III. Election du Conseil fédéral par le peuple: NON! 28.09.2003

Suzette Sandoz
Suzette Sandoz
Prof. honoraire UNIL
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Notre Collègue Suzette Sandoz, professeur honoraire de l’Université de Lausanne, nous fait l’amitié de figurer parmi les contributeurs réguliers de notre site Lesobservateurs.ch. L’ouvrage qu’elle vient de publier, avec une Introduction de A. Maillard, « Une voix claire dans la foule », aux Editions Cabédita, comporte une centaine de chroniques publiées en allemand dans la NZZ au cours de ces dernières années. Nous reprenons, dans une série, pendant quelques jours, certains de ces articles directement en rapport avec des problèmes majeurs de l’actualité politique. La force, la profondeur, l’originalité et le courage de cette pensée rigoureuse et hors des modes sont connus.Cela mérite la relecture, en français.

La démission de M. le conseiller fédéral Villiger et l’agitation médiatique et politicienne au sujet de la formule dite « magique » ont remis sur le tapis la discussion relative à l’élection du Conseil fédéral par le peuple. Peut-être convient-il de s’arrêter un instant sur cette « fausse » bonne idée.
Certes, la majorité, voire la totalité de nos gouvernements cantonaux- sans parler des gouvernement communaux – sont élus directement par le peuple. Ce système est-il bon ou mauvais? A supposer que l’on veuille le considérer comme une bonne chose, cela ne signifierait pas encore que ce système soit bon également pour l’exécutif fédéral. Pour parodier les Romains et Jules César, nous écririons volontiers que « ce qui convient à la province ne convient pas forcément à Rome ».

Notre Pays pratique, à la différence de tous les autres, le système de l’exécutif collégial, seul compatible avec nos différentes langues, religions, régions. Ce système ne peut être qu’une source de faiblesse et d’inefficacité si les membres ne respectent pas entre eux, de manière absolue, la règle de la «collégialité», c’est-à-dire de l’unicité des discours et opinions du collège face au public. La collégialité est la forme de gouvernement la plus exigeante en ce qui concerne la loyauté et l’abnégation de la part des membres du collège. L’époque que nous vivons rend la collégialité particulièrement ardue, car elle déplaît aux médias qui vivent des querelles de personnes et des vedettes. Il n’est pas exclu que nos cantons – et même nos communes – souffrent de plus en plus de violations de la collégialité. L’élection par le peuple accentue ce grave défaut dans la mesure où chaque « élu » croit être le «représentant» de ses électeurs et des courants politiques qui l’ont fait sortir des urnes plutôt qu’un citoyen au service de l’ensemble de la communauté. L’élection par le peuple, et au système majoritaire, même de liste, diminue le sentiment de responsabilité d’ensemble que devraient avoir les membres d’un collège. Les élus se croient un peu plébiscités et leur modestie ne manque pas d’en souffrir. Plus le nombre des voix des votants augmente, plus l’ego croît. Pas de modestie, pas de collégialité!

Nous ne dirons rien du temps que fait perdre aux gouvernants une élection par le peuple. On peut douter que les pays soient bien gouvernés pendant que les membres de l’exécutif sont en campagne. Et nous savons en tous les cas dans le canton de Vaud que toutes les décisions prennent du retard en période électorale.

Ces deux « défauts » propres, à notre avis, à toute élection populaire, et à la majoritaire, de l’exécutif prennent une dimension d’autant plus catastrophique quand l’assiette électorale s’élargit. En ce qui concerne l’élection du Conseil fédéral, il s’y ajouterait encore des problèmes spécifiques.

La paix confédérale est incontestablement liée à la manière dont les élus au gouvernement reflètent les principales langues et régions du Pays. Il est moins difficile de veiller harmonieusement à une certaine représentativité quand les élections sont opérées par le Parlement que lorsqu’elles sont populaires. S’il fallait s’assurer que les listes contiennent un minimum de représentativité sans que les citoyens soient complètement privés de leur liberté de choix ou en aient le sentiment, cela signifierait des élections tronquées. Les différences de poids des régions linguistiques de notre Pays auraient ou pourraient avoir pour conséquence que les «dés» seraient continuellement « pipé s» à défaut de quoi le risque existerait que certaines minorités ne soient plus jamais élues (on voit bien déjà sur le plan cantonal que les candidats de grandes villes ont beaucoup plus de chances d’être connus et élus que ceux des petites communes etc…). Il va de soi qu’une élection par le peuple n’aboutirait que très rarement à l’élection d’un Romand (Latin!), d’une femme, voire d’un représentant d’un petit Canton. Certes, on pourrait proposer de diviser le Pays en trois ou quatre régions, chacune ayant un à deux ou trois à quatre candidats à élire, mais on touche du doigt alors un autre effet néfaste.

Il est indispensable que le Conseil fédéral soit élu par un corps unique représentant l’entier du Pays si l’on veut que chaque membre ait la même «apparente» légitimité aux yeux de l’ensemble. Diviser le Pays en régions ou en arrondissements électoraux comme on l’entend parfois proposer serait saper la notion même d’ensemble sans laquelle la Suisse ne peut pas subsister.
Mais alors – et ce n’est pas le moindre problème – une élection du Conseil fédéral par le peuple ne se concilierait plus du tout avec le caractère fédéraliste du pays. Celui-ci se concrétise dans les deux modes d’élections des Chambres qui réalisent, chacun à sa manière, la typicité des Cantons. C’est bien de cette double empreinte cantonale que peut sortir, par le vote des parlementaires, le collège gouvernemental. Les deux Chambres qui représentent les Cantons et leur peuple peuvent, en toute légitimité, ensemble, c’est-à-dire en formant un corps unique, élire un collège qui ne compte pas un représentant par Canton. Cet aspect est tellement fondamental que nous en sommes à nous demander si certains des chantres d’une élection du Conseil fédéral par le peuple ont en tête autre chose qu’une préoccupation purement démagogique.

Suzette Sandoz 28.09.2003

2 commentaires

  1. Posté par Régis Volluz le

    Madame Sandoz, j’ai trop rarement l’occasion de partager vos idées, bien que j’admire depuis longtemps votre intelligence et votre courtoisie, pour ne ps ici vous témoigner de ma totale approbation. Je doute, hélas, que la rigueur de votre propos et la clarté de vos conclusions séduisent un peuple abusé par les sirènes du populisme, comme en témoigne par ailleurs la réponse de M. ou Mme Certeny. L’histoire n’a-t-elle pas souvent connu des institutions perverties par ceux-là même qui s’en prétendaient?

  2. Posté par certeny le

    Le problème suisse, en généralisant, ce sont les élus… qui se foutent des citoyens une fois élus… y a-t-il des élections pour le Conseil fédéral sans magouille ? la confiance n’existe plus… et il ne faut pas s’y tromper ce sont les élus qui sont responsables de cette perte de confiance ! Alors, avec quelques adaptations, que les citoyens élisent le Conseil fédéral sans intermédiaire.

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