«La population a gravement été induite en erreur»

Non à l'Arrêté fédéral concernant les soins médicaux de base

Interview de Mme Susanne Lippmann-Rieder, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, membre du Comité «Non à l'Arrêté fédéral concernant les soins médicaux de base»

 

Zeit-Fragen: Mme Lippmann, vous êtes membre du comité «Non à l'Arrêté fédéral concernant les soins médicaux de base». Pourquoi êtes-vous opposée à cet arrêté?

Susanne Lippmann: Tout d’abord, un tel article n’a rien à faire dans la Constitution fédérale.

Pourquoi?

Avec cet article, on induit gravement en erreur la population, parce qu’il contient tout autre chose que ce que le citoyen y reconnaît.

Pourriez-vous expliquer cela plus en détail?

Les 200 000 citoyens qui avaient précédemment signé l’initiative «Oui à la médecine de famille» l'ont fait parce qu’ils voulaient s’assurer des soins médicaux par leur médecin de famille. La population est très satisfaite de notre système de santé tel qu’il est et c’est une méchanceté qu’avec l’ article constitutionnel concernant les «soins médicaux de base», on prévoit introduire toute autre chose.

Qu'est-ce qui est prévu?

On peut, par exemple, lire dans le «Rapport du groupe thématique <Interprofessionnalité>» de l’OFSP [Office fédéral de la santé publique] que, si quelqu’un est malade et veut aller voir un médecin, celui-ci ne le recevra plus en premier recours. Il est dit à la page 16 de ce document stratégique que «les membres de profession non- médicales seront autorisés à recevoir des patients en premier recours». Un tel concept représente un scandale. Concrètement, cela veut dire que peut-être même la téléphoniste décidera du destin de patients, sans rien y connaître.

Mais c'est une régression totale dans une sorte de médecine «aux pieds nus» comme elle a été élaborée dans les pays en voie de développement suite au grand manque de médecins formés. Qu'on veuille engager des membres de professions non-médicales est incroyable et va encore un pas plus loin.

Oui! Je ne l’aurais pas cru possible. Mais après avoir analysé des centaines de pages de textes de l'OFSP, outre la brochure de votation officielle, on se rend compte avec effarement qu'on planifie une transformation totale du système de santé.

Comment cette transformation se présente-t-elle concrètement?

Avec cet article constitutionnel des éléments essentiels du projet dit de Managed Care, que le peuple a massivement refusé par 76% des voix il y a deux ans, seraient introduits par la bande. Les citoyens suisses ne voulaient et ne veulent pas de ce modèle américain, ils se sont décidés en faveur du libre choix du médecin, ce qui est leur bon droit. Les centres de santé prévus ne fonctionneront plus que selon le principe des analyses coûts-bénéfices.
Comment faut-il s'imaginer un centre de santé?

Ce sont des centres anonymes. Chaque fois, on est reçu par un autre médecin, si l'on a la chance d 'en voir un. A l avenir, ces centres fonctionneront avec des «équipes interprofessionnels». On y trouvera par exemple du personnel soignant, des nutritionnistes, des ergothérapeutes, des podologues ou d’autres personnes sans formation médicale qui se chargeront des soins médicaux. Donc, le médecin sera privé de sa fonction.

Mais qu'en est-il du bien de l'être humain, du patient?

Je vais vous expliquer cela par un exemple: votre mari, frère ou beau-frère arrive dans un de ces centres avec le symptôme de vertige. Il ne sera très probablement pas présenté au médecin. Là, il faut que je dise très clairement que sans être médecin personne n 'est capable d 'évaluer à sa juste valeur un tel problème. Mais avec ce modèle de soins, il y sera autorisé! De faux diagnostics menant à de graves souffrances sont inévitables! En outre, cela fera augmenter les coûts de la santé parce qu’il y aura également les conséquences des diagnostiques erronés à traiter et à financer.

Vous avez mentionné avoir lu des centaines de pages de documents de l'OFSP. Qu’avez-vous trouvé dans ces écrits?

Lorsqu on étudie les messages du Conseil fédéral, les textes de loi et les documents de l’OFSP, une chose est claire: il ne s’agit nullement de soins de santé adaptés à l’homme, car notre système de santé hautement qualifié serait réduit à un modèle qui s’oriente uniquement sur un modèle d’analyses coûts-bénéfices purement utilitariste - et cela au dépends des plus faibles. Les soins médicaux pour les personnes âgées ou souffrant de maladies chroniques seront réduits. Il est difficile de trouver des mots pour qualifier un tel état d’esprit abominable. Pour moi, cela suffit amplement pour m’opposer de toutes mes forces à ce projet et de m’engager avec véhémence en faveur de l’information des citoyens. Tous les modèles cités dans les documents de l 'OFSP se fondent sur le même état d’esprit utilitariste.

Et comment faut-il se représenter ces modèles?

Le modèle CanMEDS canadien, par exemple, subdivise l’ activité professionnelle dans le domaine de la santé en sept rôles menant à une santé et à des résultats de soins de santé optimaux: expert médical (rôle central), communicateur, collaborateur, gestionnaire, promoteur de la santé, érudit et professionnel. Le médecin n 'y est plus mentionné. Imaginez, qu’un communicateur décide si vous présentez vos symptômes de manière crédible ou si vous êtes un simulateur auquel il faut donner quelques comprimés calmants.

Mais cela représente la fin et non pas le renforcement de la médecine de famille et cela aura certainement des conséquences dévastatrices?

Oui, imaginez-vous que votre femme, votre enfant ou votre mari a la toux et se rend dans un tel centre. Un membre de l’équipe, sans formation en médecine universitaire, évalue cette toux comme étant un symptôme banal et trouve que tout autre examen est superflu. Je peux vous citer un exemple de Scandinavie. La sœur d’une connaissance avait la toux. Elle s 'est présentée dans un de ces centres de soins et n’a pas été présentée à un médecin. Après plusieurs semaines de fièvre et de toux, elle a enfin été autorisée de voir un médecin qui a diagnostiqué une pneumonie. La souffrance a continué; malgré la prise de divers antibiotiques sa situation ne s’est pas améliorée. Elle n’a pas pu prendre rendez-vous chez un spécialiste car l’accès direct aux spécialistes n'était pas prévu dans ce modèle. Ainsi sept mois se sont écoulés. C’est seulement à ce moment-là qu’un médecin spécialisé a constaté une tumeur du poumon maligne qui s'était déjà largement disséminé. Toute chance de guérison avait disparu. Cette femme est finalement décédée après une longue période de souffrances accompagnée d’un traitement antidouleur totalement insuffisant. Avec un traitement adéquat, on aurait pu éviter tout cela.

Cet exemple est dramatique. Personne ne peut vouloir ça. On traite les êtres humains comme de la marchandise.

Exactement. C’est le caractère de ces centres anonymes. Leur introduction - je le répète - fait partie de la stratégie de l 'OFSP et de celle du conseiller fédéral Berset. Je vous recommande de lire les documents principaux de l 'OFSP, notamment «Santé2020», «Nouveaux modèles de soins pour la médecine de premier recours», «Rapport du groupe thématique <Interprofessionnalité>» et les messages du Conseil fédéral concernant les lois planifiées. Aucun citoyen ne veut cela. Un tel article constitutionnel est un crime! Aujourd’hui déjà, des patients se plaignent, parce que chaque fois qu’ ils vont dans leur centre de soins médicaux, ils sont confrontés à un autre médecin. La plupart des personnes se souhaitent avoir un médecin de famille en lequel ils peuvent avoir confiance - et c’est leur droit. Ils veulent avoir une relation personnelle avec le médecin qui connait leur histoire et celle de leur famille.

L'OFSP déclare qu'il n'y a pas assez de médecins de famille. Comment pourrait-on résoudre ce problème, selon vous?

C’est vrai qu’ il n 'y a pas assez de médecins de famille. Ce manque a cependant été créé artificiellement par l’introduction du numerus clausus. Il y a assez de jeunes gens qui désirent devenir médecin. Il faut savoir qu’avec le numerus clausus on empêche environ 60% des candidats à accéder aux études. Une seconde raison a été l’ introduction du gel des admissions de nouveaux cabinets médicaux. Ces deux mesures doivent être supprimées.

La population doit obtenir ces informations, pour qu'elle sache sur quoi elle vote.

Oui, les citoyens l 'ont en main. Heureusement, un comité d’opposition haut de gamme composé de médecins et de politiciens fédéraux a brisé le silence frappant des médias concernant cet objet de votation. Si les citoyens suisses réalisent les réels dangers de cet article constitutionnel, il n’aura plus aucune chance de passer la barre.

Madame Lippmann, nous vous remercions de cette interview.

(Traduction Horizons et débats)

2 commentaires

  1. Posté par Le passant ordinaire le

    J’avais lu cet interview dans « Horizons & débats » et je l’avais envoyé sous forme de photo-copies à toute ma parenté, à mes amis et à mes connaissances. J’en ai convaincu peut-être une bonne centaine mais vraiment ce n’était pas assez et je souligne que les médias n’avaient en tête que le Gripen et la marche blanche.

  2. Posté par jessica le

    Une fois de plus les informations fournies aux électeurs sont lacunaires. S’ils n’ont pas le temps ou ne savent pas où se renseigner en détail ou de lire les innombrables pages du projet ils vont voter l’inverse de leur choix. Article intéressant mais n’est-il pas un peu tard pour soulever ces points extrêmement importants ? D’autant que la majorité des partis, gauche en tête ont inondé les medias de campagnes de oui à l’arrêté fédéral ?

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.