finance des « haircuts ». Il faut restructurer les dettes, les rééchelonner, faire en sorte que leur poids soit moins lourd. Il faut coordonner des moratoires. C’est ce qui a toujours été fait dans le passé et qui n’est pas fait cette fois parce que les pouvoirs de la finance sont devenus trop grands.

-         Il faut s’interroger sur  la croissance et sur le niveau de la demande, non seulement mondiale, mais européenne. Il faut faire cesser les dissymétries mercantilistes. Il faut prendre l’Allemagne à la gorge, lui faire comprendre que son jeu a été percé à jour et qu’asseoir sa puissance et le confort de ses personnes âgées sur la destruction de l’économie européenne et la paupérisation des tiers est un mauvais calcul.

Rien dans ce que nous évoquons n’est excessif, dès lors que tout est négocié, arbitré, optimisé. Une Europe qui serait digne de ce nom, qui saurait entendre les manifestations de détresse de sa population, prendrait les problèmes, les vrais, à bras le corps.

Bruno Bertez, 28 mai 2014

2 commentaires

  1. Posté par Ben Palmer le

    Au leu de faire élire les représentants du peuple, l’UE aurait mieux fait d’élire son peuple.

  2. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    « …noyer le vote dans un ensemble d’interprétations qui vont justifier leurs actions futures. «  Voici les mots adéquats pour décrire ce qu’un plouf est capable de voir. S’il n’a pas trop souffert de l’endoctrinement scolaire, et s’il a reçu quelque antidote!
    « … en ne posant pas les premières pierres… » envoie illico à la pierre angulaire, qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient! Notez que je n’ai rencontré aucun de ceux qui s’en réclament, de la pierre angulaire, qui sache de quoi il parle. Mais c’est une autre histoire. Quoi qu’il en soit nul n’a jamais vu un temple renversé par les pierres qui le constituent.
    « l’Europe devenue illisible… »? C’est un charabia, assurément. Mais c’est plus! C’est un comble de la part d’un illettré! Un « illettré du traité de Maastricht ». Qui était déjà illisible! Dont voici un extrait: « i) une politique dans le domaine social comprenant un Fonds social européen, j) le renforcement de la cohésion économique et sociale… » simple en apparence. Puisque il ressemble à des articles de notre constitution. Eh bien cette simplicité est illisible! Parce que « renforcer la cohésion » implique qu’elle est déjà! Donc une volonté de triturer ce qui est pour s’en faire passer pour l’auteur: Le ver est déjà dans le fruit! Notez que ce « renforcer » me fait penser à ces porteurs de l’Arche de l’alliance qui, modèles de bien-pensance, y portèrent la main pour l’empêcher de chuter! Foudroyés! Salaud de Dieu?
    Ceci dit Bruno met le doigt où le bat blesse!
    La réforme fondamentale que prône Alexis Brezet est rigoureusement impossible! Pas de main d’homme!
    Vous n’êtes, cher Bruno, ni conspirationniste ni complotiste, moi non plus. Pourtant vous constatez que le système en place se comporte comme une conspiration. Il y a ici un paradoxe sur lequel je reviendrai quand j’aurais reçu les mots. L’histoire de la tour de Babel sera éclairante. Ses premiers mots, selon André Neher (déjà cité) sont: « désorientés »! La désorientation oriente sur la construction de la tour, dont le sommet est aux cieux! Il n’y a pas de chef!
    En bref, merci pour cette brillante et percutante analyse! J’ajoute que, lecteur du « blogalupus » depuis quelque temps, j’ai eu la surprise d’y lire un mot rare: « vérité ». Et ses associés: « droiture, honnêteté et intégrité ». Ce sera tout.

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