Leçons du 9 février

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

Depuis dimanche soir, la Constitution Fédérale est agrémentée d'un nouvel article sur l'immigration demandant l'établissement d'une limite supérieure annuelle au nombre des nouveaux venus, et comme condition à l'octroi d'un permis d'établissement "la demande d'un employeur, la capacité d'intégration et une source de revenus suffisante et autonome."

Rien que du bon sens, en somme.

Je suis un immigré. En Suisse depuis quinze ans, je suis arrivé à l'époque des quotas ; je n'en suis pas mort. Mais venant d'une France dévastée par des décennies d'ouverture au tout-venant, je connais les conséquences d'une immigration irréfléchie. Je ne peux donc que saluer la sagesse et la clairvoyance des citoyens, au-delà des intérêts d'une économie incapable d'intégrer le long terme dans l'équation. Leur courage aussi, car il en fallait du courage pour oser voter Oui le 9 février. Ne nous avait-on pas promis d'innombrables souffrances en cas de "mauvais choix"? En attendant, la croissance 2014 est révisée à la hausse...

udc,manoeuvres politiques,démocratieBeaucoup de gens hors de Suisse ont mal compris le texte de l'initiative, par exemple Rama Yade. La conseillère régionale UDI d'Île de France s'est sentie obligée de souligner que "200'000 Français qui travaillent en Suisse vont se retrouver sur le carreau". L'émotion, sans doute. Mais si on se donne la peine d'aller au-delà de l’anecdote, l'incompréhension des politiciens européens est inévitable puisqu'elle renvoie à leur propre surdité. De peur d'entendre le peuple, aucun d'entre eux ne serait prêt dans le moindre pays à mettre au vote une proposition comme celle de l'UDC. La démocratie les effraie au plus haut point. C'est en cela, et rien d'autre, que la décision helvétique du week-end est "regrettable". Comme le résume Zerohedge:

La Commission européenne regrette l'approbation de l'initiative introduisant une limite quantitative à l'immigration. Cela va à l'encontre du principe de libre-circulation des personnes entre l'Union Européenne et la Suisse.

Plus important encore, cela va à l'encontre du principe central de l'UE d'ignorer les décisions démocratiques comme le savent toutes ces nations européennes écrasées sous la planification, contrôlées par des banques et insolvables - seuls quelques "bons" bureaucrates non-élus savent ce qui est le mieux pour tout le monde. En tant que tel le vote démocratique doit toujours être ignoré, en particulier lorsqu'il va à l'encontre des thèses prêchées par les politiciens, les banquiers centraux et, bien sûr, Goldman Sachs.

L'insolente velléité d'indépendance de la Suisse a valeur d'exemple. Elle pourrait déteindre sur d'autres peuples de l'Union car la colère gronde au Royaume-Uni, au Danemark ou en France. C'est l'unique souci des élites. Croire qu'ils se soucient un instant des difficultés d'installation en Suisse de leurs ressortissants tient de la plaisanterie - ils ne sont même pas capable de comprendre les raisons pour lesquelles ils partent. D'ailleurs, pourquoi faudrait-il s'inquiéter du sort d'ingrats refusant le paradis européen?

L'Europe aboie beaucoup mais mord peu: elle s'en voudrait de punir une classe politique helvétique acquise à sa cause. Du point de vue Bruxellois, les élites de la Suisse sont aussi victimes de la votation de dimanche. Elles expieront la reculade sur la libre-circulation en accordant servilement à l'UE des concessions encore plus humiliantes sur le reste. Voilà la "renégociation" qui attend la Suisse.

La rupture entre le peuple et sa classe politique est tout aussi criante en Suisse. Comme de plus en plus souvent, l'UDC a gagné seule contre tous. On peut y voir la marque d'un certain succès, c'est vrai, mais aussi d'un manichéisme inquiétant. Comment tolérer une seconde l'alliance impie entre autorités fédérales, autorités cantonales, organisations faîtières de l'économie, syndicats, médias et tous les partis politiques hors UDC alors que le texte a rassemblé plus de la moitié des électeurs?

Si la collusion contre-nature a explosé en vol devant le résultat des urnes, ce qui est certes agréable, le fond du problème subsiste: le pluralisme politique est en voie de disparition en Suisse. Comme dans d'autres pays, les choix deviennent binaires et le débat démocratique dégénère en invectives. L'anathème est la bouée de sauvetage des gens sans arguments.

Les implications dépassent largement une ambiance de campagne détestable. Le gouffre se creuse entre les décisions populaires et les orientations des autorités ; il est le reflet d'une classe politique avide de prendre dans les travées du Parlement une revanche sur les urnes. L'UDC l'emporte devant le peuple mais les anti-UDC décident des lois d'application. Ils tiennent les leviers de l'exécutif et du judiciaire et modèlent la Suisse à leur image.

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Il est peut-être plaisant dans une discussion mondaine de clamer qu'on est "pour l'initiative mais pas l'UDC", tant on a dressé le citoyen à ne pas choisir ce parti. Mais le citoyen doit aussi comprendre qu'avec cette posture, à chaque élection il met au pouvoir des gens qui n'auront de cesse de trahir la volonté populaire qu'il s'est donné la peine d'exprimer en votation.

Regardez les conseillers fédéraux, eux-mêmes émanation de l'Assemblée Fédérale, et demandez-vous combien d'entre eux sont pour l'adhésion à l'Union Européenne, pour la libre-circulation, contre le renvoi des criminels étrangers, contre l'internement à vie des criminels dangereux. N'y a-t-il pas un léger problème de représentativité?

Pour garder un sens au débat démocratique, le centre et la gauche doivent écarter de leurs partis les barons du dogmatisme, les donneurs de leçon sourds à la réalité et autres idéologues acharnés dont la posture pavlovienne anti-UDC tient lieu de réflexion politique. Oui aux valeurs, non à l'intransigeance bornée. Il faut retrouver le sens du compromis, du dialogue et de l'intérêt général dans les préoccupations que la population exprime à travers les initiatives.

La tâche est immense mais l'avenir du débat démocratique en Suisse est à ce prix. Les électeurs ont la lourde responsabilité de régénérer la classe politique suisse, faute de quoi les camps en présence se résumeront à "l'UDC" ou "Tous les autres". Est-ce ce que nous voulons?

Stéphane Montabert

http://stephanemontabert.blog.24heures.ch/

3 commentaires

  1. Posté par Lafayette le

    C’est très juste, les quotas n’était qu’une erreur de plus, autant en rester à une situation plus saine comme aux etat-unis ou il s’agit d’un état ultra-liberal ou il y a une préférence nationale.

    Et si Napoléon avait été italien, le royaume ne serait pas tombé ?

    Ca ne s’est joué qu’à une année ! c’est dire qu’un quota c’est rien, il faut fermer les portes, construire des forteresse, …

  2. Posté par Anne Lauwaert le

    une question qu’on néglige: combien de temps l’Union Européenne existera-t-elle encore ?

  3. Posté par Eric le

    Cher Monsieur UDC,

    Pourquoi votre parti a toujours refuser les mesures d’accompagnements, la protection des travailleurs suisses, et vote toujours contre les intérêts du peuple a Berne ??? (résultats disponible sur admin.ch)

    Et maintenant vous venez faire les grands seigneurs, pour le bien du peuple suisse, a ce qu’il parait. Le jour ou vos votes a Berne seront en accord avec vos dires dans les médias, ce jour là, je pourrais peut-être considérer votre point de vue.

    Vous êtes exactement comme la classe politique que vous dénoncez.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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