History is again on the move

Bruno Bertez
Bruno Bertez
Analyste financier anc. propriétaire Agefi France

La montée des extrêmes, la radicalisation des individus et des groupes est une réaction. Le mot fort est ce mot de « réaction » . Il a mauvaise presse, car les associations d’idées, la polysémie, qui lui sont liées sont à forte consonance négative. Il suffit de prononcer le mot pour déclencher le jugement a priori, pour déclencher la condamnation. Le mot « réaction », comme le mot « extrême » est satanisé. Bien entendu, puisque nous vous mettons en garde, vous n’allez pas tomber dans le piège et vous allez faire l’effort de considérer que nous ne visons dans l’usage du mot réaction que ce qui est déclenché par ce qui l’a précédé, l’action.

 

«Attendez vous à savoir... », c'est ainsi que Geneviève Tabouis commençait sa chronique, chaque matin sur Radio Luxembourg . Sa maîtrise, la qualité de ses informations étaient exceptionnelles et elle a peut-être déterminé notre goût pour le journalisme, dès cette époque.

 

Nous étions alors fort jeune, trop jeune pour comprendre que tout était truqué. Geneviève ne prédisait pas l'avenir, elle ne faisait que bénéficier d'informations privilégiées sur le présent. D'autant plus privilégiées que son mari était fort introduit en affaires et en politique et surtout qu'elle était un « asset » des Soviétiques, étant payée mensuellement par eux. Quand nous l'avons appris, bien plus tard, cela a modifié notre façon de concevoir la presse. Nous en avons conclu que prédire l'avenir était une illusion et que ce qui était important, c'était le présent, qu'il  fallait découvrir et comprendre, et déconstruire, et surtout qu'il fallait découvrir qui tirait les ficelles. Aucune parole n'est innocente, ce que nous avons traduit grossièrement plus tard par:  « Si quelqu'un ouvre sa gueule, c'est qu'il y a intérêt », pour décoder une info, il faut toujours se poser la question de savoir pourquoi quelqu'un parle ou écrit. La première question en matière d'info doit être celle que l'on se pose sur le locuteur.

 

Ici, nous disons: « Attendez-vous à ce que la question de l'extrême-droite, la question du fascisme, tiennent le devant de la scène médiatique au cours des prochaines semaines et prochains mois ».

 

Pourquoi? Parce que nous sommes à un tournant, à un point critique du processus de globalisation, d'intégration mondiale et bien sûr, européenne. Nous sommes à un point critique parce que les  évolutions suivies jusqu'à présent sont réversibles et que le vote suisse l'a montré, d'une part, et fait comprendre, d'autre part.

 

Il suffit pour s'en convaincre de regarder la levée de boucliers que ce vote, qui restreint ou met des limites à l'intégration européenne et globale, a provoquée. Avant le vote suisse, on considérait que cette évolution vers l'intégration était incontrôlable, irréversible, que c'était un combat perdu d'avance que de s'y opposer. Le choix était remplacé par le « il faut », tombé du ciel de la Nécessité, du déterminisme historique. Le vote suisse est un coup de tonnerre qui brise ce qui était devenu un tabou, c'est une brèche, une déchirure du mythe de l'inéluctable.

 

Ce n'est pas un hasard si ce vote est intervenu maintenant. Il  été produit par la situation dans laquelle le monde, l'Europe et les émergents, se trouvent : après cinq ans de crise, on s'interroge sur les bienfaits de l'intégration.

 

Les niveaux de vie ont cessé de progresser, le chômage à fortement gonflé, le welfare est plus que menacé, il est partiellement condamné, la précarité s'est considérablement disséminée, la violence connaît des regains qui inquiètent, les libertés sont rognées, les contrôles multipliés. Pire, les gens ont un sentiment de dépossession identitaire, d'impuissance démocratique, ils souffrent de perdre leurs repères, leurs références, et de ne voir aucun moyen de reprendre en main leur avenir. Déficit de niveau de vie, déficit d'avenir, déficit démocratique, vont de pair. Le tout sous le vécu révoltant de l'impuissance perçue.

 

La montée des extrêmes, la radicalisation des individus et des groupes est une réaction. Le mot fort est ce mot de « réaction » . Il a mauvaise presse, car les associations d'idées, la polysémie, qui lui sont liées sont à forte consonance négative. Il suffit de prononcer le mot pour déclencher le jugement a priori, pour déclencher la condamnation. Le mot « réaction », comme le mot « extrême » est satanisé. Bien entendu, puisque nous vous mettons en garde, vous n'allez pas tomber dans le piège et vous allez faire l'effort de considérer que nous ne visons dans l'usage du mot réaction que ce qui est déclenché par ce qui l'a précédé, l'action.

 

La réaction, c'est ce qui suit dialectiquement, organiquement, une action, voilà ce que la propagande veut depuis des décennies occulter. On considère comme un phénomène qu'il faut mettre au grand jour, analyser, stigmatiser, ce phénomène réactionnaire, mais on ne veut pas voir que, s'il y a réaction, c'est qu'il y a eu action auparavant. On veut faire comme si le mal réactionnaire tombait du ciel ou plutôt comme s'il sortait, sans cause, « du ventre immonde » de Brecht. Le politique, le penseur, le commentateur, eux, doivent, au risque de se condamner à l'idiotie du rabâchage stérile, ces gens-là doivent inverser la démarche: ils doivent comprendre l'action, la décortiquer sous tous ses aspects afin d'approcher un tant soit peu l'examen de la réaction.

 

Voilà notre message essentiel. Si nous sommes dans une période de  réaction, c'est parce qu'une action est en cours et que c'est d'abord sur cette action qu'il faut porter attention pour comprendre et agir.

 

Il faut oser dépouiller le mot « réaction » de son côté sulfureux, il faut dé-diaboliser ses manifestations, ses symptômes, ses modes d'apparaître ; bref, il faut en faire un objet d'étude à part d'autant plus entière que l'avenir de nos sociétés est en jeu. Et la démarche honnête, scientifique, tout simplement celle de l'homme de bonne volonté,  pourrait-on dire, commence non par l'anathème, mais par l'examen des conditions de l'action qui lui ont donné naissance.

 

Nous soutenons, mais c'est simple bon sens, que la réaction est produite, elle ne tombe pas du ciel de la méchanceté ou de l'ignorance et elle ne sort pas du « ventre immonde » toujours prêt à enfanter.

 

Nous lisions ces derniers jours une contribution française faite par un « chercheur » du CRHISM de Perpignan, fondateur de l'Observatoire des Radicalités Politiques. Nous mettons « chercheur » entre guillemets car,  si on y regarde bien, ce garçon ne cherche rien, il a déjà trouvé avant même que de commencer à chercher. Sa démarche ne comporte aucune originalité, aucun nouveau savoir faire, elle est copie conforme de tout ce qui est fait sur ce sujet et, en particulier, de ce qui a été fait par Pierre Milza qui  prétend avoir compris quelque chose à l'extrême droite et au fascisme parce qu'il en a collecté l'histoire superficielle et a procédé à une multitude d'amalgames, lesquels ne prouvent que l'indigence de la méthode dite des RG,  renseignements généraux, la police politique. On ne comprend rien,  mais on met bout à bout et le sens se dégage, voilà la méthode. On sort des passés sulfureux, quelques erreurs de jeunesse, quelques enthousiasmes débiles, et le tour est joué, on a compris ce qu'était l'extrémisme, le fascisme, etc.

 

Nous sommes les premiers à lutter contre le fascisme et les extrêmes et les avatars racistes, xénophobes, antisémites, qui s'y rattachent ou s'en réclament, mais c'est parce que notre volonté, notre désir, sont sincères que nous stigmatisons ceux qui prétendent lutter contre la réaction tout en négligeant de s'intéresser à l'action qui lui a donné naissance ou renaissance.

 

La première des démarches, soutenons-nous, est d'analyser ce qui s'est passé ces dernières décennies qui fait que le corps social s'est à nouveau fragmenté, que le consensus de base a disparu, que les gens sont montés les uns contre les autres, que l'on est obligé de s'écarter des règles de la démocratie, que le mensonge et la propagande règnent en maître, etc.

 

Le fascisme, l'ultra-gauchisme, sont des  réactions. Et  le scientifique, ou simplement l'homme de bonne volonté, n'ont  pas à se poser la question de savoir si  une réaction est légitime ou pas, car se poser la question obscurcit et invalide le travail de recherche,  et pour avoir accès à un début de compréhension, il faut un minimum de neutralité. Le scientifique doit étudier les conditions, les caractéristiques de production des extrémismes dans les circonstances historiques présentes.

 

Il est évident que les grandes lignes des conditions de production de l'extrémisme sont évidentes, même si elles sont méconnues. On les voit, mais elles aveuglent tellement qu'on ne les perçoit pas,

cela ne remonte pas jusqu'au cerveau!

 

Le phénomène de base, c'est la tendance à l'intégration mondiale, globale. Tendance à l'intégration qui se fait sous la force, sous la houlette de l'économie ou de l'économisme (dictature de la catégorie « économie »).  L'économie étant depuis le début des années 80 en mutation vers une forme financière, bancaire, dominée par le crédit et non plus par l'épargne. Ce qui pose la question de l'avenir des classes moyennes, de leurs systèmes de protection sociale, de leur promotion sociale. L'épargne s'incarne dans des couches sociales.

 

L'intégration à la fois globale et dans des blocs régionaux a,  dès avant la crise, provoqué stagnation du pouvoir d'achat des salaires et un chômage de plus en plus de masse. La réalité des 19 millions de chômeurs  officiels en Europe est que  30 millions de personnes sont en sous-emploi. Il s'y est ajouté de forts mouvements de population sous diverses formes, urbanisation, désertification des campagnes, immigration.

 

La crise financière de 2008/2009... 2020 a accéléré la mise au chômage, les pressions sur les pouvoirs d'achat, la précarité, détruit les perspectives d'avenir, les régressions et déchéances de statut social.  La visibilité de l'Autre par l'immigration, l'a transformé en concurrent pour les uns et en bouc émissaire pour les autres. L'Autre est devenu la cause des maux. Rien de positif en tous cas. La distension des liens de la famille a fait disparaître divers filets de sécurité et renforcé la perte d'identité.

 

Le traitement de la crise s'est fait, non pas par le changement et la correction des erreurs, mais par la fuite en avant, par l'accélération et l'amplification de ce que les peuples considèrent comme des injustices. Les cadeaux aux banques, donc au monde de l'argent, les ponctions fiscales, les contrôles considérés comme scélérats, la destruction de la rémunération des économies des gens, le tout alors que les inégalités provoquées par le jeu financier progressaient de façon exponentielle, a constitué un facteur explosif d'éclatement des consensus. Auquel les classes politiques n'ont pas su apporter de bonne réponse. Tout ce qu'elles prévoient, c'est d'aller plus loin voire d'accélérer. Ainsi au Davos de 2011, « ils » ont osé présenter comme une nécessité l'obligation de créer 103 trillions de crédit nouveau d'ici 2020.

 

Les classes dirigeantes  se sont enfoncées dans la dissimulation, l'opacité, la tromperie et les reniements de fausses promesses qui, de toutes façons, étaient intenables. Pire, la convergence des politiques a fait apparaître au grand jour la convergence des partis de gouvernement et leur profonde similitude, l'illusion de l'alternative a disparu, les yeux se sont décillés sur la fausse segmentation du marché de la politique, sur le fait que le même produit était vendu sous deux emballages différents.

 

Voici quelques pistes, il y en a d'autres, mais elles sont plus ou moins réductibles ou dérivées de celles que nous avons tracées.

 

Notre époque est caractérisée par une tentative, un mouvement,  vers ce que l'on appelle historiquement « L'intégration ».Ce mouvement n'est pas maîtrisé.  Ainsi personne ne se pose la question de savoir si le rythme -qui découle plus ou moins des besoins américains-, convient aux autres peuples. Il y a des choses qui sont peut être souhaitables, mais pas forcément maintenant, tout de suite, comme la Grande Négociation Transatlantique par exemple. Les sociétés ont une épaisseur, une inertie, un rythme d'évolution, que l'on a intérêt à ne pas ignorer.

 

La mauvaise gestion du facteur temps est une constante des politiciens, ils sont nuls sous beaucoup d'aspects, mais sur celui-là tout particulièrement. C'est normal, car le temps, c'est la complexité, il est fluide, différent selon les individus, les corps sociaux, les métiers,...

 

La gestion déplorable est au centre des difficultés qui s'entassent devant nos sociétés, mais la mauvaise  gestion n'est pas tout, elle masque le jeu des intérêts particuliers des puissants qui polluent la réflexion, achètent le personnel  politique et les médias. La mauvaise gestion n'est pas innocente, elle est intéressée, partisane, elle vise au maintien d'un ordre que les progrès des sciences, des connaissances, des  techniques, des processus de fabrication, devaient normalement remettre en question en continu... et qu'ils bloquent.

 

L'intégration n'apporte pas prospérité, paix et harmonie, mais régression, désenchantement, haine et finalement refus, rejet, repli sur soi.

 

Tout ceci constitue un cadre général, global, dans lequel s'inscrit l'histoire de chaque bloc et de chaque communauté. Bien souvent les conditions générales déterminent les évolutions locales, mais quelquefois, il y a exacerbation, comme en Europe où une intégration monétaire ratée, bancale,  multiplie et amplifie tout, en complexifiant les situations.

 

Sans être franc-maçon, nous apprécions l'utilité logique de la loi du Triangle.

 

Face à l'Action décrite ci-dessus, la Réaction était inévitable, inscrite dès le premier jour de la mise en branle des phénomènes.

 

La loi du triangle dit : « lorsqu'une force s'exerce et tente de provoquer une action dans un sens, cela déclenche une force de réaction, ainsi,  le résultat constaté n'est pas celui que l'on attendait au début de l'action sur la base de la constatation de la force initiale, mais une résultante, mélange complexe des deux forces d'action et de réaction ».

Comme le disait Toynbee, « history is again on the move ».

Bruno Bertez, 18 févrrier 2014

 

 

 

 

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.