Une conférence avec la forme mais sans le fond

Christian Vanneste
Président du RPF, député honoraire

Le spectacle a montré le talent de l’artiste. On avait fini par oublier que c’est ce talent-là qui fonde le professionnalisme des politiciens. Qu’un chef d’Etat, parmi les plus visibles dans le monde, accablé par les échecs de sa politique, affaibli par la révélation d’une vie « privée » scabreuse, en chute libre dans les sondages, maîtrise sa communication comme si de rien n’était, a entraîné chez beaucoup de commentateurs, déjà enclins à la connivence, une retenue presque admirative. L’acteur avait bien répété. A force de faire du scooter, il a réussi à garder son casque pour ne pas entendre les questions gênantes, et amorcer un virage social-démocrate dans le brouillard d’orientations imprécises.

 

On peut résumer cette très longue prestation en trois mots. Le premier est « responsabilité ». Un observateur attentif  aurait souligné que c’est une qualité qui fait superbement défaut chez le Président. Evoquer la situation épineuse qu’il a provoquée comme s’il s’agissait d’une épreuve à laquelle il était soumis, se présenter comme une victime qui affiche une indignation magnanime et l’exigence d’un respect qu’on aurait aimé lui voir témoigner, sont autant de façons d’évacuer sa responsabilité. Il fait de même sur le plan politique en mettant la situation économique et sociale actuelle sur le dos de ses prédécesseurs, en oubliant le « détail » de la crise et en tentant de faire passer ses dix-huit mois d’errements pour une période de redressement du pays. Reste le pacte de responsabilité. Il s’agit de celle des entreprises qui devraient se sentir responsables de la création d’emplois dès lors qu’on diminue leurs charges. Comme celles-ci sont plus importantes que chez les concurrents étrangers, il y a fort à parier que diminution des charges rimera avec augmentation des marges, lesquelles sont justement plus faibles ici qu’ailleurs. L’effort demandé aux entreprises n’est pas précisé. Comment sera-t-il contrôlé ? On sait que la diminution concernera les cotisations familiales. On ignore, en revanche, comment elle sera compensée. Par un recul de la politique familiale ? Le Président dément. Mais au moment où la fécondité recule et compte tenu des dispositions déjà prises dans ce domaine, notamment la baisse du plafond du quotient familial, on peut penser qu’un spécialiste du contre-sens peu motivé par cette politique est capable du pire. On notera que la fin des cotisations patronales « famille » était la contrepartie de la TVA sociale. On arrive donc au même objectif, mais par des méandres compliqués et incertains. Le relèvement du taux de TVA ayant eu lieu, ce seront les économies qui financeront la famille. Lesquelles ? On ne sait pas, mais rassurez-vous braves gens, un « machin », comme il est rituel d’en annoncer à chaque conférence de presse, va être créé. Le Conseil Stratégique de la Dépense va chercher le trésor caché, caché chez les autres, notamment les collectivités territoriales majoritairement socialistes et si généreuses avec l’argent public et les dotations de l’Etat. Demain, elles seront moins socialistes et l’Etat moins généreux.

Pour l’instant, le scooter effectue donc un virage essentiellement sémantique. Il n’est plus socialiste, mais social-démocrate. Cela signifie admettre que le discours de la prise du pouvoir était soit utopique soit hypocrite. Il fallait faire payer les riches, les grosses entreprises, les gros contribuables rendre la demande plus juste. On va maintenant faire payer tout le monde pour permettre à la production, à l’offre de se relever. Certains sociaux-démocrates ont fait des choix courageux et réalistes : Schröder, notamment. Hollande, qui savait à quoi s’en tenir, revient au réel, comme Mitterrand en 1983, mais il le fera à sa manière, sans netteté ni courage. « Juste, écologique et efficace » les trois adjectifs utilisés par le Président, visent, chacun, une clientèle. Le marché politique, Hollande connaît. Les autres spécialistes du commerce politique, les centristes, ne s’y sont pas trompés. Un terrain d’entente peut devenir un motif d’alliance et le chemin du pouvoir, lequel, comme le profit pour le monde économique, est la seule motivation des politiciens professionnels. Un social-démocrate, c’est fréquentable. Comme le radical qui est radicalement sans opinion et heureusement préservé de toute idéologie, le social-démocrate n’est plus socialiste, mais en bon démocrate toujours attiré par la majorité et le pouvoir. Les Allemands viennent d’en apporter la preuve.

Le troisième mot, c’est l’Allemagne, ou plutôt l’Europe, mais les deux sont désormais synonymes et plaisent particulièrement aux centristes. Le Président veut plus de convergence. Il semble dire que chacun doit faire un pas. La touche européenne est toujours la solution de ceux qui ne savent plus vraiment quoi faire du ballon. Celui qui opposait la croissance à l’austérité sait désormais que la croissance revient timidement par ceux qui ont pratiqué l’austérité. On peut toujours appeler convergence un ralliement pour convaincre les gobe-mouches.  Les Français vont devoir se convertir à la compétitivité des Allemands. Ces derniers vont laisser les premiers faire la guerre, parce que celle-ci leur donne des boutons, comme l’inflation. Ayant beaucoup donné ils sont devenus allergiques. Pour l’énergie, on peut difficilement trouver une plus grande divergence qu’entre le spécialiste du lignite et celui de l’atome. Enfin, l’Euro est un sous-Mark idéal pour l’Allemagne et un sur-Franc dont nous souffrons. Il faut approfondir et non plus élargir, dit le Président. Il est trop tard pour l’un et l’autre. Il faut aujourd’hui défaire ce qui a été mal fait.

Christian Vanneste

Un commentaire

  1. Posté par Pierre B. Decaillet le

    L’éloquence, un art majeur, l’arme suprême.
    L’art de la parole, l’éloquence, la rhétorique, l’art de parler en public forment à la fois un des arts majeurs et restent sans doute une des armes les plus efficaces au monde.
    Qu’importe le contenu du discours, l’important c’est la manière de le délivrer à son auditoire. C’est un art que nos sophistes athéniens ont inventé. Ils s’y exerçaient sur les forums romains. C’était l’art majeur, le plus prisé et ça ne l’était pas sans raison. Qu’importe la vérité et la justesse des raisonnements, ce n’est pas ce qui fait vibrer les foules. Faire vibrer une foule est un art. L’art n’est qu’une vibration. De tous temps cet exercice de la parole a été prisé comme un art majeur que ce soit chez les romains, les grecs ou à la cour des rois de France mais probablement aussi dans toutes les communautés de par le monde. Accaparer l’attention d’un auditoire, d’une audience, d’une foule rien n’est plus excitant. Les grands dictateurs savent tous parler aux foules et les griser de mots. C’est un art qui comme tous les autres évolue avec son temps comme la musique. On s’adapte à l’époque. On dit « Le beau parler ». On catalogue « un beau parleur ». On se méfie de ce don du langage car nous le savons bien il est dangereux, comme le vin il nous fait tourner la tête. Il nous fait perdre la raison. A la différence de l’écrit, il ne nous laisse pas le temps de réfléchir, de nous arrêter sur chaque pensée ou raisonnement, de vérifier la vérité d’un fait, de faire la part des choses. Le véritable orateur nous grise comme l’alcool en nous interdisant de réfléchir. Il nous fascine. Les bonimenteurs l’ont bien compris qui nous racontent de belles salades pour nous vendre leur camelote. Ils savent que la parole est une arme de vente efficace. Pour parodier Francis Bacon, je dirai, « parler, parler, il en restera toujours quelque chose* ». C’est bien là l’arme du politicien. Les mots, les promesses, les envolées lyriques qui rendent presque réels de « vrais mensonges ». Des descriptions d’avenirs enfin meilleurs qui ressemblent à du rêve et qui nous font dire que les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient.
    Oui, on ne peut pas rester totalement insensible aux qualités oratoires d’un intervenant. Il y a les mots, le ton et les inflexions de la voix, les gestes, les mimiques. Souvenez-vous d’un de Gaulle, d’un Mitterrand, de la façon dont ils savaient mettre l’auditeur de leur coté et je ne parle pas des dictateurs comme Hitler, et Staline qui savaient mettre le feu à des auditoires de centaines de milliers de personnes. Oui, l’éloquence est une arme et les mots sont des munitions. Certains n’ont que les munitions qui sont souvent bien inoffensives sans arme pour les utiliser. Mais l’éloquence et l’art de la parole en public sont un véritable pouvoir. Un ami, ancien de l’école polytechnique (de Lausanne je crois), me disait que dans certaines écoles supérieures, les élèves sont encore entraînés à l’art de l’éloquence. Peu importe le sujet, peu importe ce que l’on dit, l’important c’est d’être capable de parler pendant des heures sans ne rien dire, pour ne rien dire et cependant maintenir l’attention de l’auditoire. C’est jubilatoire de pouvoir le faire, c’est un don et beaucoup de travail.
    Me revient à la mémoire un des textes à commenter en public pendant 45 minutes : « connaissant le clair de lune, décrivez le clair de l’autre ».
    Savoir parler c’est maîtriser un pouvoir. Un grand art.
    Ésope avait bien raison quand il disait que la langue est la meilleure et la pire des choses.
    * : « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose » Francis Bacon (Essai sur l’athéisme)

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