Célébration du bicentenaire de la Restauration genevoise (2)

Alexandre Vautravers
Alexandre Vautravers
Professeur de Relations internationales Rédacteur en chef de la Revue militaire suisse

Après l’analyse historique critique de Jean-Jacques Langendorf, le discours de la commémoration actuelle d’Alexandre Vautravers, lundi 30 décembre 2013, 17h, Esplanade de la Treille, Genève

"Nous voici à la tombée du jour, ce 30 décembre 2013, nous sommes réunis pour commémorer les événements militaires et historiques qui ont marqué notre République il y a 200 ans. C’est en effet il y a 200 ans jour pour jour et heure pour heure que les derniers des 12'000 soldats français ont quitté Genève et la Suisse. Nous débutons ainsi, ce soir, la série de commémorations du Bicentenaire de la Restauration genevoise, qui nous amèneront tout naturellement au 1er juin – soit l’arrivée des troupes confédérées au Port Noir. Mais quelle est l’importance de ces évènements pour notre histoire ? Quelle signification ont-ils aujourd’hui ?   La période qui s’étend de la Révolution française au Traité de Vienne, soit de 1789 à 1815, est un tourbillon pour l’Europe, pour la Suisse et bien sûr pour Genève. Durant ce temps, plusieurs régions de la Confédération sont envahies, avant que le pays ne succombe tout entier à l’invasion française en 1798. S’ensuivent de nombreuses rébellions et conflits internes, quatre constitutions successives, quatre coups d’Etat, des invasions des armées autrichiennes, prussiennes puis russes, l’occupation militaire, des rançons et des chantages, conduisant à la ruine puis la cessation de paiements. Ne parlons pas encore des famines, des tortures, des déplacés…   Rappelons-nous qu’avant d’être l’asile de Paix que nous connaissons aujourd’hui, la Suisse a joué le rôle de champ de bataille de l’Europe – ce que les Belges ou les Polonais dans cette présente assistance ne manqueront pas d’acquiescer et de respecter. Sous l’occupation française, la population helvétique a été sommée de fournir plus de 74'000 soldats à la France ; 65'000 ont été rassemblés, avec zèle, notamment en vidant les prisons et en se débarrassant des vagabonds. Sur ce chiffre, seuls 4'000 sont revenus. A la seule campagne de Russie de 1812, où 12'000 soldats suisses disponibles, sur les 16'000 prévus sont allés combattre, seuls 300 sont revenus. Sur la rivière Bérézina, en novembre 1812, il n’en restait plus que 1'300 ; 1'000 sont morts en chargeant les Russes trois fois à la baïonnette, après que les munitions aient été épuisées. Un combat d’arrière garde, un sacrifice, pour couvrir la retraite de l’ombre de la Grande armée, de ses fuyards et de ses déserteurs.   Cette période terrible est pratiquement inconcevable pour notre « génération Y ». Toutes ces horreurs de la guerre, il faut le rappeler, sont à l’origine de la Suisse moderne :

  1. Déjà durant l’automne 1792, sous la menace de concentrations de troupes françaises entre Carouge et Sierne, les autorités de Genève ont dû faire appel à une contre-concentration de troupes fédérales – surtout bernoises – entre Genève et Nyon. Celles-ci, sous le commandement du colonel Guillaume Bernhard de Muralt, nommé général de l’armée suisse par la Diète, parviennent à arracher la signature d’un accord des Français, qui s’engagent à ne pas occuper Genève. Depuis 1536 déjà, nous le savons, la sécurité de Genève repose sur l’alliance avec les Confédérés.

 

  1. La création d’une armée fédérale a été le « monopole de la violence légitime » nécessaire pour apaiser les insurrections et les sécessionnistes. Qu’on la fasse remonter au 4 septembre 1798 et à la Légion helvétique, ou à l’introduction du service militaire obligatoire généralisé en 1817, cette armée reste à ce jour la plus ancienne armée nationale. Rappelons que cette année, en 2013, 73% du peuple suisse a confirmé celle-ci dans son organisation et ses missions de promotion de la Paix, d’appui aux autorités et de défense.

 

  1. Notre système politique, fédéraliste et consensuel, stable et respectueux des minorités – notamment par son Conseil fédéral de 7 membres – est un contrecoup de la centralisation et du pouvoir personnel introduits sous l’occupation française.

 

  1. Enfin, l’indépendance et la neutralité armée : elle sont consubstantielles à la Suisse. Le Sonderbund, en 1847, a bien montré qu’une guerre civile entre Suisses dégénérerait vite en conflit européen ; et vice versa. Mais la neutralité n’empêche pas la solidarité, comme en témoignent les bons offices – à l’exemple des deux traités de Bâle de 1795 entre la France et la Prusse. Souvenons-nous en, au moment d’accueillir les représentants et les négociateurs des puissances et des parties au conflits en Syrie, ou à la question nucléaire iranienne.

Quelques réflexions sur notre temps et ce qui nous attend   Il y a 200 ans, Genève a retrouvé sa liberté. Combien de peuples à travers le monde peuvent le comprendre ? Combien de peuples attendent toujours la leur ?   Malgré tous ceux qui oeuvrent pour la sécurité, le contrôle des armements et la non-prolifération, la promotion ou le maintien de la Paix, la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, les trafics en tous genre, les humanitaires, les médiateurs, les diplomates… la Paix dans le monde n’est pas encore une réalité pour tous aujourd’hui. Loin s’en faut.   Nous fêtons cette année le 150e anniversaire de la création de la Croix-Rouge et de la 1e Convention de Genève – qui doivent tous deux beaucoup au Général Guillaume-Henri DUFOUR, fondateur par ailleurs de la Société militaire de Genève en 1825 déjà.   Mais cette année, l’utilisation au Moyen Orient d’armes chimiques, en Afrique de quasi-génocides, du terrorisme aveugle à travers le monde, sans parler des assassinats ciblés quelle que soit l’arme – de la bombe la plus simple au drone le plus sophistiqué, doivent nous interroger sur la Paix et sur notre sécurité.   Les menaces prennent aujourd’hui la forme du bombardier stratégique que l’on repère à des centaines de kilomètres de distance, autant que du virus informatique que l’on ne détecte que lorsqu’il est déjà trop tard pour agir et contre lequel nos outils et nos lois sont bien démunies. Les menaces sont les même qu’il y a 200 ans : du tremblement de terre à l’inondation… sauf que le réchauffement climatique nous en promet toujours plus et que l’extension des agglomérations et notre dépendance vis-à-vis des infrastructures critiques rend notre société chaque année plus dépendante et plus vulnérable.   Au-delà de ces ténèbres, souhaitons que « Celui qui est en haut » veille et illumine cette terre. Et souhaitons d’avoir, toutes et tous, la force et le courage de faire face aux défis qui nous attendent, l’initiative et l’entraînement de saisir les opportunités qui se présentent, l’éthique et la clairvoyance de ne pas choisir la facilité mais la responsabilité et le droit.   Cette année, la clairvoyance du peuple suisse a balayé une initiative du GSsA pernicieuse et mal ficelée. Cet été, lorsqu’il nous faudra voter sur le remplacement de la moitié de notre aviation de défense aérienne, j’espère que nos citoyens et notre canton feront preuve d’autant de cohérence et de responsabilité qu’en 2013.   Honneur et fidélité à notre devise : POST TENEBRAS LUX. Honneur et fidélité à notre mission, à nos engagements et à nos responsabilités. Honneur et fidélité à Genève, ville de Paix, et à sa sécurité.   Les cérémonies et les festivités du Bicentenaire de la Restauration peuvent donc bien commencer. Je vous souhaite, à toutes et à tous, au nom de la Société militaire de Genève, les meilleurs vœux pour la nouvelle année 2014 : qu’elle vous tienne en bonne santé et vous offre toutes les opportunités et les succès en commun que vous souhaitez.   Merci   La Société Militaire du Canton de Genève, organisatrice de cette manifestation depuis 1883, vous remercie de votre présence. Celle-ci témoigne de votre soutien à notre société patriotique et prouve, une fois de plus, votre attachement à la vie de notre République et Canton.   Je tiens également à remercier toutes celles et tous ceux qui ont contribué au bon déroulement et au succès de cette commémoration. Tout d’abord, nos autorités cantonales et celles de la Ville de Genève, GE200 pour son partenariat et sa collaboration ; un grand merci aux membres du Comité de la Société Militaire, les porte-drapeaux des sociétés patriotiques et militaires, les piquiers et membres de la Compagnie 1602, les carabiniers genevois.   Merci aux artilleurs genevois, qui assureront l’ouverture de la cérémonie officielle du 31 décembre avec trois pièces d'artillerie situées sur la Promenade de la Treille, sur la Promenade de l’Observatoire et sur la Rotonde du Mont-Blanc. Chacune tirera 23 coups de canon correspondant aux 23 cantons suisses.   Depuis plus de 40 ans, les descendants de la garde nationale de Genève sont associés à cette cérémonie. Un grand merci à vous - les Vieux Grenadiers et à son commandant.   Merci également à vous tous d'être venus en nombre marquer votre attachement à nos institutions, à nos traditions et à la Restauration de la République.   Vive la Suisse ! Vive Genève !   Lt col EMG Alexandre Vautravers Président de la Société militaire de Genève (SMG) " Genève 30 décembre 2013

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