Pédophilie: « Le principe de proportionnalité n’est pas outrepassé »

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Christian Lüscher dans Le Temps du jour:

"[...] Les opposants clament que les «cas bagatelles» (amours entre jeunes) seront aussi touchés par cette initiative, avec le résultat qu’un jeune de 18 ans qui vit une amourette avec une fille de 15 ans serait exclu à vie de toute activité avec des enfants. Même si le texte est extrêmement rigoureux – et c’est probablement son défaut –, la Marche blanche a clairement exprimé, durant les travaux parlementaires, quelles étaient les limites à son initiative. Interrogé à deux reprises par le soussigné et prié de s’exprimer au nom du comité d’initiative, le conseiller national Oskar Freysinger (UDC/VS) a confirmé:

«Mes propos engagent le comité d’initiative de la Marche blanche. Il est évident que lorsque vous avez affaire à une jeune fille avec un corps parfaitement formé, un corps de femme, et que vous avez une relation sexuelle ou de ce type-là avec elle, on ne peut pas parler de pédophilie. Donc, il faut exclure ces cas-là et se limiter à cette pulsion qui porte les gens à aller vers des enfants impubères […].»

En outre, toujours interrogé par le soussigné, Oskar Freysinger a confirmé que la définition de l’enfant pouvait être la même que celle retenue dans la loi d’application de l’initiative «Pour l’imprescriptibilité des actes de pornographie enfantine», à savoir 12 ans.

Avec ces nuances, l’initiative soumise au vote ne viole pas le principe de la proportionnalité." (source)

En vis-à-vis, Alex Dépraz, combat l'initiative, arguant du fait que les initiants auraient profité de "quelques faits divers" sans importance fondamentale pour durcir leur position; et de s'interroger sur la nécessité d'une réaction pénale:

"La seule question qui devrait se poser est celle de savoir si ce renforcement de l’arsenal pénal est nécessaire pour protéger les personnes en danger. On peut sérieusement en douter. Lorsqu’un auteur est confondu, le Code pénal prévoit déjà des sanctions sévères et les tribunaux ont en général la main très lourde pour ce genre de délits." (source)

Oui, mais quid de ces fameux faits divers alors ? On ne peut pas plaider une chose et son contraire à l'envi: soit les tribunaux sont sévères et ils n'existent pas, soit ils existent et les tribunaux ne le sont pas.

Ensuite, il paraît particulièrement contradictoire de prétendre que le code pénal est déjà suffisamment répressif et défendre tout à la fois, contre l'initiative, une révision venant combler la lacune des interdictions professionnelles que tout le monde, anti-initiatives en tête, s'accorde à reconnaître comme béante.

La position des opposants en cette matière est celle de l'impossibilité du "risque zéro", ces faits divers n'étant somme toute que le "prix à payer" pour que la gauche ait raison malgré tout. Si les faits sont contre nous, disait Lénine, les faits ont tort !

Alex Dépraz promet encore une "surenchère sécuritaire" à l'américaine, coûteuse, inefficace. L'on a pourtant guère entendu Me Dépraz se plaindre et s'alarmer la dernière fois qu'il est monté dans une voiture...

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2 commentaires

  1. Posté par Alex Dépraz le

    Je réponds bien volontiers à vos remarques.
    Le cas biennois montre simplement que la confiance peut aussi fonctionner vis-à-vis d’une personne qui a déjà été condamnée. C’est au contraire l’initiative (et la révision du Code) qui vont créer une bureaucratie inefficace pour les autorités scolaires mais aussi pour tous les organismes qui organisent des activités pour des enfants ainsi que pour les familles (il faudra bien sûr contrôler que la personne à laquelle on confie son enfant – même pour une heure ou deux – ne fasse pas l’objet d’une telle interdiction sans quoi celle-ci sera dépourvue d’effet). La démarche deviendra donc routinière et occupera les autorités au détriment de la surveillances des personnes qui sont réellement dangereuses (mais qui ne représentent qu’une faible partie de l’ensemble des condamnés pour ce type d’infractions).
    Pour savoir combien de fois la peine accessoire de l’art. 67 a été prononcée, il faudrait se référer aux statistiques (je n’ai pas retrouvé la donnée sur le site de l’OFS). Le nombre est certainement très faible. Mais, cette peine accessoire est rarement prononcée pour des auteurs d’acte d’ordre sexuel avec des enfants pour la bonne et simple raison que ceux-ci travaillent rarement dans ce domaine. La plupart des actes d’ordre sexuel avec des enfants sont commis par des proches ou des familiers et l’initiative ne résoudra pas ce problème.
    Dernier point. Mon opinion ne repose aucunement sur une vision utilitariste selon laquelle il faudrait faire une balance entre le nombre de victimes et l’atteinte aux libertés individuelles, le « prix » à payer étant considéré comme plus faible dans le premier cas. L’inefficacité de la mesure n’est donc qu’un argument de plus pour rejeter l’initiative (susceptible aussi de convaincre les utilitaristes puisqu’à mon avis l’initiative n’évitera aucune victime supplémentaire mais aura plutôt un effet inverse). A l’instar par ex. de J.-A. Haury (je ne pense donc pas qu’il s’agit d’un débat entre droite et gauche), je considère que le législateur doit en principe s’abstenir de décréter des interdictions valables à vie ou sans limite dans le temps.

    [La Rédaction: Cher Monsieur, dans votre précédent commentaire vous saluiez les effets de l’art. 67 du CP 2007 relatif aux interdictions. Nous ne voyons pas bien comment les interdictions exprimées par la révision ou l’initiative se distanceraient de la procédure déjà en place et créerait ainsi « bureaucratie inefficace » pour qui que ce soit. La procédure ne bougera pas, il ne s’agit que d’une systématique de la mesure. En outre, il apparaît bien plus compliqué administrativement, pour une école, de gérer un pédophile (sans parler des élèves et des parents) que de lui préférer un candidat au fichier vierge (ce qui est demandé pour le privé dans certains cantons).

    Une heure ou deux, dites-vous ? Selon vous combien de temps faut-il pour violer un enfant ? Il s’agit de personnes sous contrat, dont les qualifications sont aujourd’hui certifiées (même pour les mamans de jour, c’est dire), la vérification ne se fait qu’au moment de la conclusion du contrat de travail.

    Nous savons que vous qualifierez de « faits divers » les cas que nous allons vous citer, mais le pédophile de Berne, l’entraîneur de foot de Sion etc., ont tous un point commun, un point que la logique impose aux pédophiles, l’enfant. Contrairement à ce que vous affirmez, le prédateur pédophile recherche le contact avec l’enfant. Après le milieu familial, le contact professionnel à l’enfant est le premier « biotope » du pédophile.

    Il paraît par conséquent quelque peu léger d’écarter le défaut d’appréciation d’un juge non contraint par la loi pour expliquer la totale absence d’interdiction au sens de l’art. 67. C’est là le fond du problème, problème que règle l’initiative.

    Pour le reste, vous avez raison, l’initiative ne règle pas le problème de la prévention de la pédophilie en milieu familial, elle ne le cherche d’ailleurs pas. Unité de matière, l’initiative se charge de la pédophilie en milieu professionnel.

    Vous nous pardonnerez enfin de vous faire remarquer qu’il ne suffit pas d’énoncer des principes pour que ceux-ci deviennent vrais. Que l’initiative n’agisse pas en milieu familial ne la rend pas inefficace en milieu professionnel. L’initiative va dans le sens d’une restriction du risque statistique de nouvelles occurrences d’agressions pédophiles par simple prise en compte des condamnations passées. Du simple bon sens, de la sagesse raisonnable fondée sur la collection d’expériences antérieures, ce que la justice admet chaque jour par l’étude de la jurisprudence. Rien ne justifie de s’opposer à ça.]

  2. Posté par Alex Dépraz le

    Je me permets de réagir à deux de vos observations, avant tout pour que mon opinion soit mieux comprise (même si elle n’est pas partagée).
    Je ne plaide pas « une chose et son contraire »: le Code pénal, dans sa version entrée en vigueur le 1er janvier 2007 (révision de la partie générale), me paraît suffisant. Il s’agit principalement des peines prévues en cas de violation des art. 187 ss CP et de la peine accessoire que constitue l’interdiction d’exercer une profession, qui figure déjà dans le Code pénal (art. 67 CP, http://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19370083/index.html#a67). Ce n’est pas parce qu’il y a un ou l’autre fait divers qu’il faut modifier la loi. Je rappelle que l’initiative « pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants » a été lancée suite à l’engagement par une école biennoise d’un enseignant condamné pour des actes d’ordre sexuel avec des enfants. Or, cet enseignant travaille toujours dans la même école et n’a pas récidivé.
    Deuxièmement, vous pointez une contradiction entre le fait de s’opposer à l’initiative et de soutenir la révision du Code pénal adoptée par le Parlement (que j’appelais « contre-projet » dans mon article mais la Chancellerie paraît avoir adopté une définition plus restrictive de ce terme depuis la parution de celui-ci dans Domaine Public, le 10 mars 2014. Dont acte.). Je plaide coupable car c’est mon article qui était certainement insuffisamment clair: si j’avais eu à voter sur un « vrai » contre-projet du Parlement, je l’aurais également refusé. Et je pense que le message de ceux qui s’opposent à l’initiative en invoquant la révision adoptée par le Parlement n’est pas limpide: il sera en effet aisé de modifier la loi pour y intégrer l’interdiction à vie demandée par l’initiative si celle-ci est acceptée par le constituant (ce qui ne fait guère de doute à la lecture des sondages). Les mesures prévues risquent en effet d’être inefficaces, voire même contre-productives pour lutter contre la récidive et surveiller les délinquants qui posent réellement problème. Les autorités d’exécution et la police seront sollicités pour surveiller une multitude de personnes qui ne posent pas de problème et leur attention sera détournée ou insuffisamment aiguisée pour les délinquants qui posent réellement des problèmes. C’est en tout cas ce qui est observé aux Etats-Unis dans les Etats où des mesures automatiques sont appliquées aux auteurs d’infractions sexuelles contre des enfants.

    [La Rédaction: Monsieur, merci de vos remarques. Peut-on toutefois admettre que le cas extrêmement particulier de cet enseignant biennois, dont la direction reconnaît le suivi plus que soutenu, n’est pas un modèle en soi, en ce qu’une fois ce genre de cas généralisés, l’attention qu’on y prêtera risque fort de se divertir, le nombre d’occurrences croissantes en milieu scolaire ne plaide d’ailleurs pas pour les résultats de la vigilance. En outre, les milieux scolaires manquent-ils à ce point de candidats pour développer l’appareil coûteux et pléthorique qui permettra à un pédophile condamné d’exercer sans risquer de récidiver ? La réinsertion des pédophiles en milieux scolaires est-elle vraiment un impératif de notre démocratique ? Enfin, le suivi de cet enseignant eût-il été le même sans cette initiative ?

    Pourriez-vous nous dire, selon votre expérience, combien de fois l’interdiction de l’art. 67 a-t-elle été prononcée depuis son inscription ? Le procureur Bernasconi dit zéro (http://www.lesobservateurs.ch/2014/04/16/infrarouge-seconde-chance-pour-les-pedophiles/). Vous l’avez compris, nous ne vous suivons pas sur le sens que vous donnez à la notion et aux conséquences de ce que vous désignez comme « faits divers ». Un législateur qui table sciemment sur des quotas de victimes acceptables ne nous paraît pas remplir sa mission convenablement.

    Nous vous rejoignons, en revanche, dans l’idée que la révision du code pénal a été faite pour empêcher de facto la réalisation d’un principe efficace et clair d’interdiction professionnelle (http://www.lesobservateurs.ch/2014/04/14/pourquoi-la-loi-de-carlo-sommaruga-ne-permettra-jamais-dinterdire-aux-pedophiles-de-travailler-avec-des-enfants/). L’on ne peut pas gouverner sans le peuple, le législateur va devoir s’accommoder d’une interdiction systématique, laquelle libérera juges et experts de la difficulté de la décision sans les amputer, sur le fond, de l’efficacité de leurs compétences conservées par les dispositions non concernées par la révision. Ainsi, le système judiciaire pourra-t-il continuer d’appliquer la loi avec discernement et intelligence en intégrant un principe clair: plus de pédophiles condamnés en contact avec des enfants.]

Et vous, qu'en pensez vous ?

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