Populisme : La Grande-Bretagne foudroyée à son tour?

Uli Windisch
Rédacteur en chef
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Leçon plus générale : quand finira-t-on par comprendre que face à des problèmes que l’on sait graves depuis longtemps, il faut prévenir et agir, rapidement et fermement, malgré les protestations et les tentatives de culpabilisation, et les effets pervers et irresponsables de ces trop bonnes intentions dont le résultat est pourtant largement connu aujourd’hui : précisément l’irruption de mouvements politiques qui ne devraient plus être considérés comme un ramassis de « clowns » et de « cinglés », au risque que l’électorat finisse par préférer l’original à la copie et que les sociétés multiculturelles ne se transforment en sociétés multiconflictuelles, voire pire…

 

Après l’énorme succès du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP), 23 % aux élections régionales partielles (entre un quart et un tiers du territoire de la Grande-Bretagne), le jeudi 2 mai 2013, nombre de réactions ont immédiatement parlé de  « populisme » au point où le leader et grand vainqueur de ce parti, Nigel Farage, a présenté ce succès en le saluant par l’autodérision : « Faites entrez les clowns ! ». Il faisait bien sûr allusion à ceux qui estimaient que son parti était un ramassis de « clowns » et de « cinglés », alors que ce parti pourra, par exemple, ajouter à ces réseaux locaux 147 conseillers municipaux supplémentaires.

On retrouve à propos de cette marée électorale les mêmes réactions que dans des situations semblables dans bien d’autres pays.

Premier réflexe : on pense que les gens ont réagi tout subitement, et que ce ne sont pas des citoyens très ordinaires. C’est peu dire, puisque dans le cas présent ce ne pouvaient être que des cinglés pour ceux qui n’ont pas vu venir le phénomène ni pris les mesures nécessaires afin de tenter d’éviter ces protestations massives et ces exigences de mesures fortes, depuis des décennies très souvent.

Règle générale : jamais un tel phénomène ne surgit du jour au lendemain, il est le résultat d’une lente, longue et sourde révolte, qui finit par devenir bruyante, et cela en lien direct avec des problèmes spécifiques et qui sont partout quasiment les mêmes. Il faut toujours beaucoup de temps jusqu’à ce que ces protestations se manifestent ouvertement, collectivement, politiquement, par la création de nouveaux mouvements ou partis politiques. Mais à ce moment-là, la surprise est grande, tellement grande que l’on ne peut et ne veut admettre ce qui se passe réellement. Au point où les acteurs politiques traditionnels actionnent des mécanismes de défense et de protection de leur « bien », face à cette subite concurrence. Bien que sérieusement mis en cause, ces acteurs mettront du temps à réagir, et quand ils réagissent c’est pour dire que les mesures préconisées par les nouveaux venus ne sont pas les bonnes, trop brutales, et évidemment populistes ; xénophobes, racistes, s’il s’agit de l’immigration ; autoritaires, totalitaires, voire fascistes, s’il s’agit d’agir contre la violence, l’insécurité, la criminalité étrangère ; de nature inhumaine, s’il s’agit des graves abus dans le domaine de l’asile et que l’on n’est pas bouchée bée ou bêlant d’applaudissements face aux exhibitions d’une solidarité pavlovienne et inconditionnelle  ; de repli sur soi, d’isolationnisme, de passéisme réactionnaire si l’on ne voit pas La solution dans l’UE.

Si la situation politique s’aggrave et que les acteurs qui détiennent le pouvoir se sentent vraiment menacés, ces derniers vont tout de même être contraints d’agir ; mais ils ne prendront que des demi-mesures, tétanisés qu’ils sont toujours par la capacité de culpabilisation du politiquement correct et de la bien-pensance de la gauche, qui en est elle encore à chanter les bienfaits du multiculturalisme et de l’immigration large, généreuse, « ouverte ».

Si les acteurs politiques traditionnels finissent par admettre qu’il a vraiment des problèmes, ces derniers sont évidemment «exagérés » par les nouveaux venus. Donc on dira vouloir prendre des mesures plus efficaces et tranchées, mais ce sera toujours en écartant les nouveaux venus qui continuent à être considérés comme des pestiférés et autres gueux intouchables.

Si la situation économique et sociale s’aggrave à son tour, au point où les forces politiques de gauche tiennent à en profiter, tout en rejetant la responsabilité sur la droite, cette dernière préférera lutter seule plutôt que de s’associer, même partiellement, avec les nouveaux venus. Des pestiférés restent des pestiférés. De tels apparentements, même ponctuels et sur certains points importants seulement, permettraient pourtant d’avoir avec soi une large majorité et d’agir enfin de manière déterminée, tout en coupant l’herbe sous les pieds de la gauche largement responsable de la création et de l’amplification de ces problèmes par naïveté, angélisme ou fanatisme idéologique.  Ce qui n’empêche pas cette même gauche de chercher, et souvent de réussir, à rejeter la cause de tous ces maux sur la droite, et sur ces nouveaux venus « populistes » ou « l’extrême droite ».

Cette capacité de culpabiliser la droite marche d’autant mieux que cette dernière est encore et toujours divisée à cause de la puissante pulsion individualiste de nombre de politiques de droite ou à cause de ceux qui tiennent absolument à se montrer « exemplaires » moralement et humainement, comme l’exige la gauche, allant jusqu’à traiter leurs autres coreligionnaires politiques, également de droite, de toutes sortes de termes disqualifiants. Un exemple de performance hors pair en la matière réside dans le terme de « fascisme libéral », utilisé par un membre d’un parti de droite suisse pour désigner ses collègues de parti désireux d’être plus fermes sur les abus de l’asile, pourtant d’une gravité extrême et se chiffrant en grand nombre. A partir de ces divisions de la droite, la gauche n’a plus qu’à tirer les marrons du feu lors des élections suivantes, en s’alliant sans aucun complexe, avec ses franges extrémistes, gauchistes de toutes sortes, communistes, crypto-communistes, ex-communistes, etc. Un tel scénario pourrait très bien se produire, par exemple, en France en 2017 alors que tout le monde est persuadé aujourd’hui que la droite va très vite revenir au pouvoir.

Pour ce qui est de la Grande-Bretagne, les causes du succès de l’UKIP relèvent des mêmes thèmes que ceux qui ont été à la base de la naissance des autres mouvements dits populistes.

Ce pays a été le champion du multiculturalisme poussé à son stade ultime et qui a abouti à un communautarisme de fait et bien ancré avec par exemple la création d’un Londonistan où prospère un islamisme ultraviolent, de manière publique et ouvertement des plus menaçants, avec déjà parfois des lois propres. N’oublions pas que le socialiste Tony Blair avait pris comme conseiller pour les questions liées aux musulmans Tariq Ramadan. Il fallait quand même le faire. Cette démarche porte en effet déjà ses fruits, abondants même !

Après des décennies de laisser-faire, l’alarmisme est subitement général, au sujet de phénomènes en cours, ici aussi, depuis très longtemps. Quelques exemples :

Depuis 2001, plus de 600. 000 Blancs ont quitté Londres ; alors que 58% des Londoniens étaient blancs en 2001, ils ne sont plus que 45 % en 2011.

Le thème de l’immigration est toujours et partout évoqué en lien avec le développement des mouvements dits populistes. Peut-être de manière trop générale et abstraite. A titre d’exemple, des tendances implicite mais lourdes sont présentes depuis longtemps et se traduisent de manière indirecte et diffuse mais certaine dans les esprits. Sur ce point nous reprenons quelques extraits d’un compte rendu d’un livre qui fourmille de données économiques sur le sujet ( Cf E. Garessus,  Le Temp , 8 mai 2013  sur le livre British Dreams, de David Goodhart, Atlantic Books, 2013 : …  « dans le domaine du marché de l’emploi par exemple, le nombre de postes de travail occupés par des Britanniques d’origine a été réduit de 800 000 en 18 mois alors qu’à l’inverse pendant les quatre dernières années, l’emploi de salariés nés hors du Royaume-Uni s’est accru de 400 000 postes de travail et du deuxième trimestre 1997 au dernier trimestre 2011, les actifs se sont accrus de 2,7 millions, dont 2,1 millions pour les salariés nés hors du pays. Durant la crise, les emplois nouvellement créés ont été octroyés aux immigrés plutôt qu’à des Britanniques. Dans certains secteurs, les immigrés sont plus motivés, plus flexibles, et leurs attentes salariales sont moindres. Plusieurs études montrent aussi que l’immigration a empêché les chômeurs locaux de retrouver un emploi… »

De son côté, la reine, dans son discours du trône, a affiché la volonté du gouvernement conservateur de mieux contrôler l’immigration. Un bel euphémisme si on tient compte des autres mesures prévues par David Cameron: restrictions aux droits des immigrés en matière d’aide au logement, d’indemnité chômage et d’accès au système de santé. Le système d’allocations sociales est trop laxiste ; l’accès aux services publics clés doit être gagné et ne peut être un droit automatique.

Une autre de ses déclarations : « Nous voulons des gens qui s’intéressent à ce qu’ils peuvent offrir à la Grande-Bretagne ». Pas très politiquement correct que tout cela. Qui osera dire la même chose ici et ailleurs.

Bien sûr que cela est dit une fois la montée de l’UKIP devenue une évidence. Toujours des ré-actions. Gouverner n’est-ce pas aussi  prévoir ?

La levée des restrictions à l’accès au marché du travail européen pour les Roumains et les Bulgares en 2014 inquiète. Tiens pourquoi donc maintenant et pour ceux-là seulement?

Les indemnités de chômage vont être réduites pour les immigrés. David Cameron mentionne encore les « touristes de la santé » qui abusent du système public gratuit et a osé la formule : « nous avons un service national gratuit mais ce n’est pas un service international ».

Et aujourd’hui on n’entend plus guère de protestations au sujet de tels propos. Que serait-ce dans nos contrées où « toute personne dans la misère doit être secourue », quelles qu’en soient les conséquences, puisque nous sommes riches ? Sommes-nous vraiment tous riches, se demande le péquin dans le pétrin.

Tiens à propos d’argent, le  Premier Ministre en veut même en retour ( il a dû retenir la formule « I want my money back », d’une  Dame dite de fer qui n’aurait certainement pas laisser aller les choses à ce point), en récupérant auprès des pays membres de l’EEE l’argent dépensé pour soigner leurs ressortissants au Royaume-Uni, etc, etc.

Rappelons qu’un autre objectif majeur de l’UKIP est la sortie de la Grande Bretagne de l’UE européenne. Eux veulent en sortir pendant qu’en Suisse certaines de nos autorités se demandent comment mieux s’adapter, voire comment y entrer malgré une claire opposition de la population.

Avec le discours de Cameron, il y a là un cas exemplaire de discours tenu tout à coup, en urgence, de manière spectaculaire, ou qui se veut telle, à la suite de l’irruption subite, bien visible et massive de l’un de ces mouvements « populistes ». Sans cela aurait-on dit la même chose ? Alors même que ces phénomènes sont donc en cours depuis des décennies. Bis repetita placent.

Pour l’instant ce ne sont que des paroles.

Leçon plus générale : quand finira-t-on par comprendre que face à des problèmes que l’on sait graves depuis longtemps, il faut prévenir et agir, rapidement et fermement, malgré les protestations et les tentatives de culpabilisation,  et les effets pervers et irresponsables de ces trop bonnes intentions dont le résultat est pourtant largement connu aujourd’hui : précisément  l’irruption de mouvements politiques qui ne devraient plus être considérés comme un ramassis de « clowns » et de « cinglés », au risque que l’électorat finisse par  préférer l’original à la copie et que les sociétés multiculturelles ne se transforment en sociétés multiconflictuelles, voire pire…

Uli Windisch, 20 mai 2013

 

 

 

 

 

 

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