La place du peuple

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Lors du débat du Conseil national sur la mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse, Mme Cesla Amarelle a déclaré: «En démocratie, le peuple est un organe de l’Etat, ce n’est pas le chef.» La formule a déclenché de fortes réactions. Mme Amarelle l’a reprise et développée dans 24 heures1 : le peuple, dit-elle, est l’un des éléments constitutifs de l’Etat démocratique, avec les cantons, l’Assemblée fédérale, le Conseil fédéral et les tribunaux; ses pouvoirs sont réels, mais limités par la Constitution, la séparation des pouvoirs et les usages.

Le discours de Mme Amarelle est strictement juridique. Son «peuple», c’est l’ensemble des citoyens qui ont le droit de vote, rien de plus. Associé aux cantons, le peuple peut certes modifier la Constitution, mais il ne peut décider de tout à la place des autorités élues, ni juger à la place des tribunaux.

Ce n’est pas faux, mais on reste à surface des choses. Car le peuple est beaucoup plus qu’un «organe de l’Etat». C’est une réalité communautaire et territoriale durable, riche de toutes les lignées familiales qui y vivent, de tous les liens qui se sont établis entre elles, de tous les intérêts qui les font vivre, locaux, professionnels, culturels, religieux, etc.

Et le parlement de Mme Amarelle n’est pas non plus un simple «organe de l’Etat». C’est une caste très consciente d’elle-même, imbue de ses prérogatives, autosuffisante, autocongratulante, centralisatrice, étatiste et volontiers internationaliste2. Ses dérives et défaillances n’ont pas été pour rien dans la réussite de l’initiative de l’UDC. Toute à sa volonté de remettre le peuple à sa place, Mme Amarelle n’en fait pas seulement mention.

«Après tout, qui t’a fait conseillère nationale?» demandent ses adversaires à Mme Amarelle. En bonne doctrine démocratique, rappellent-ils, c’est le peuple qui est à l’origine de l’Etat politique.

Il est même le fondement de sa légitimité. C’est de ce corps quasi mystique que procède la volonté générale. Le peuple est beaucoup plus qu’un organe de l’Etat, il est l’Etat, comme Louis XIV.

De plus, la participation du citoyen à la formation de la volonté générale étant inaliénable, sa représentation par le parlement est un mythe. Dans le meilleur des cas, c’est un pis-aller, bricolé pour des raisons pratiques et parce qu’on ne peut pas convoquer les assemblées de communes pour régler chaque détail du quotidien. Mais sur le fond, le recours permanent à la démocratie directe, tel qu’annoncé par M. Blocher après son éviction du Conseil fédéral, n’est pas un abus, mais un retour aux sources.

Mme Amarelle reconnaît sans doute le rôle mystique du peuple, mais seulement en tant qu’il pose la démocratie parlementaire comme seul régime acceptable et en tant qu’il garantit le caractère incontestable des élections. Le peuple est le totem de la démocratie, il convient de l’encenser une fois tous les cinq ans… avant de revenir aux affaires sérieuses.

La formule «organe de l’Etat» est au mieux maladroite, au pire révélatrice. Si le peuple lui-même est un organe de l’Etat, il n’y a plus «rien hors de l’Etat», formule mussolinienne caractérisant l’Etat totalitaire.

Que l’Etat soit distinct du peuple est au contraire une nécessité pour que les libertés des personnes et l’autonomie des familles et des corps intermédiaires soient possibles.

Mais le recours constant au peuple n’est pas satisfaisant non plus. Il s’accompagne souvent de proclamations démagogiques et de simplifications abusives. Il induit à négliger, comme ergotages déplacés, des notions juridiques aussi essentielles que la proportionnalité, la prescription ou la non-rétroactivité des lois. Il marginalise les cantons et favorise la prééminence du groupe linguistique germanophone, comme on l’a vu avec l’initiative pour l’élection du Conseil fédéral par le peuple. Il fait souvent plus appel aux passions qu’à la réflexion et au souci du bien commun. Et la mise des lois au service des passions est elle aussi un pas vers l’Etat totalitaire.

Pour exister, le peuple a besoin d’être structuré en nation et dirigé par un Etat distinct de lui. Et il a non moins besoin que ses intérêts soient représentés et défendus face à cet Etat et à son administration. Ce dernier rôle devrait être celui des parlementaires, ses «représentants» élus.

Malheureusement, le parlementaire exerce simultanément deux fonctions qui, en toute logique, devraient s’exclure l’une l’autre. Comme représentant, il est censé défendre le peuple et ses intérêts. Comme législateur, c’est lui qui décide quels sont les intérêts et les obligations du peuple. Comment le mandant ne se méfierait-il pas de ce mandataire obligatoire, qui veut bien être désigné par lui mais qui refuse de lui rendre des comptes? C’est ce que l’UDC a compris, d’où son succès. Mais elle n’est pas allée jusqu’à remettre en cause cette double et contradictoire fonction, tare rédhibitoire de la démocratie.

On ne supprimera cette tare qu’en séparant strictement les organes législatifs et les organes qui représentent le peuple. Et pour autant, encore, que ces derniers représentent les intérêts réels et divers du peuple plutôt que ses opinions et ses émotions.

La consultation sur un projet de loi auprès des milieux concernés va dans ce sens. Mais, alors qu’elle devrait orienter et même cadrer le législateur, elle ne lui sert le plus souvent qu’à prévoir plus tôt et à combattre mieux les résistances à son génial projet.

La démocratie directe, étant elle aussi à la fois représentative et décisionnelle, souffre de la même ambiguïté que le parlement. Néanmoins, elle permet de corriger, au profit du peuple, les manques et les excès de l’autorité. Malgré les abus patents qu’en font les partis, la Ligue vaudoise est opposée à toute tentative d’en réduire le champ d’application au profit d’un prétendu droit supérieur… ou du confort de ceux qui nous dirigent.

Notes:

1 «Etre patriote, c’est connaître sa Constitution», 24 heures du 10 avril 2014.

2 Empressons-nous de dire que les socialistes ne sont pas seuls en cause. L’action des libéraux n’est pas beaucoup moins nocive, engendrant des lois liberticides et anti-fédéralistes, comme on le voit avec la législation sur les cartels, la Commission de la concurrence, le marché intérieur suisse, la libre circulation européenne et autres créations destinées à «libéraliser» le marché.

 

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