La Milice ou l’amour du risque ?

Alexandre Vautravers
Alexandre Vautravers
Professeur de Relations internationales Rédacteur en chef de la Revue militaire suisse
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Ceux qui voient dans la suppression du système de milice suisse un monde pacifié se leurrent. La professionnalisation implique, certes, davantage de coopération multinationale, davantage d’engagements de stabilisation et de maintien de la Paix. Mais cela au prix d’une perte d’autonomie décisionnelle et politique importante. Et la réduction des potentiels s’accompagne paradoxalement d’une hausse sensible des budgets de défense : la comparaison parmi les petits Etats européens fait apparaître un surcoût de 10-15%.

La question posée par l’initiative du Groupement pour une Suisse sans armée, de supprimer l’obligation de servir en Suisse, sera tranchée par le peuple le 22 septembre prochain. Mais en réalité, derrière cette question se pose, encore une fois, la question de la professionalisation de l’armée.

Une supression de l’armée de milice et une transformation en une armée de volontaires[1] - c’est-à-dire une armée professionnelle dès le moment où ces « volontaires » doivent être rémunérés - est un processus accompli par la plupart de nos voisins durant les deux dernières décennies. Une telle démarche conviendrait-elle à la Suisse et à sa politique de sécurité ? Rien n’est moins sûr.

L’expérience de nos voisins prouve que ces transitions sont coûteuses et complexes ; elles s’accompagnent d’une diminution des capacités, mais surtout des potentiels. Elles détachent les forces armées du débat politique, ramenant la sécurité à une pure question d’allocations et de budgets. Le potentiel diminué pousse à devoir assumer politiquement des lacunes stratégiques importantes et irréversibles – à l’instar de la supression de la Marine ou de compétances-clé comme la défense aérienne, la manœuvre mécanisée, ou encore l’appui de feu. Tous les pays ayant fait ces choix ont donc été contraints à la mutualisation, afin de « hedger » les risques.

On assiste donc à la création de corps – aujourd’hui plutôt de brigades voire de Battlegroups bataillonaires – multinationaux, nécessitant, pour être engagés, l’aval unanime de tous les Etats contribuant des forces. Si ces formations ont, certes, une utilité politique et laissent imaginer une communauté de destin et d’intérêts à l’échelle européenne, il faut admettre que leur emploi est complexe, onéreux et peu efficace.

Ainsi est née l’architecture de sécurité européenne, qui repose sur de nombreux piliers mais dont aucun ne peut cependant réellement assumer son poids. Certains membres-clé de cette politique de sécurité et de défense critiquent même sa raison d’être et préfèrent s’en remettre à l’OTAN et au leadership américain.

Cette interdépendance militaire et stratégique influence l’autonomie décisionnelle des gouvernements européens - surtout celle des petits Etats. Elle les rend co-responsables et contributeurs nets des engagements internationaux de l’Union européenne.

La sécurité a un coût. Et ni le parapluie stratégique, ni le contre-terrorisme, ni l’appui logistique ne sont gratuits. S’ils doivent être « loués » auprès des voisins, ils le sont sur la base d’échanges militaires ou de la balance des payements.

Ceux qui voient dans la suppression du système de milice suisse un monde pacifié se leurrent. La professionnalisation implique, certes, davantage de coopération multinationale, davantage d’engagements de stabilisation et de maintien de la Paix. Mais cela au prix d’une perte d’autonomie décisionnelle et politique importante. Et la réduction des potentiels s’accompagne paradoxalement d’une hausse sensible des budgets de défense : la comparaison parmi les petits Etats européens fait apparaître un surcoût de 10-15%.

Une armée professionnelle n’est pas compatible avec la politique de sécurité helvétique actuelle. Elle implique une coopération accrue dans la formation et les engagements militaires à l’étranger. Elle conduit à l’abandon ou la privatisation de tout ou partie des engagements subsidiaires au profit des autorités cantonales et de la population. Et elle nécessite l’adhésion à un accord de sécurité collective afin d’assumer sa mission première : la Défense.

 


[1] François Heisbourg, Les volontaires de l’an 2000 : Pour une nouvelle politique de Défense, Balland, Paris, 1995, 297 p.

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