Le « coup d’Etat » cautionné et appuyé récemment à Kiev par les politiciens de l’UE, des USA, et les groupes d’influence institutionnelle mondialiste comme la Fondation Soros est lourd de conséquences. Nouvelle étape agressive des révolutions « orangistes », l’équivalent des « printemps arabes » aux sinistres effets, ce coup de force rappelle d’autres opérations similaires ayant fait imploser la Yougoslavie et créé des Etats déficients, assistés et faillis. Le retrait imposé en catastrophe du Président légitime, et démocratiquement élu faut-il le rappeler, ne peut que faire exploser l’Ukraine. Ce pays « tampon » entre Est et Ouest, où cohabitent des économies d’influences et de cultures diverses, des minorités linguistiques, des mémoires antagonistes est un véritable baril de poudre qui ne demande qu’à s’allumer. Certains analystes ( J. Gautheret dans Le Monde ») ont même pu décrire cette situation comme une « mémoire éclatée » où les conflits et propagandes issus de la deuxième guerre mondiale, en l’absence d’un véritable travail de vérité et réconciliation, sont instrumentalisés de manière destructrice et factice. Chacun peut ainsi présenter son adversaire politique et économique selon les schémas de stigmatisation « noir/blanc » du théâtre guignol antifasciste caricatural et anachronique. Le camp pro-russe, qui abuse à dessein de cette posture morale, se fait un malin plaisir de ressortir la mythologie de la Grande guerre patriotique contre le fascisme allemand, alors que l’Allemagne est aujourd’hui politiquement inexistante  mais économiquement, comme sous-traitant contraint par l’UE, effectivement en pointe d’influence en Ukraine. Les forces patriotiques ukrainiennes, dont la légitimité historique est aussi évidente, se voient stigmatisées comme fascistes, nazies et antisémites, alors qu’elles se nourrissent de  la mémoire du génocide par la faim de millions de leurs concitoyens (Holodomor), conséquence non pas de la politique « russe » mais du régime bolchévique qui a imposé de manière ignoble la collectivisation de l’agriculture en détruisant la paysannerie traditionnelle ukrainienne et ses coutumes identitaires. L’Union européenne, qui en Europe désigne comme fasciste et antisémite tout opposant souverainiste ou patriote, s’accommode fort bien en Ukraine de la participation, minoritaire certes au gouvernement «  de transition » putschiste, de membres du mouvement de droite « Svoboda ». On voit bien comment les forces politiques peuvent être estampillées différemment selon les critères de la propagande. Fasciste en étant adversaire du mariage pour tous en France, on devient combattant de la liberté en Ukraine, pour autant que l’on s’allie aux forces agressives de l’OTAN, de l’UE et de l’économie globalisée de marché avec la bénédiction du redoutable fouteur de guerre moraliste Bernard Henri-Levy. On avait pu observer d’ailleurs le même phénomène d’instrumentalisation de forces politiques souverainistes lors de l’éclatement de la Yougoslavie. Tout ceci pour se faire un jour vampiriser finalement et complètement par la Nouvelle Union soviétique que représente l’Union Européenne. Quel gâchis.

La Crimée (berceau historique de la Russie, port militaire unique dans l’hémisphère Sud, lieu de déportation de la population indigène tatare, coupable d’avoir collaboré, comme beaucoup, avec les libérateurs allemands, cadeau compensatoire de Khrouchtchev  à l’Ukraine) est un bon exemple de cette mémoire morcelée et instrumentalisable selon les standards du politiquement correct. Et des risques de guerre civile archaïque déclenchée sur des émotions de propagande artificielle.

Au milieu de ce déluge de propagande vieillotte et inactuelle, de cette avalanche de points Godwin (atteindre le point de Godwin signifie que la probabilité de la discussion d’aboutir à une comparaison avec le nazisme est élevée), il peut paraître difficile de différencier l’essentiel de l’accessoire. Il est clair que les forces souverainistes en Suisse et dans l’UE ne peuvent s’associer à la déstabilisation de l’Ukraine, zone intermédiaire Est/Ouest. Tout ce qui renforce la progression de la nouvelle URSS européenne est négatif pour nos valeurs de résistance. Il serait faux de prendre au mot la propagande de style soviétique (antifasciste déclamatoire) qui est servie contre l’UE pour la caricaturer dans ce qu’elle utilise aussi sans vergogne contre ses adversaires internes. La Russie conservatrice est aussi un contrepoids puissant et indispensable pour maintenir un monde multipolaire et garantir la souveraineté de nations neutres qui s’opposent à l’UE, ses sanctions, sa loi de libre-circulation, la dictature du Grand Marché. Les nationalistes ukrainiens ont soit  fait un mauvais choix, soit  sont instrumentalisés par les deux camps pour servir leur propagande (un peu comme les salafistes dans les pays arabes, repoussoirs dont on se servira un jour pour intervenir). Leur alliance avec les forces pro-européennes et antirusses est une lourde erreur stratégique et géopolitique. Maïdan ne peut être un modèle pour un véritable changement de Société. Quant à nous, restons neutres pour le moins. Dommage que notre diplomatie s’aligne, une fois de plus, sur  les forces de la déstabilisation et de la guerre. Le référendum sur l’indépendance de la Crimée est la réponse logique et symétrique au coup de Kiev…Qui sème le vent récolte la tempête.

Dominique Baettig, 15 mars 2014