Le grand malentendu démocratique

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

Il est facile de pointer du doigt et de dénoncer les errements des populations du Moyen-Orient ou du Maghreb, inexpérimentées dans l’art de la joute politique. Mais que penser alors de la Confédération Helvétique, une des plus anciennes démocraties du monde, lorsqu’elle approuve la spoliation de propriétaires valaisans au nom de fumeux principes de protection du paysage? Que penser d’elle lorsqu’elle tente de briser le modèle d’affaire du canton de Vaud en rejetant le principe du forfait fiscal au nom d’un égalitarisme déplacé?
Nous devons mettre un terme à la confusion entre démocratie et liberté. La politique doit cesser d’avoir pour principe fondateur le pouvoir sans limite de la majorité, pour lui préférer les droits inaliénables de l’individu.

 

Personne aujourd'hui n'oserait remettre en cause la notion de démocratie, perçue par le plus grand nombre comme la meilleure organisation politique possible. Peu de ces gens, pourtant, accepteraient de vivre dans un régime réellement démocratique.

L'essence de la démocratie est le pouvoir sans limite de la majorité. C'est la notion même d'absence de contraintes sur le gouvernement, tant que son comportement est validé par la majorité des votes. La démocratie incarne l'idée selon laquelle la fonction de l'Etat est de mettre en place "la volonté du peuple".

La majorité politique peut-elle tout se permettre? Spolier la minorité des fruits de son travail? De son patrimoine? De sa vie, même? "Absurde", répondriez-vous, vaguement inquiet tout de même, "aucune majorité ne serait assez folle pour réclamer de telles choses." Dans l'imaginaire collectif, le grand nombre ne saurait avoir que des positions modérées.

Nombreux sont les esprits sages à avoir déchanté lorsque le Hezbollah, en guerre permanente contre Israël et les Etats-Unis, a été tout à fait démocratiquement porté au pouvoir au Liban en 2006. L'accident de parcours s'est répété avec le Hamas en Palestine. Puis a suivi le printemps arabe amenant dans bien d'autres pays des islamistes prêts à tout rejeter en faveur d'un retour au moyen-âge de la Charia. Majorité modérée, disiez-vous?

Il est dramatique que la confusion autour du sens de la démocratie permette l'accès au pouvoir de mouvements totalitaires, leur offrant sur un plateau ce qu'ils n'auraient jamais pu s'offrir autrement - la légitimité populaire. Mais lorsqu'une majorité politique s'estime en mesure d'imposer sa vue à l'ensemble d'une population peu importe les conséquences, la guerre civile n'est plus très loin.

Pour la rendre vivable, la démocratie est tempérée par la notion d'Etat de droit. Le pouvoir politique doit se plier lui-même à ses propres règles, dont une Constitution définissant le périmètre de l'action publique. Mais ces garde-fous n'en sont pas. La Constitution est amendable ; en Suisse, par un simple passage devant le peuple. La France n'en a même pas besoin. Mieux, elle a inventé des notions telles que le "droit administratif" (les privilèges de l'administration) ou "l'abus de droit" (permettant de punir ceux qui respectent trop bien les lois en place) pour s'affranchir définitivement de toute contrainte et entrer résolument dans les limbes discrétionnaires.

La démocratie n'est pas le système d'organisation le plus élevé, seulement celui qui offre une forme de défense contre l'arbitraire - temporairement et de bien piètre façon en se reposant sur le nombre.

Les Etats-Unis ne sont pas une démocratie. De nombreux mécanismes de blocage permettent de couper ses ailes à une majorité. Le pouvoir de l'Etat est limité par des droits fondamentaux. Aux Etats-Unis, chacun peut critiquer ses voisins, la société, le gouvernement, peu importe combien de gens souhaitent censurer ces discours. On peut posséder une propriété, peu importe la taille de la foule souhaitant s'en emparer. Dans un régime proprement "démocratique", personne ne pourrait bénéficier de tels droits - seulement de privilèges temporaires accordés ou révoqués selon l'humeur du moment de la population. La tyrannie de la majorité est tout aussi maléfique que la tyrannie d'un monarque absolu.

Le vote n'est pas un signe de liberté. Même les dictatures tiennent des élections officielles. Mais seule la liberté acquise et entretenue à travers des droits inaliénables justifie et donne un sens au bulletin de vote. Malheureusement, dans la plupart de nos pays prétendument libres, la démocratie a été pervertie pour permettre de contrevenir aux droits de l'individu. Sous couvert de concepts vides de sens, on offre aux citoyens des tickets pour détruire leurs propres droits.

Il est facile de pointer du doigt et de dénoncer les errements des populations du Moyen-Orient ou du Maghreb, inexpérimentées dans l'art de la joute politique. Mais que penser alors de la Confédération Helvétique, une des plus anciennes démocraties du monde, lorsqu'elle approuve la spoliation de propriétaires valaisans au nom de fumeux principes de protection du paysage? Que penser d'elle lorsqu'elle tente de briser le modèle d'affaire du canton de Vaud en rejetant le principe du forfait fiscal au nom d'un égalitarisme déplacé?

Comme le rétorquait le communiste français George Marchais à un contradicteur avec un sens inégalé de la formule: "Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire". On ne saurait mieux résumer le fragile équilibre entre l'Etat de droit et la démocratie. Celui-ci chancelle partout dans le monde, y compris en Suisse.

Vivre et laisser vivre est une époque révolue. Grâce à une démocratie dévoyée, le vote est devenu l'arme de tous contre tous ; plus aucun abri n'existe qui ne puisse être balayé par une majorité. En Suisse, cette dégénérescence prend la forme d'un centralisme toujours plus poussé, brisant sous ses coups de boutoir l'autonomie cantonale, et en fin de compte la diversité et la liberté que permettait un fédéralisme limité.

Conférer les pleins pouvoirs à des tyrans démocratiquement élus est plus parlant qu'utiliser la démocratie pour miner les droits individuels, mais ces deux approches nuisent chacune à la cause de la liberté. Nous devons mettre un terme à la confusion entre démocratie et liberté. La politique doit cesser d'avoir pour  principe fondateur le pouvoir sans limite de la majorité, pour lui préférer les droits inaliénables de l'individu.

Stéphane Montabert

4 commentaires

  1. Posté par Stéphane Montabert le

    Mme Beldi, vous entamez votre propos en mettant sur le même plan d’importance les droits fondamentaux des individus et le droit international, un serpent de mer qui en est la négation même. Ce n’est pas une bonne base, mais essayons de vous répondre quand même.

    La démocratie est imparfaite, mais reste un mécanisme de décision valable pour de nombreux cas qui ne font pas peser de menace sur les droits fondamentaux. La gestion de l’espace public (qui a le droit de franchir les frontières, qu’est-il permis de faire dans la rue) tombe parfaitement dans le giron de la gestion démocratique, même si on peut discuter de l’échelle – communale, cantonale, fédérale. La mendicité n’est pas un droit fondamental. L’immigration n’est pas un droit fondamental. Il est licite pour la majorité de décider que dans l’espace public, il n’est pas possible de mendier, pas plus qu’il n’est possible de se promener nu ou d’y jeter librement ses déchets.

    L’initiative Weber quant à elle a exproprié de nombreuses familles de leurs terrains constructibles. C’est tout à fait autre chose. Évidemment, il suffit de faire une autre initiative pour l’abroger, mais le problème est ailleurs. Il dépasse largement les lubies de riches bourgeois écologistes. Ici, le peuple souverain suisse a accepté d’utiliser la démocratie pour violer le droit de propriété.

    Il suffit d’une fois pour que toute certitude disparaisse.

    Demain, vous, moi, pourrez être exproprié par décision de la majorité parce que votre logement est trop grand, trop petit, trop vieux, réquisitionné parce que trop convoité par d’autres. Et un jour vous pourrez être jeté en prison pour avoir critiqué pareille décision, car la Suisse ne considère pas non plus la liberté d’expression comme un droit fondamental.

    La Suisse applique le système démocratique avec plus de sincérité que la plupart des pays, et la population y est dans l’ensemble, mesurée. Cela a permis au cours du temps d’éviter certaines dérives qui sont apparues plus vite ailleurs, mais ne l’en préserve en aucun cas. La notion de minorité de blocage n’existe pas en Suisse. Il n’y a pas de charte des droits fondamentaux en Suisse. Tout est donc en place pour que la spoliation des uns par les autres s’organise, et c’est exactement ce qui est en train de se passer. Quand on voit à quel point la confusion est grande dans les esprits sur de simples questions de paysage, il y a tout lieu d’être inquiet sur ce que cette démocratie deviendra à la prochaine crise.

  2. Posté par Ariane Beldi le

    Entièrement d’accord avec vous! Mais, vous savez quoi? Ça s’applique aussi dans les cas où le peuple vote des lois qui violent les droits fondamentaux des individus, voire même le droit international qu’il a pourtant lui-même autorisé le gouvernement de signer, se liant ainsi à une sorte de contrat avec le reste de la communauté internationale! Pourtant, dans ce genre de cas, on n’entends plus beaucoup l’UDC s’offusquer de la dictature de la majorité contre des minorités, d’autant moins quand le vote restreint ou viole les droits fondamentaux de populations incapables de se défendre dans l’espace politique suisse (mendiants, Roms, migrants, etc.), comme des minorités perçues comme étrangères, même quand elles ne le sont pas légalement (nombre de musulmans, de gens du voyage et de mendiants)! Au contraire, quand le gouvernement rappelle au peuple qu’il est en train de se désavouer lui-même en violant des principes de base de l’état de droit et de la démocratie, l’UDC est le premier à monter au créneau pour dénoncer une tentative de museler le peuple, voire de laisser entrer de soi-disant juges étrangers! Mais, quand l’UDC et ses électeurs se trouvent du côté perdant du vote, tout d’un coup, il faudrait faire attention aux dérives de la démoncratie?? Que nenni! Tant que ce genre de réflexion ne servira qu’à ventiler la frustrarion d’avoir perdu un vote très important, il n’y aura aucune raison de changer les choses! Vous allez devoir faire avec la décision des urbains de préserver leur idéal de carte postale folklorique montagnarde (perso, j’ai voté contre la loi Weber), que cela vous plaise ou pas! Ou alors, coltinez-vous le lancement d’une nouvelle initiative visant à défaire celle de Weber! Après tout, les gens comme moi doivent bien accepter les décisions populaires qui nous semblent pourtant fondamentalement injustes et cyniques! Tout ce que nous pouvons faire, c’est les critiquer (notre droit fondamental) et essayer de lutter contre d’autres votes du même tonneau, généralement lancés ou soutenus activement par l’UDC!

    Si vous voulez vraiment interpeller le peuple suisse sur ce genre de problématique, va falloir faire preuve d’un peu de cohérence et aller jusqu’au bout du raisonnement, c’est-à-dire expliquer qu’il porte également sur les votes de mauvaises humeurs dont la population suisse semble devenir coutumière et par laquelle elle se défoule littéralement sur le dos de gens qui ne peuvent pas vraiment se défouler (vote sur les minarets, vote sur l’expulsion des « étrangers criminels », vote sur l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur des individus prépubères, etc.)! Sauf que lorsque cela va dans le sens de l’UDC, le coup de gueule se transforme soudainement en sagesse populaire profonde qu’il ne faudra même pas oser critiquer! Pas touche à la parole sacrée du « peuple », soit de la majorité au moment du vote! Bienvenue dans la réalité philosophique, légale et politique, dans laquelle, non, la parole du « peuple », soit des majorités qui se dégagent des votes, n’est ni absolue, ni sacrée!

Et vous, qu'en pensez vous ?

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