La politique ou l’art du mentir « vrai »

Christian Vanneste
Président du RPF, député honoraire
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Aragon disait : « l’art est un mentir vrai. » On peut en effet penser que l’art, à travers une fiction, peut révéler une réalité. Mais si la politique est un art, la phrase prend un autre sens.

Cahuzac est un grand artiste. Il n’a pas son pareil pour donner à ses paroles cet accent de sincérité qui emporte la conviction. En bloc et en détail, à la télévision comme à l’Assemblée, il avait affirmé ne détenir aucun compte à l’étranger avec une telle authenticité dans le ton que j’avoue l’avoir cru. Sa récente confession en exclusivité sur BFM souligne une fois encore quel grand comédien va quitter la scène du théâtre politique, un acteur qui sait mentir plus vrai que vrai. La qualité de la mise en scène de cet acte de contrition, le niveau exceptionnel de l’interprétation suscitent deux commentaires. D’abord, c’était le spectacle que le monde politique attendait, et il a tenu ses promesses. Le PS peut tourner la page d’un accident personnel qui ne l’atteint pas. Le reste du parti peut à nouveau donner des leçons de morale. Qui plus est : la dignité du renoncement, la souffrance du coupable repenti, la place donnée aux sentiments annoncent une rédemption aux yeux d’une famille politique qui aime à empreindre ses discours d’une bonne couche d’affectivité. Il s’en va, mais il redevient des nôtres… Le compère UMP a suivi. Apparu a bien insisté sur le fait que cette affaire touchait un homme, non la classe politique. Bernard Debré a dit tout le bien qu’il pensait de l’un des meilleurs politiciens de sa génération, parlant brillamment et sans notes. Cette belle unanimité éveille une seconde idée. René Girard avait montré l’importance du Bouc Emissaire. La classe politique en a trouvé un d’un talent exceptionnel. L’un des rares ministres du gouvernement à connaître son sujet, par la théorie, et, on le savait moins, par la pratique, orateur envié, Cahuzac devait attirer bien des « désirs mimétiques ». Sa mise à mort symbolique reconstitue l’unité du groupe. Ils peuvent maintenant saluer le sacrifice et le sacrifié, qui a pleinement satisfait au rite.

Le spectacle continue. Jérôme Cahuzac était chirurgien, médecin donc, et il avait choisi la chirurgie esthétique, un art qui ne soigne pas mais qui cache, qui ne guérit pas, mais qui modifie l’apparence. Ce choix, chez ce politicien n’est sans doute pas dû au hasard. Platon déjà opposait la science de la médecine au savoir-faire de l’esthéticien, le savoir de celui qui délivre le malade de son mal, et la technique de celui qui le déguise sous l’apparence. De même,  le rhéteur persuade les autres citoyens que son opinion est la bonne quand le politique résout le problème dans la réalité, éventuellement en appliquant à la société un remède de cheval, comme le ferait un bon médecin. C’est pourquoi il arrive souvent que l’on préfère le premier au second, Pierre Mauroy et sa relance des mines, aujourd’hui fermées, à Thatcher qui a sauvé son pays grâce à des mesures brutales. La France est une scène de choix. Les orateurs et les maquilleurs s’y bousculent, les politiques-médecins y sont plus rares. De Gaulle, Pompidou, Raymond Barre, sans doute et un peu Balladur ont épuisé la série. Le secret de fabrication semble s’être perdu. Depuis 1986 aucune réforme courageuse n’a été entreprise. Les flatteries démagogiques se sont succédées, de la « force tranquille » au « réenchantement du rêve français », de la « fracture sociale » à la « République exemplaire », entre les maîtres parfumeurs Séguéla et Saussez, qui ont bien gagné leur Rollex, le peuple a été poudré, fardé, et teint de la meilleure manière. Les records de déficits, d’endettement et de chômage qui trahissent la progression du mal sont habilement atténués par une dépense publique, par ces amortisseurs sociaux que nous ne finançons qu’à crédit.

Dans le fond, le mal français, dont Cahuzac a emporté le poids du péché, n’est autre que le mensonge. Il a menti personnellement à propos d’un fait précis, mais sa confession publique délivre pour un temps tous ceux qui ont une pratique générale du mensonge et en font profession. La corporation des journaleux, à part les investigateurs qui honorent la profession comme Mediapart, se fait commentatrice de mode, ne juge pas la vérité mais l’esthétique du mensonge. Le beau mensonge de la princesse-midinette plutôt que la vérité « controversée » de la Dame de Fer, les beaux mensonges de Delanoë, sur l’engagement tenu du candidat Hollande, plutôt que la vérité du « sulfureux » Vanneste. Dans le fond, je suis de Cahuzac, le vivant corollaire, mis au ban de l’UMP pour délit… de vérité.

Christian Vanneste

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