Cessez de vous indigner et adaptez-vous!

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
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Ce ne sont pas seulement les individus qui sont sommés de s’intégrer. Les pays aussi: ils doivent s’intégrer à l’Europe. La Suisse est sommée de s’intégrer en abandonnant entre autres son secret bancaire. Les journalistes de notre bien-aimée RTS, toujours soucieux de notre bien-commun, ne cessent de nous le répéter en insistant sur le fait que refuser cette intégration reviendrait à livrer un combat perdu d’avance. Ils parlent de l’inutilité de résister aux vagues de Bruxelles, du G20, du FMI, de l’ONU, du droit international. La Suisse s’est autrefois signalée à l’attention des puissants en refusant de s’intégrer…
Mais c’est de l’histoire ancienne. Les exemples du passé, les leçons de l’histoire, nous n’en avons cure. Sans compter qu’un Guillaume Tell a refusé de s’adapter et que cela nous a gênés pendant des siècles jusqu’à ce que nos Universités déconstruisent enfin ce « has been ».

 

Jusqu’à l’époque de la soi-disant révolution bolchévique, on pouvait encore faire une révolution. Ensuite, autour d’Albert Camus, on pouvait se révolter. Aujourd’hui, c’est fini. Nous sommes des choses qui n’ont qu’à s’intégrer et fonctionner sans murmurer. Sur la terrasse à côté de la mienne, il y a des petits lapins. Ils sont adorables et intégrés. Quand je leur parle et leur lance des carottes, ils remuent leurs oreilles ou leur adorable petit museau. Mais eux, au moins, n’entendent pas ce discours omniprésent sur l’intégration. Comment ne pas les envier ? Quelle sérénité ! Quel abandon à l’instant ! Au monde tel qu’il est ! Nous, en revanche, ne sommes pas intégrés comme eux, car nous devons nous efforcer de l’être. Ce n’est pas pareil. Tâche infinie, car si nous parvenons pour un instant à nous sentir intégrés, il faut, comme Sisyphe, recommencer l’instant suivant. Tous les matins, nous devons prendre connaissance du monde tel qu’il est et nous sommes sommés de nous conformer à lui. L’ère du conformisme a remplacé l’ère de la révolte. Normal pour des choses. La science, qui se penche de plus en plus sur ces choses que nous sommes, va nous donner un coup de main : après avoir décrypté notre corps, notre cœur et notre esprit, elle va ouvrir la voie royale d’une complète et parfaite intégration. Cela rend certains dépressifs. Les pauvres !

Ce ne sont pas seulement les individus qui sont sommés de s’intégrer. Les pays aussi : ils doivent s’intégrer à l’Europe. La Suisse est sommée de s’intégrer en abandonnant entre autres son secret bancaire. Les journalistes de notre bien-aimée RTS, toujours soucieux de notre bien-commun, ne cessent de nous le répéter en insistant sur le fait que refuser cette intégration reviendrait à livrer un combat perdu d’avance. Ils parlent de l’inutilité de résister aux vagues de Bruxelles, du G20, du FMI, de l’ONU, du droit international. La Suisse s’est autrefois signalée à l’attention des puissants en refusant de s’intégrer au Saint-Empire romain germanique, aussi appelé, comme nous le rappellerait sans doute Oskar Fresyinger, 1er Reich. Mais c’est de l’histoire ancienne. Les exemples du passé, les leçons de l’histoire, nous n’en avons cure. Sans compter qu’un Guillaume Tell a refusé de s’adapter et que cela nous a gênés pendant des siècles jusqu’à ce que nos Universités déconstruisent enfin ce « has been ». Répétons-le, il s’agit de s’adapter, de s’adapter et de s’adapter encore. Comme chaque seconde qui passe est nouvelle, cette adaptation est sans fin et ce n’est pas le moment de se décourager. Le combat continue.

Il est vrai qu’aujourd’hui, on ne parle plus d’adaptation mais de morale. Ça complique un peu les choses, mais pas vraiment. C’est au nom de la morale que sommes sommés, pour notre plus grand bien, de devenir transparents et de fonctionner sans accrocs dans la mondialisation, dans la finance internationale, dans les échanges planétaires. Nous devrons nous habituer à des tocs, tocs, tocs, le soir et le matin, sur nos portes d’entrée. Lorsque nous les ouvrirons, nous verrons des agents du fonctionnement universel nous prier de les suivre. Les Européens de l’Est en ont déjà l’habitude. Pendant des décennies, ils ont eu chaque jour des crampes d’estomac à l’idée d’entendre des tocs, tocs, tocs annoncer la visite de commissaires du peuple qui leur rappelant qu’ils devaient s’adapter au sens de l’histoire. Nous, à l’Ouest, n’en avons pas l’habitude et ce sera un peu pénible. Mais rassurons-nous, des cellules psychologiques seront là pour nous aider à retrouver une sérénité de petit lapins.

Il y a toutefois un problème : si de nouveaux commissaires du peuple frappent chaque matin à nos portes pour nous donner des ordres, que restera-t-il de la légitimité de notre bel Etat de droit ? N’est-ce pas lui qui nous demande, par un parlement, un gouvernement, un pouvoir judiciaire, de nous comporter sagement ? Les moralisateurs ne vont-ils par prendre sa place ?

Poser de telles questions n’est pas bienvenu. C’est le moins qu’on puisse dire. Cela nous trouble dans notre labeur quotidien vers la conformité à l’ordre des choses. A ce labeur, nous sommes profondément attachés, car nous sommes convaincus que, grâce à lui, nous nous immergerons dans le monde et serons sauvés. Autrefois, le salut venait d’une orientation vers le ciel. Aujourd’hui nous le trouvons par orientation vers la terre. C'est ça le progrès.

Un commentaire

  1. Posté par Fergile le

    Dommage que la fin vienne presque ruiner cet excellent texte, car jusqu’à la conclusion le texte est volontaire, impertinent et politiquement tellement incorrect qu’il ne peut qu’être juste.
    Mais la chute est tellement « canonique » qu’elle fait exploser sourdement ce bel élan.
    Car comment croire que c’est vers la terre (celle qui nous accueille, nous nourrit et nous abrite sans rien demander en échange… (si c’est pas de l’amour ça…)) que nous sommes sommés de nous tourner, quand c’est vers le béton qui la recouvre d’une morne grisaille triste et toujours sale?
    Quand à regarder le ciel plutôt que baisser les yeux, c’est une chimère à laquelle tant d’entre nous avait cru échapper, pour enfin avoir le droit de regarder la vie en face, sans être sans cesse menacés par la punition divine venue des cieux, que c’est une insulte à l’intelligence humaine que l’invoquer encore.
    (Il est vrai que quand nous levons les yeux nous voyons des chemtrails assombrir le ciel, mais cette punition-là n’est certainement pas divine).

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