Entretien avec Mauro Poggia, Conseiller d’Etat (DEAS),Genève

Alimuddin Usmani
Journaliste indépendant, Genève

L’actualité cantonale et fédérale  sur des sujets comme l’assurance maladie ou l’emploi est très riche en cette période de l’année. C’est l’occasion pour le conseiller d’Etat genevois en charge du Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé (DEAS), Mauro Poggia, de s’exprimer et de faire quelques mises au point.

 

Alimuddin Usmani : Mauro Poggia, cela fait maintenant plus de 4 mois que vous êtes entré en fonction à la tête du DEAS. Vous êtes le premier conseiller d’Etat élu sous l’étiquette MCG. Comment se passe la collaboration avec vos collègues ?

Mauro Poggia : Elle est excellente. Après les premiers instants d’observation réciproque assez naturels, le Conseil d’Etat est aujourd’hui animé d’un bon état d’esprit qui a été construit sur la base d’une prise de conscience commune, celle de la nécessité de travailler ensemble pour affronter les défis de Genève.

Le fait que je sois arrivé au gouvernement est aussi l’expression d’une certaine préoccupation de nos concitoyens face aux défis de demain. Je crois que mes collègues, qui sont des personnes intelligentes, ont compris ce message.

La semaine passée, Michel Matter, le président des médecins de Genève, s’est opposé de façon virulente à votre projet de loi visant à lever le secret médical en prison. Pouvez-vous nous exposer les raisons principales qui vous poussent à ce changement de loi si radical ?

Il faut savoir qu’il y a eu certains dysfonctionnements, pas uniquement à Genève, qui ont été constatés dans le cadre de la prise en charge de criminels condamnés dangereux. Ceci a amené non seulement à une prise de conscience mais aussi à une réflexion sur les moyens d’éviter que de tels cas se reproduisent.

En ce qui concerne le cas de Genève, nous avons mis en œuvre une expertise, menée par l’ancien conseiller d’Etat Bernard Ziegler, qui a énoncé une problématique réelle, celle du secret médical. Celui-ci ne doit pas être aboli mais, dans certaines hypothèses, il peut être un obstacle dans la transmission de certains éléments pertinents que doit posséder l’autorité de décision qui est une autorité sécuritaire et qui doit se prononcer en dernier ressort. Nous parlons ici de personnes condamnées et dangereuses comme des assassins, des meurtriers, des violeurs qui sont des personnes contre lesquelles la société doit prendre des mesures de précaution. Face à ce constat, nous avons considéré qu’il fallait mettre cette levée du secret médical pour les personnes dangereuses de manière claire dans la loi.

Quant à la réaction des médecins, que je respecte,  je pense que la cible est mal choisie car il s’agit ici uniquement du cadrage du secret médical dans des cas extrêmement particuliers. Les médecins concernés par ces dispositions sont rétribués par une institution qui leur confie une mission de droit public qui est celle de veiller à ce que les personnes condamnées et soumises à des mesures puissent être aptes à regagner à un moment donné la liberté. Le thérapeute est imposé à ces patients spécifiques dans le but même de protéger la société. Je pense donc que c’est une mauvaise querelle que font certains médecins à ce projet de loi qui sera de toute façon examiné par le parlement.

Les assurés du canton de Genève ont payé des primes d’assurance maladie excessives ces dernières années. Le Conseil des Etats a trouvé un compromis visant à procéder à des remboursements. Concrètement est ce que l’ensemble des assurés de notre canton aura le droit à un remboursement ?

Je souhaite tout d’abord rappeler le contexte: il s’agit de sommes de plusieurs centaines de millions de francs qui sont passées dans d’autres cantons et qui leur ont servi à maintenir à un niveau inférieur leurs primes. Il était logique sur le principe que la totalité des sommes soit remboursée. Finalement, il a été décidé de nous rendre un peu moins de la moitié de cette somme qui sera versée au cours des années mais à raison d’un tiers à charge de la Confédération, un tiers à charge de l’assureur et un tiers à charge des assurés.

Il reste des incertitudes sur les modalités de ce remboursement. Quoi qu’il en soit tout cela est insatisfaisant, et est la démonstration que ce système ne marche pas. S’il y a des primes cantonales, les réserves qui sont constituées doivent bénéficier à ceux qui les ont constituées et pas à d’autres.

Le 18 mai prochain, le peuple suisse va se prononcer sur plusieurs enjeux de taille dont l’arrêté fédéral concernant les soins médicaux de base. Quelles sont vos recommandations à ce sujet ?

Je pense qu’il faut accepter le contre-projet qui est proposé. Par principe il faut valoriser la médecine de base. Le médecin de base n’est pas un sous-médecin par rapport à un spécialiste, comme on l'a trop souvent fait croire. Le fait d’être généraliste implique des connaissances dans un vaste éventail de spécialités. On sait que le médecin spécialiste gagne en moyenne bien mieux que le médecin généraliste.  Il est juste de rééquilibrer les choses.

Le 1er juin prochain le gouvernement français va mettre en place une réforme de l’assurance maladie des frontaliers. A ce sujet vous aviez interpellé le conseiller fédéral Didier Burkhalter. Vos inquiétudes se sont-elles dissipées ?

Bien sûr que non. C’est finalement Monsieur Berset, avec lequel je me suis entretenu le 15 avril, qui traite le sujet. Aujourd’hui, il faut admettre qu’il sera difficile d’amener la France à faire marche arrière même si je ne désespère pas de leur faire comprendre de manière subtile que les procédés qu’ils utilisent sont contraires aux principes généraux du droit international.

Il y a quelque chose d’inacceptable, en ce qui concerne la planification sanitaire, à ne pas clarifier les situations qui vont se présenter le 31 mai. Aujourd’hui, nous savons qu’aux Hôpitaux Universitaires de Genève, il y a de nombreux patients qui viennent de l’autre côté de la frontière, il y a des personnes qui peuvent accoucher le 1er juin en venant de l’Ain ou la Haute-Savoie. Qu’allons-nous faire ? Abaisser la herse du château en leur disant qu’ils doivent payer de leur poche ou nous donner des garanties ? Evidemment pas. La moindre des choses de la part du gouvernement français serait d’être transparent. Il y a eu un décret qui fixe les lignes générale et qui est totalement flou. Aujourd’hui on ne sait pas comment répondre aux futurs patients potentiels français, dont certains qui sont en cours de traitement, par exemple en chimiothérapie.

Votre département a tout récemment fait preuve de transparence concernant les emplois de solidarité qui ont coûté 27 millions de frs en 2013. Seuls 13% des bénéficiaires de ces EdS ont retrouvé une activité professionnelle. Comment expliquez-vous un retour à l’emploi aussi faible ?

Cela reste faible en chiffre absolu, mais il faut savoir que ces emplois de solidarité sont offerts à des personnes, très souvent âgées de plus de 50 ans, pour qui la seule alternative serait l’assistance sociale. Compte tenu d’un manque de formation, ils ne trouvent pas d’emploi. Je dirais que c’est toujours 13% de mieux que la situation antérieure. Il ne s’agit pas uniquement de décharger l’assistance sociale mais également de redonner confiance en eux à ces gens. Je ne veux pas dire que l’assistance sociale est dévalorisante mais l’image qui leur est renvoyée est celle de l’assisté. Retrouver son enfant en rentrant du travail, c’est autre chose que de l’accueillir sur le divan devant la télé. On constate que les bénéficiaires de ces emplois de solidarité aimeraient être mieux payés, ils expriment donc des revendications légitimes et salutaires.  Le but est de leur donner envie de progresser et c'est tant mieux.

Est-ce que les 5 personnes, engagées sur le budget de la Confédération à l’Office cantonal de l’emploi,  ont permis de soulager leurs collègues qui se plaignaient de surcharge de travail ?

Il faudrait en apporter beaucoup plus pour apporter un sentiment de soulagement. La surcharge n’est pas fictive mais il s’agit plutôt d’une démotivation, une lassitude de la part d’une majorité de conseillers en personnel qui ont la conviction, aujourd’hui, que les moyens mis à disposition ne sont pas en adéquation avec leur travail.

L’office cantonal de l’emploi a besoin d’un outil de travail correctement utilisé et correctement adapté pour faire coïncider l’offre et la demande. J’espère avoir à disposition dans quelques mois un instrument de réactivité aux offres reçues et nous irons au-delà de la directive transversale qui oblige l’Etat et les régies publiques à annoncer les postes vacants.  Nous allons étendre désormais cette directive à toutes les entités subventionnées. Il faut également obliger ces entités à recevoir les candidats et à justifier les non-engagements.

Lorsque nous aurons passé cette étape nous irons vers les entreprises privées pour les amener à ce réflexe qui est de s’adresser à l’office cantonal de l’emploi lorsqu’elles cherchent un nouveau collaborateur.

Estimez-vous que l’initiative contre l’immigration de masse adoptée le 9 février dernier est susceptible d’avoir des effets positifs en faveur des demandeurs d’emploi locaux face aux demandeurs d’emploi venus de l’étranger ?

Tout dépend comment elle sera appliquée. Je m’étais opposé à cette initiative car il y avait le risque inhérent de faire partir certaines entreprises. Je pense qu’il y a d’autres moyens possibles comme celui de favoriser les demandeurs d’emploi locaux. Il ne faut pas que cette initiative décourage les grands employeurs. Je pense qu’il est trop tôt aujourd’hui, dans la mesure où l’on discute encore des modalités d’applications, pour dire si elle aura plus d’inconvénients que d’avantages.

Que pensez-vous de l’initiative fédérale du 18 mai prochain qui vise à instaurer un salaire minimum de 4000frs par mois dans le monde du travail ?

C’est un sujet sur lequel le gouvernement genevois est divisé et ne prend pas position, je vais donc parler en mon nom personnel. Je considère effectivement que certains salaires ne permettent pas de vivre correctement. Genève en a pris conscience en créant des prestations complémentaires familiales destinées à ceux qu’on dénomme les « working poors ».

Ceci dit la Suisse et Genève ont toujours été partisans d’un dialogue social entre les employeurs et travailleurs pour trouver des solutions dans le cadre de conventions collectives avec des salaires minimaux négociés.

Le risque d’un salaire minimum serait que les patrons se contentent de payer ce salaire mais pas plus. Cela pourrait affaiblir la progression des salaires et ne pas encourager l’emploi. Sans parler du fait que les premiers qui pourraient être lésés seraient les personnes sans qualification. Ceux qui aujourd’hui sont sans qualification et qui sont payées en dessous de 4000frs par mois pourraient perdre leur emploi. Quitte à être soumis à un salaire minimum,  l’employeur engagera en priorité des personnes plus qualifiées.

Cette initiative part d’un bon sentiment, à savoir celui d’offrir un revenu digne aux salariés pour permettre de faire face à leurs charges. Néanmoins, elle met de côté les conséquences indirectes de ce type de démarche qui me pose philosophiquement un problème. Je considère que l’Etat doit intervenir pour créer des conditions- cadre favorables à notre économie mais qu’il ne doit pas s’ingérer dans ce genre de discussion si ce n’est pour éviter les abus les plus choquants.

Il vaut mieux qu’une personne ait un travail modestement rémunéré plutôt que de se retrouver au chômage ou à l’aide sociale.

Propos recueillis par Alimuddin Usmani, avril 2014.

 

Un commentaire

  1. Posté par john Simpson le

    Ca fait plaisir de lire un entretien qui traite les sujets en profondeur. Les médias traditionnels ont tendance à réduire le contenu dans un but sensationnaliste. Mauro Poggia a l’air d’une personne intelligente et compétente, je suis content d’avoir voté pour lui!

Et vous, qu'en pensez vous ?

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