Il serait bien surprenant pourtant que l’initiative, si elle est adoptée, n’ait pas de répercussion sur les recettes fiscales et sur l’AVS, puisqu’il est plus que douteux que la limitation des hauts salaires se traduise par des augmentations des salaires les plus bas… et que des places de travail pourraient bien être supprimées, sans parler de délocalisations d’entreprises sous des cieux devenus dès lors plus cléments.
Qui doit décider de la politique salariale d'une entreprise? Ses propriétaires ou l'Etat?
Telle est la question fondamentale à laquelle les électeurs suisses devront répondre le 24 novembre 2013.
Ce jour-là, en effet, ils voteront pour ou contre l'initiative populaire "1:12 - Pour des salaires équitables", lancée par les jeunes socialistes suisses.
Si cette initiative est adoptée par le peuple dans un mois, la Constitution fédérale sera modifiée comme suit:
Art. 110a Politique salariale
1 Le salaire le plus élevé versé par une entreprise ne peut être plus de douze fois supérieur au salaire le plus bas versé par la même entreprise. Par salaire, on entend la somme des prestations en espèces et en nature (argent et valeur des prestations en nature ou en services) versées en relation avec une activité lucrative.
2 La Confédération légifère dans la mesure nécessaire. Elle règle en particulier:
a. les exceptions, notamment en ce qui concerne le salaire des personnes en formation, des stagiaires et des personnes en emploi protégé;
b. l'application à la location de services et au travail à temps partiel.
Qu'est-ce que cela signifie?
Cela signifie que l'Etat réglementera la politique salariale des entreprises en leur imposant à toutes, sans considération de leurs différences (de chiffres d'affaires, de secteurs d'activité, d'effectifs etc.), le même rapport de 12 entre le plus haut salaire et le plus bas.
Les jeunes socialistes, quand on leur dit que la liberté des propriétaires de fixer les salaires de leurs dirigeants et de leurs employés comme ils l'entendent sera limitée, répondent par une pirouette ici:
"L'initiative 1:12 ne fixe aucun salaire, mais elle met en place des limites raisonnables."
Admettons que, dans une entreprise, le plus bas salaire soit de CHF 3'200.- par mois et de CHF 41'600.- par an. Le salaire annuel le plus élevé devra donc être de CHF 499'200.-, quel que soit l'effectif de l'entreprise. Ce salaire annuel sera aussi improbable dans une entreprise de 10 salariés que dans une entreprise de 500, 1'000 ou 50'000 salariés, pour des raisons d'ailleurs diamétralement opposées.
Le juste salaire d'un dirigeant ne peut pas se calculer en fonction des autres salaires de l'entreprise mais en fonction de ses responsabilités, de ses compétences et qualités. A partir d'un certain niveau, le nombre de dirigeants potentiels se réduit et c'est cette rareté qui en fait le prix, comme dans tous marchés. Dire comme les jeunes socialistes qu'il n'y a pas de marché des managers, c'est tout simplement un déni de réalité.
Au fait, pourquoi 1:12 serait-il un ratio induisant des limites raisonnables? Là nous entrons dans l'arbitraire le plus absolu. Certes le nombre 12 est symbolique. C'est le nombre des mois de l'année, des tribus d'Israël, des apôtres du Christ etc. Mais cela ne le rend pas moins arbitraire, ni pour autant raisonnable. Il aurait été aussi arbitraire de choisir 1:7 ou 1:20...
Les initiants disent:
"L'initiative 1:12 renforce la Suisse."
Ils pensent que la limitation des hauts salaires permettrait de renforcer la cohésion sociale. En fait, la cohésion sociale n'existe que dans la mesure où le niveau de vie général est élevé et où le chômage est bas. En comparaison internationale la Suisse est dans le peloton de tête mondial sous ces deux aspects. Pourquoi? Parce qu'elle est parmi les pays les plus libéraux du monde (où tous les salaires sont justement fixés librement) et que toute sa population en profite.
Les initiants disent:
"Les profiteurs ne profitent pas à la croissance, ils la mettent en danger."
Pourquoi "les profiteurs" (c'est en ces termes qu'ils parlent des dirigeants) mettent-ils en danger la croissance?
Parce que leurs hauts salaires empêchent d'augmenter les bas salaires. Pourquoi un dirigeant accepterait-il de diriger une entreprise à un salaire moindre que celui qu'il pourrait obtenir ailleurs? Pourquoi ne serait-il pas tenté de sous-traiter les tâches les plus humbles pour que le salaire le plus bas de son entreprise soit le plus élevé possible et lui permette de maintenir son salaire actuel en le multipliant par 12?
Les initiants disent:
"Les arnaqueurs [c'est en ces termes qu'ils parlent des dirigeants] ne sont pas les meilleurs, mais seulement les plus avides."
Comme si eux n'étaient pas avides de se partager leurs hauts salaires...
Quand les initiants disent qu'"aucune PME n'est visée par l'initiative", ils montrent par là même qu'ils méconnaissent les salaires des dirigeants de PME... Et quand ils ajoutent qu'elle "ne vise que les salaires astronomiques des top-managers", ils montrent par là même que ce monde-là leur est également inconnu.
Les initiants disent:
"Il n'y aura aucun changement en ce qui concerne l'AVS. L'ancien chef du Département des assurances sociales le confirme."
S'il le confirme...
Il serait bien surprenant pourtant que l'initiative, si elle est adoptée, n'ait pas de répercussion sur les recettes fiscales et sur l'AVS, puisqu'il est plus que douteux que la limitation des hauts salaires se traduise par des augmentations des salaires les plus bas... et que des places de travail pourraient bien être supprimées, sans parler de délocalisations d'entreprises sous des cieux devenus dès lors plus cléments.
Il faut donc refuser cette initiative. Elle porte atteinte aux droits de propriété puisque la politique salariale des entreprises serait réglementée par l'Etat. Elle porte en germe les effets de ruine, qu'engendre toujours l'envie, ce péché capital qui est la marque de fabrique de tous les socialismes.
Le blog de Francis Richard
Effectivement, tout est dit. Mais pour certaines personnes, l’idéologie est plus forte que la raison.
Excellent article. Tout est dit.