Les politiciens candidats naturels au burn-out ?

Joël Reymond
Ecrivain et journaliste freelance
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Autour des ennuis de santé des UDC Yvan Perrin et Natalie Rickli, la question a été posée ci et là de la possible dérive du système : le contexte politique suisse est-il devenu trop dur? A la fois trop exigeant et trop tendu par la polarisation? La question de la responsabilité collective dans les burn-out de politiciens mérite d’être posée, même si elle est sensible, épineuse.

 

 Maintenant qu’Yvan Perrin est virtuellement assuré d’avoir son bureau au Château le 19 mai, sauf incident cataclysmique, sa santé fait toujours l’objet d’un suivi serré. L’attitude du candidat alors qu’il suivait l’évolution des résultats sous les caméras («agité et anxieux») a été portée à l’attention et à l’interprétation du grand public. Ce serait un détail de campagne pour les autres candidats, mais pas pour Yvan Perrin : la faute à son passif dans ce domaine, lequel a été géré et intégré à sa campagne selon son habitude, c’est-à-dire avec une bonne dose de franchise et la «faute», aussi, au parti dont il défend les couleurs. Dans cet ordre : le passif et le parti.

 

En effet, nous ne franchirons pas le pas consistant à dire que les médias attendent un nouvel incident de santé chez Yvan Perrin pour des raisons politiciennes – c’est-à-dire «parce qu’il est UDC». Certes, le succès de l’ancien policier de la Côte-aux-Fées irrite plus d’un adversaire, d’autant plus que son parti est en train de réussir la passe de trois, sur le même mode de «la personnalité» contre «les apparatchiks», après les succès d’Oskar Freysinger et de Thomas Weber en Valais et à Bâle-Campagne respectivement. Mais il doit être possible de parler des défaillances d’Yvan Perrin pour des raisons humaines et professionnelles, tout simplement. Essayons du moins de le faire.

 

Il se trouve que la personnalité politique suisse dont le témoignage de burn-out a été aussi médiatisé dernièrement est la jeune conseillère nationale zurichoise Natalie Rickli, atout de charme de l’UDC alémanique. Que les deux «victimes» soient colistières de parti tient du hasard. Ce qui, en revanche, n’est pas un hasard est la prévalence des problèmes de santé chez les politiques.

 

Les politiciens candidats naturels au burn-out

 

Le burn-out, syndrome d’épuisement professionnel – dépression, pour parler simplement et en français courant, fait l’objet depuis une génération d’une littérature abondante. D’aucuns s’étonneront que le mal reste si répandu, avec toute l’information à disposition. Mais il en va de même avec les grossesses inopinées : ce n’est pas si simple. Pas du tout.

 

J’ai nourri un certain a priori contre les professionnels qui «tombent dans le panneau» du burn-out. Mais c’était avant de travailler ce sujet il y a quelques années, en lien avec un autre corps de métier particulièrement exposé : le corps pastoral. En fait, le burn-out guette particulièrement les métiers à vocation – ce mot qu’on aime plus mais qui traduit encore au mieux la réalité vécue par tant de professionnels. J’ai laissé tomber mon a priori, en comprenant dans la littérature et dans mes interviews de personnes concernées, que le professionnel qui est déjà en burn out sans le savoir et que son médecin va arrêter à court ou moyen terme, est devenu son propre ennemi ; il a ignoré les signaux d’alarmes que lui lance son système, niant sa souffrance et ses limites. «Jamais je n’aurais pu imaginer que ça puisse m’arriver», a confessé Natalie Rickli. Cet aveu d’aveuglement est un lieu commun dans la littérature spécialisée.

 

Les professionnels qui vont être surpris par un burn-out sont typiquement persévérants, ont une grosse capacité de travail et d’abnégation (ils s’oublient facilement eux-mêmes, dépassent volontiers leurs limites et même, ils aiment ça) ; ils sont pourvus d’une conscience professionnelle élevée, limite perfectionnistes et ont un besoin particulier de reconnaissance. Plus encore, ce sont des personnalités indépendantes, habituées à prendre des décisions seules. Le profil d’Yvan Perrin ? Non, je n’ai rien adapté, je le jure : c’est simplement le profil-type du client au burn-out.

 

La faute au système ?

 

Autour des problèmes rencontrés par Yvan Perrin et Natalie Rickli, la question a été posée ci et là de la possible dérive du système : le contexte politique suisse est-il devenu trop dur ? – à la fois trop exigeant  et trop tendu par la polarisation actuelle ? Natalie Rickli, pour sa part, a confié au Blick (1) son impression que le contexte politique n’y était pour rien. La responsabilité collective dans les burn-out de politiciens mérite cependant d’être évoquée, même si la question est sensible, épineuse.

 

Le métier de politicien ne favorise pas la santé. Usure psychologique constante, volume de travail important, déplacements fréquents, régime alimentaire déséquilibré – on pense ici aux repas pris sur le pouce ou dans les apéros et autres banquets : l’état de santé des dirigeants n’est globalement pas bon. Dans un livre qui fit sensation dans les années 70 («Ces malades qui nous gouvernent»), le chirurgien genevois Pierre Rentchnik a analysé ce phénomène chez les chefs d’État. Ciblant davantage la psychologie des dirigeants, le Belge Pascal de Sutter lui a donné la réplique avec «Ces fous qui nous gouvernent» (2007). Ces deux titres ont atteint le statut de dicton.

 

Le burn-out des politiciens n’est que l’arbre qui cache la forêt, ou la pointe de l’iceberg, car un retrait forcé des sessions, comme cela est arrivé à Natalie Rickli, ne peut plus être caché. Beaucoup d’autres «soucis» resteront privés. Les politiques ont l’obligation permanente d’être forts – vis-à-vis de la population, des adversaires politiques et même de leurs propres collègues. On est si vite mis sur la touche…

 

Coups en-dessous de la ceinture ?

 

Des ennuis de santé d’Yvan Perrin, il a surtout été question au milieu de l’hiver dernier. Le policier de la Côte-aux-Fées était alors sous la loupe, après des fuites de l’hôpital qui l’avait recueilli à Noël dans un mauvais état. Sa capacité à se porter au gouvernement cantonal était crainte et – cela explique cela – sa capacité à faire face aux pressions d’un exécutif mise en doute. En 2011 déjà, lors de la démission d’Yvan Perrin de la vice-présidence de l’UDC suisse, sa fragilité avait déjà été commentée publiquement, notamment par son propre parti.

 

En politique, cela sent la trahison – ou pas loin. Dans une surprenante inversion des rôles, des personnalités comme le communiste vaudois Julien Sansonnens ont volé au secours d’Yvan Perrin, avec un surprenant éloge de la faiblesse d’Yvan Perrin, inspiré d’Alexandre Jollien (2). Mais humainement, on peut au moins tenter de comprendre le dilemme auquel ont été confrontés ceux de ses collègues qui étaient persuadés, tout en étant acquis aux compétences et aux chances du politicien Perrin, que l’homme Perrin représentait une bombe à retardement pour lui-même, un futur gouvernement et son parti.

 

Neuenburgerei

 

Un tel dilemme intéresse le corps politique dans son entier. Car, en finalité, c’est le souverain qui a tranché, lequel a accordé sa confiance à Yvan Perrin (après deux socialistes, s’entend); la franchise du policier de la Côte-aux-Fées face à ses limites lui a même fait marquer des points auprès de ses électeurs.

 

S’il confirme le 19 mai prochain, cela va passer ou casser. Un service spécialisé de ressources humaines aurait-il donné la préférence à un candidat de moins bonne stature mais plus stable ? Le parti agrarien a, lui, semble-t-il plutôt joué la perspective très raisonnable d’un siège. Nous sommes là face à un problème de démocratie : les citoyens neuchâtelois – et les autres – ne sont pas les ressources humaines de leurs élus. Si Yvan Perrin craquait en cours de législature, le corps électoral s’en laverait les mains. On reparlerait de la chute de ses prédécesseurs, à l’instar de Valérie Garbani ; les Alémaniques inventeraient peut-être un néologisme : «Neuenburgerei» – qui sait ? – pour désigner ces ministres neuchâtelois capables, malheureusement arrêtés dans leur carrière par un problème de santé.

On peut jouer les Cassandre en anticipant à sens unique comme ses ennemis mais ici nous ne voulons que souligner un vrai problème qui devrait être posé comme tel et pris au sérieux. Et un burn-out n’empêche pas de reprendre ses activités en étant plus attentif.

De plus, nous ne sommes qu’à l’heure du ballottage général…

(1) interview exclusive à l’occasion de son retour aux affaires en février dernier

(2) Vice-président du POP jusqu’à l’an dernier. Sa défense d’Yvan Perrin a été relayé dans un édito de l’Hebdo.

 

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