Elle se tient là, robe rouge, souliers plats, un sac en bandoulière, dans une relative élégance, les cheveux soufflés par un jet de gaz lacrymogène, et la presse bataille pour en faire une icône; il faut bien des symboles.
Académiquement tout y est, le garde du régime, défiguré par l'appareil de son équipement, monstrueux et agressif, une femme, canon de l'innocence, dans l'uniforme de son sexe, une simple passante, victime des haines hasardeuses. La génération précédente enfilait des marguerites dans les fusils des troupiers, celle-ci ne fait que passer. Passons.
L'appétence avec laquelle la presse, notamment helvétique, s'est jetée sur la chose contraste cependant avec le silence de mort qui enveloppa de semblables images dans un contexte à peine plus différent. Les Turcs s'insurgent contre le pouvoir grandissant du "sultan", les Français de la Manif pour tous, il y a à peine plus de deux mois, en faisaient tout autant. Les images étaient en conséquence, des familles à poussette, des jeunes gens, gazés à bout portant. La presse n'en montra rien, ou si peu. En Suisse, il fallut attendre plusieurs mois pour des réactions dépassant l'entrefilet, et encore, ce fut pour dénigrer l'action.
Alors on découvre que la course à l'info, au choc des photos, n'est pas la seule règle. Que derrière cette multitude de compagnies censément concurrentes, l'envers du décor est unanime, la même pensée à sous-tendre l'ensemble, les mêmes réflexes. Les silences choisis de ces crieurs de liberté sont tous frappés au coin de la même docilité. On a beau le savoir, le vertige n'est jamais le même.
Et vous, qu'en pensez vous ?