La Crimée, Lacrima : Triste Europe!

Christian Vanneste
Président du RPF, député honoraire

L’Europe et singulièrement le triangle de Weimar constitué par la France, l’Allemagne et la Pologne avaient joué un rôle pour une fois positif dans la question ukrainienne. En obtenant un accord signé par le Président légitime de l’Ukraine, instaurant une situation transitoire jusqu’à des élections anticipées, l’Europe avait tenu sa place de voisin de l’Ukraine et de la Russie, soucieux de mettre de l’huile dans les rouages plutôt que de la jeter sur le feu. La suite n’a nullement respecté les accords. Sous la pression des émeutiers de la place Maïdan, complaisamment glorifiés par nos médias et célébrés jusqu’au ridicule par l’histrion international de service, BHL, le Parlement ukrainien a pris des mesures précipitées et provocatrices en destituant le Président Ianoukovytch et en supprimant l’usage de la langue russe, pourtant parlée par une bonne partie des Ukrainiens. On peut nourrir des doutes sur la spontanéité des mouvements populaires. La similitude entre les diverses révolutions des places, symbolisées par des fleurs ou des couleurs, peut procéder de la  contagion ou de l’imitation. Elle peut aussi être facilitée par des exportateurs intelligents, injectant ce produit performant sur des effervescences plus diffuses. La présence de mouvements extrémistes, bien organisés, entraînés et équipés, utilisant des méthodes de guérilla urbaine contre les forces de l’ordre fait planer un soupçon sur l’absence d’intervention étrangère « occidentale ». L’unanimité des médias dans une désinformation manichéenne sent également le déjà vu. L’esprit critique est un pilier dans une véritable démocratie. Il doit donner leur chance à la Russie, et à Vladimir Poutine.

La Roumanie chasse Ceaucescu après la découverte des charniers de Timisoara. Les Etats-Unis envahissent l’Irak de l’affreux Saddam Hussein pour l’empêcher d’utiliser des armes de destruction massive… inexistantes. Le modèle de cette manipulation de l’opinion le plus intéressant pour l’Ukraine est le Kosovo. Dans le scénario, on a le méchant de service : Milosevic, qui, comme Saddam n’a manqué aucune occasion de correspondre au rôle. On a des faits réels, et un grossissement volontaire à partir de rumeurs ou de « plans » inventés de toutes pièces : des enfants albanais noyés en voulant échapper aux Serbes, le plan « Fer à Cheval » d’expulsion massive des Albanais, par exemple. Le Kosovo est une région autonome de la Serbie. L’ONU décide par sa résolution 1244 de la prendre en mains pour que les ethnies qui l’habitent puissent continuer à y vivre dans la paix et le respect des minorités, mais aussi dans le cadre de l’intégrité territoriale serbe.  Cette situation juridique est soutenue par la force qui a obligé l’Armée serbe à quitter le territoire sous la menace des bombardements déjà subis par Belgrade. En 2008, le Parlement de la région proclame l’indépendance du Kosovo. Celle-ci est reconnue par les « occidentaux », mais dénoncée par la Russie et la Chine, comme illégale car elle ne respecte pas l’intégrité des frontières internationales. La Crimée, c’est le Kosovo à l’envers : 90% de Russes pour 90% d’Albanais, une région autonome avec un parlement qui vote une indépendance au mépris du droit international. Certains feront remarquer qu’il n’y a pas eu de violences en Crimée à l’encontre des Russes. Mais, au Kosovo, si la répression serbe a été violente dans les années 90, les vengeances albanaises sur la population serbe, les églises et les monastères orthodoxes, qui ont accompagné le chemin vers l’indépendance ont été nombreuses et meurtrières. En ignorant cette symétrie, en proclamant la vérité à l’Ouest et l’erreur à l’Est, les « occidentaux » font preuve d’une mauvaise foi totale. Leur réaction unilatérale après le succès massif du référendum criméen, opposant un droit abstrait à géométrie variable au vote manifestement enthousiaste d’une très large majorité du peuple, est une insulte à l’intelligence.

La réalité n’a ici aucun rapport avec le droit. Les Etats-Unis ne veulent pas que la Russie reprenne la voie de la puissance, et retrouve en influence directe les limites de l’URSS. Ils ne veulent pas qu’avec ses alliés elle puisse jouer un rôle au Moyen-Orient ou même en Amérique latine. Si ce dernier point, on peut souhaiter que le lamentable régime qui sévit au Vénézuela soit renversé, en revanche, on ne saurait trop condamner le soutien sans discernement apporté aux adversaires d’Assad en Syrie. C’est cette aide, et celle des alliés du golfe, qui ont transformé un mouvement de révolte populaire en guerre civile qu’Assad semble en passe de gagner contre des opposants désormais divisés et dominés par des musulmans fanatiques. On comprend les raisons historiques qui conduisent les Etats qui ont rejoint l’Union Européenne après l’effondrement du bloc soviétique à adopter une attitude hostile à la Russie. On ne voit pas l’intérêt de l’Europe d’embrasser systématiquement les vues américaines. L’Amérique est loin. Elle s’intéresse prioritairement à l’Asie. La Russie nourrit un projet eurasien, qui doit embarrasser  les Etats-Unis, mais c’est notre voisine. Comme l’élargissement européen a suffisamment montré ses dangers, la seule solution européenne consiste à développer les meilleures relations politiques et économiques avec la Russie, sans ingérence dans ses affaires intérieures, et sans prendre en compte la stratégie américaine. L’Europe est en train de manquer cette opportunité. Quant à la France, participant aux sanctions dérisoires et menaçant de suspendre la livraison de navires de guerre, au détriment de son industrie navale, elle trahit sa mission et son histoire en devenant le caniche américain au lieu d’être à la tête d’une Europe forte et indépendante, capable de servir ses intérêts plutôt que d’envelopper ceux des autres dans les bons sentiments, les artifices juridiques et les punitions symboliques.

Christian Vanneste, 18 mars 2014

5 commentaires

  1. Posté par Stefan Racovitza le

    Le rôle du Triangle de Weimar, dont vous parlez, n’a pas été positif, mais plutôt naïf, comme la plupart de la politique étrangère de l’UE. Entamer des négociations avec un champion de la corruption, le prorusse Ianoukovitch, en fin de trajéctoire, est-ce vraiment une action positive ?
    Vos arguments en faveur de Poutine et de laRussie font partie d’un vieux complèxe français, la fascination que la Russie (tsariste, communiste et postcommuniste) a exercé sur les Français. Louis Arargon, le Mouvement pour la paix, les victoires éléctorales et l’influence du PCF, encore présente, ne sont que des modestes exemples. Savez-vous que Vladimir Poutine est un vrai KGBiste et un fan de l’URSS ? Savez-vous que Staline est son modèle politique? Connaissez-vous les plaies historiques que la Russie a infligé à ses voisins durant des siècles ? Faut-il plus pour se rendre compte de la vraie personnalité et des objectifs de Poutine ?
    Votre poutinisme n’est pas loin de votre antiaméricanisme. Peut-on mettre dans le même sac les États Unis, qui malgré leurs défauts, sont une vraie démocratie, et la Russie de Poutine, un état autoritaire, excusez l’euphémisme ?
    Vous semblez ignorer les actions russes en Géorgie, Ossétie et Tchétchénie. Comme dans le cas de l’invasion de la Crimée, le droit international a été bafoué.
    Vous admettez l’hostilité des ex-pays communistes envers la Russie, mais il me semble que vous ne la comprenez pas.
    Vous dites que les relations de l’Europe avec la Russie ne doivent pas tenir compte de ce qui se passe en Russie, pas d’ingérence dans ses affaires intérieures. L’esprit de Münich ne me semble pas très loin.
    Ce qui se passe en Crimée, on verra ce qui suivra, est le résultat de la faiblesse de l’UE, mais aussi de l’Amérique, situation dont Poutine profitera au maximum.
    Poutine et sa Russie ne sont pas les amis de l’Occident. L’histoire de notre continent en est la preuve. Faut-il encore le savoir.

  2. Posté par JeanDa le

    Bonjour,
    « Comme l’élargissement européen a suffisamment montré ses dangers, la seule solution européenne consiste à développer les meilleures relations politiques et économiques avec la Russie, sans ingérence dans ses affaires intérieures, et sans prendre en compte la stratégie américaine. »
    Parfaitement d’accord avec vous. Et c’est remarquable de constater que notre conseil fédéral vient de faire exactement le contraire en rompant ses négociations de libre échange avec la Russie … bravo (voir ici : http://www.lesobservateurs.ch/2014/03/19/la-suisse-suspend-ses-negociations-avec-la-russie-pour-un-accord-de-libre-echange/)

  3. Posté par Claude Ruel le

    Ce que j’en pense ? Je trouve l’article de Monsieur Christian Vanneste particulièrement lucide. C’est un excellent article et une excellente analyse, très objective de la situation. Merci Monsieur Vanneste d’apporter un éclairage sans complaisance et une information juste et sincère.

  4. Posté par Lafayette le

    Et Tchernobyl, on n’a pas oublié, c’est l’Ukraine aussi !

    Que la Crimée soit Russe ou pas, cela ne regarde pas les Unions (d’Amérique et d’Europe).

  5. Posté par Sancenay le

    « le vent de l’histoire a tourné » aurait déchanté le poète révolutionnaire pédophile à ses heures.
    Le boomerang aussi ! Décidément la « révolution » cela devient de plus en plus démodé . Merci Monsieur Poutine ! Fini les séances d’humiliation infligées continûment à la Russie . Européistes, et atlantistes en quête d’hégémonie , bobos, gauchos ultra-libéraux et autre « philospohe tuné » acoquinés dans la mal pensance, rentrez à la niche , la récré est finie.Vive Sotchi * et le triomphe de l’humanisme à la russe !
    * où il fut démontré magistralement qu’ il vaut généralement mieux vivre handicapé en Russie qu’handicapé en France, en faculté, du côté de la SNCF ou sur Air france notamment !

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