Un remboursement avorté

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

 

Les votations du 9 février verront le peuple suisse décider ou non de suivre l'initiative "Financer l'avortement est une affaire privée". Au nom de celle-ci, les initiants demandent que le financement des avortements soit radié de la liste des prestations de l’assurance obligatoire. Leur argumentation tient en une formule limpide, la grossesse n'est pas une maladie.

Face à cette évidence, la contre-attaque est virulente. L'initiative est accusée de nier les droits des femmes sur leur corps, de ressusciter les faiseuses d'ange du passé, de propulser la Suisse des décennies en arrière...

L'indignation est peut-être un peu exagérée mais l'argumentation tombe pas complètement à plat. Les promoteurs de l'initiative penchent clairement du côté "pro-life". Alors, l'initiative a-t-elle pour but de mettre chacun en face de ses responsabilités financières ou de réduire la quantité nette d'IVG pratiquées dans le pays?

L'ambigüité du projet est rendue encore plus opaque par un argumentaire utilitariste. A l'idée de ne pas payer pour une "non-maladie" on oppose que les IGV ne représentent que 0,03% des coûts annuels de la santé. A l'idée de diminuer le nombre global d'IVG en Suisse d'environ mille par an, on oppose la charge pour la société de familles déstructurées ou d'enfants laissés à l'abandon par des mères qui ne voulaient pas d'eux... Sans qu'on puisse présager ce qu'ils deviendront!

Si les promoteurs de l'initiative semblent avoir des motifs inavoués, leurs détracteurs ne sont pas en reste sur le plan de la mauvaise foi. Ainsi, l'IVG pourrait tout aussi bien être couverte par une assurance-complémentaire d'un prix modique. Il ne s'agit pas d'interdire l'IVG mais de faire en sorte que les mères qui suppriment leur enfant en assument aussi la responsabilité financière. Si cela augmentera sans doute la facture pour une poignée de familles imprévoyantes, peut-on réellement penser que des mères choisiront "l'économie" d'une IVG pour garder leur enfant à la place? L'argument d'avortements illégaux tombe lui aussi dès lors qu'on considère l'Autriche où depuis 40 ans celle qui a recours à un avortement doit payer de sa poche, sans que les offres illégales n'y fleurissent. De plus, l'initiative pourrait mettre un terme à certaines dérives, comme le fait qu'il soit possible aujourd'hui que des adolescentes de 16 ans ou moins subissent un avortement sans même que leurs parents ne soient mis au courant.

Il est impossible de connaître l'ensemble des comportements individuels et encore moins de prétendre définir l'intérêt de la société dans cette affaire. La question de l'avortement revient finalement à quelque chose de très personnel.

votation du 9 février 2013,avortementDe façon étonnante, les libéraux sontpartagés sur ce vieux débat. Ils opposent le droit de propriété de la mère sur son propre corps à celui du fœtus sur sa propre vie. La méthode antique de détermination - l'enfant ne devenait un individu à part entière qu'au moment de la naissance - n'a plus de sens aujourd'hui où même de grands prématurés ont des chances de survie sans séquelles. On ne peut pas non plus extrapoler que le moindre amas de cellules soit un "humain" au sens plein et entier du terme. Pourtant, si on le laisse se développer, il le deviendra.

Si nombre de femmes déclarent que l'avortement est un traumatisme, celui qu'elles subissent (incluant un risque non nul de ne jamais plus pouvoir enfanter) reste négligeable par rapport à ce qui attend l'être avorté... Le "droit de chacun à disposer de son corps" est un argument que l'on peut retourner pour refuser la mise à mort d'un être humain à naître à un moment où il est innocent de façon indiscutable.

Si le libéralisme est la défense absolue du droit de propriété de chacun, dont le droit de propriété sur son propre corps, alors il n'y a aucune raison de choisir systématiquement celui de la mère contre celui de l'enfant à venir, celui du fort contre celui du faible!

Par un heureux hasard, la Suisse a répondu à ces questions ouvertes en plébiscitant le "régime des délais" en 2002. Dans les 12 premières semaines, l'interruption de grossesse revient à la femme concernée. Dès la 13e semaine, il faut un avis médical démontrant que l'IVG est nécessaire pour écarter le danger d'une atteinte grave à l'intégrité physique ou un état de détresse profonde de la femme enceinte. On peut donc considérer que la distinction entre un "amas de cellules humaines" et un "être humain en devenir" intervient à la douzième semaine, ce qui est à peu près la limite définie entre les périodes embryonnaires et fœtales. Le compromis est forcément discutable mais a le mérite d'exister.

Mais si les libéraux sont divisés sur la question de l'avortement, tous sont en revanche unanimes sur un fait: l'Etat n'a pas à forcer les gens à payer pour l'avortement d'autrui par le biais d'une cotisation obligatoire. C'est pourquoi je soutiens cette initiative, tout en sachant qu'elle sera certainement balayée!

Stéphane Montabert

10 commentaires

  1. Posté par Nanou le

    Il est de notoriété publique que les système médicamenteux ne sont pas fiables a 100%. Vous semblez sous-entendre que la bonne solution est l’abstinence. Prôner l’abstinence dans notre société est une illusion. Tout comme énoncer qu’il s’agit d’un problème de couple. Si l’homme ne souhaite pas s’investir dans la décision et financièrement, cela sera à la femme d’assumer, seule.
    Pour parler en terme financier, si l’avortement sort de la LAMal, soit les femmes paieront elles-même l’acte médical, avec plus ou moins de facilité. Cela pourrait favoriser les dettes dans une tranche de population déjà peu protégée à ce niveau.
    Soit la femme gardera cette enfant, et comme l’a montré une étude de Caritas, « avoir des enfants, c’est s’exposer à la pauvreté ». Ainsi, dans la pire des situations, qui n’est pourtant pas rare, au lieu d’avoir permis une IVG via la LAMal et vos primes d’assurance, vous permettrez à cette famille de vivre difficilement grace à des prestations d’aides sociales, par le biais de vos impôts.

  2. Posté par Jean-Baptiste Aegerter le

    Accidents, imprévus, la communication devrait porter sur le fait que le modèle traditionnel de prévention des grossesses n’est pas fiable, elle ne le fait pas, d’où les accidents, les imprévus.

    Il va de soi que nous parlons de la responsabilité du couple. Il n’est pas triste de demander à quiconque d’assumer ses actes, c’est la moindre des choses. Il est en revanche beaucoup triste plus de tromper ces personnes sur les risques encourus et de demander à ceux qui font attention de payer pour les autres, surtout quand il s’agit de tragédies comme l’avortement que l’on pourrait aisément éviter en changeant de comportement. C’est d’un cynisme glaçant.

    Donc responsabilité des personnes concernées et non responsabilité collective pour tout et n’importe quoi.

  3. Posté par Nanou le

    Les pilules contraceptives, anneaux contraceptifs, stérilets, etc, ne sont pas fiables a 100%, c’est une réalité. Mais pas d’inquiétude, ils ne sont pas remboursés par la LAMal. Il en va de même avec les préservatifs, il y a parfois des ratés.
    Dès lors, il y a des accidents : événements non volontaires, imprévus , sans intention de la personne concernée.
    Il est triste que l’on souhaite que les femmes assument la responsabilité financière d’une interruption de grossesse alors qu’il s’agit certainement d’un choix difficile. Car soyons claire, le débat entourant cette question est fortement connoté au niveau du genre (homme-femme). Dans le cas présent, ce sont les femme qui assument, elles vivent physiquement l’expérience, doivent gérer les conséquences psychologiques et, en sortant cette prestations de la LAMal, la facture sera a leur nom, pas aux généreux fournisseur mâle. Mais à cela, j’anticipe votre réponse : « c’est une histoire privée entre la femme et l’homme. » La responsabilité individuelle a bon dos.

  4. Posté par Jean-Baptiste Aegerter le

    @Nanou
    Pas fiable à 100%, alors qu’on commence par le dire et qu’on ne nous force pas à financer les conséquences d’un système qui n’est pas fiable.

  5. Posté par Nanou le

    Ayant une sensibilité de gauche, je suis contre le nivellement vers le bas des prestations remboursées par la LAMal (et pas uniquement). La comparaison avec les problèmes dentaires avait pour objectif de montrer l’absence de lien entre « la maladie » et « la prise en charge des soins ».
    Lorsqu’un automobiliste a un accident en ayant un taux d’alcoolémie élevé, doit-on lui demander de payer ses soins hors LAMal?
    En réfléchissant en termes de responsabilité individuelle, il y a des maladies gourmandes en dans les dépenses LAMal et relevant de chois de vie, par exemples
    – des maladies cardio-vasculaires
    -du diabète
    -des problèmes de dos
    -etc
    Toutes pourraient être diminuée par de la prévention et des changements de comportements.
    Doit-on contraindre autrui à favoriser une alimentation riche en fibres, faible en matière animale et en sucre, tout en les obligeant a faire 1,2,3 ou 4 heures de sport par semaine? Ou faut-il les exclure de la LAMal car résultat de choix personnels? Je ne crois pas.
    Il est, à mon sens, facile de pointer la responsabilité individuelle alors que, dans le cadre de l’avortement, les systèmes de protection ne sont pas fiables a 100% d’une part et que oui, la prévention en terme de grossesse non-désirée et d’IST a fortement diminué ces dernières années.

  6. Posté par Jean-Baptiste Aegerter le

    @ Nanou Et bien justement, si on ne rembourse pas les caries qui sont une maladie, pourquoi rembourser l’avortement ? En outre, l’avortement n’est pas un soin, c’est uen intervention qui intervient après un défaut de prévention. Si une personne a fait le choix de ne pas faire attention, au nom de quoi force-t-on la communauté à payer pour ce choix ? Quand un automobiliste décide de s’écraser contre un platane avec de l’alcool dans le sang, on ne demande pas à la collectivité de payer l’amende. Un refus de prévention devrait être suivi de conséquence, ou bien est-ce que la prévention en question ne fonctionne pas et qu’il faut revoir tout le système ?

  7. Posté par Nanou le

    Si les détracteurs de l’avortement dans la LAmal avance comme argument qu’il ne s’agit pas d’une maladie et donc qu’il faut retirer cette prestation médicale des remboursements de cette assurance sociales peut-être faut-il leur rappeler que les maladies liées aux dents (carries, dents de sagesse, infections, etc), pour lesquelles il est nécessaire de consulter un dentiste, ne sont pas remboursées par la LAMal.
    L’avortement, est un acte médical. Les autres actes médicaux, pour la grande majorité, et heureusement, sont pris en charge par la LAMal sans discrimination sur l’origine nécessitant une prise en charge.
    Les assurances sociales ont comme base une solidarité entre les membres d’une même société. Il s’agit d’une solidarité financière nécessaire et utile pour tous, telle qu’imaginée lors de la création de l’AVS notamment. Avancer des arguments tels que « Cela ne me regarde pas donc je ne veux pas payer! » montre un égocentrisme important et un déni de la nécessité d’une solidarité entre concitoyens.

  8. Posté par Kath le

    En effet, comme le dit l’initiative, la grossesse n’est pas une maladie mais un choix privé, donc je n’ai pas à payer ces grossesses avec mon assurance-maladie. Il faudrait également supprimer de nos assurances-maladie tous les frais provoqués par les alcooliques et les drogués…. Ils ont fait un choix… qu’ils assument. Sans les frais de grossesses, de l’alcoolisme et de la drogue…. je sens que mon assurance va descendre radicalement…. 🙂

  9. Posté par Stéphane Montabert le

    Non, cela fait partie de la prévention, comme la vaccination ou le dépistage.
    Est-ce donc si compliqué?

  10. Posté par Laura le

    Puisque « la grossesse n’est pas une maladie », il faudrait également cesser de rembourser les frais liés au suivi de la grossesse par un gynécologue ainsi que ceux de l’accouchement, non?

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