Une politique familiale fédérale ?

Jean-Hugues Busslinger
Directeur du département de la politique générale du Centre patronal

Fausse sur le plan des principes, néfaste dans ses conséquences, l’attribution de compétences à la Confédération en matière de politique familiale ne saurait se justifier.

Tout semble bon pour attribuer de nouvelles compétences à la Confédération, au détriment des cantons. Avant un futur article sur les enfants et les jeunes (actuellement en consultation), c’est la politique familiale qui est à l’ordre du jour.

La nouvelle disposition, soumise au vote du peuple le 3 mars prochain, impose à la Confédération et aux cantons d’encourager les mesures de conciliation entre vie de famille et vie professionnelle et oblige de surcroît les cantons à pourvoir à une offre appropriée de structures de jour extrafamiliales et parascolaires. En outre, si les efforts des cantons et des tiers ne sont pas suffisants, la Confédération sera compétente pour fixer les principes applicables à la promotion des mesures de conciliation.

Une atteinte aux principes constitutionnels

A l’évidence, l’introduction d’un tel article heurte un certain nombre de principes fondamentaux, dans un domaine qui touche de très près la vie privée et la vie quotidienne de la population. Ces principes ont pour nom fédéralisme, responsabilité individuelle et subsidiarité. De grands mots certes, dont on se rappellera cependant qu’ils figurent parmi les fondements de l’ordre constitutionnel de notre pays ; ce n’est en effet pas par hasard que ces principes figurent aux tout premiers articles de notre texte fondamental.

La conjugaison de ces trois principes fondamentaux impose, dans un domaine qui touche d’aussi près l’individu, que si les efforts à fournir pour le bien-être des familles et de leurs enfants dépassent les capacités de celles-ci, les pouvoirs locaux, la commune tout d’abord, le canton ensuite, mènent des politiques publiques qui correspondent au consensus social local. Or, rien n’indique que cantons et communes n’assumeraient pas leurs devoirs en la matière. Bien au contraire, cantons et communes font leur travail. Les solutions apportées ont été à la fois pragmatiques et surtout en adéquation avec les spécificités, les besoins et les moyens locaux. On en jugera, notamment dans le canton de Vaud, par l’accroissement très important de l’offre en structures d’accueil.

En ignorant ces principes, la nouvelle disposition ouvre la porte à de nombreuses dérives dommageables à terme aux cantons et aux communes, aux structures d’accueil elles-mêmes et aux entreprises et qui se traduiront forcément en coûts supplémentaires à financer par l’impôt.

Une porte ouverte à l’activisme

Deux éléments dans le texte ouvrent grand la porte à l’activisme et au « toujours plus, toujours mieux ». Dire que « les cantons pourvoient en particulier à une offre appropriée de structures de jour extrafamiliales et parascolaires » n’apporte aucun avantage, mais qui déterminera que l’offre est « appropriée », terme à l’évidence susceptible de nombreuses interprétations. Quels sont les critères pour juger ?, qui fixera ces critères ? On se rappellera, dans ce cadre, que le coût d’une place d’accueil en crèche dépasse dorénavant trente mille francs par année, ce qui doit conduire à prendre en considération, non seulement les besoins, mais aussi les moyens à disposition. Et ce sont indubitablement les collectivités locales qui sont le mieux à même d’effectuer les arbitrages en la matière.

Plus grave, la disposition constitutionnelle prévoit que : « Si les efforts des cantons ou des tiers ne suffisent pas, la Confédération fixe les principes applicables… ». Qui déterminera que les efforts sont suffisants ? Selon quels critères ? Cette formulation implique automatiquement, à terme, le transfert des compétences à la Confédération et à son administration, car on voit déjà que les partisans de l’interventionnisme étatique n’auront de cesse de dénoncer des « efforts insuffisants », et qu’ils trouveront aux Chambres les relais nécessaires pour mettre en place des exigences, des quotas ou des normes.

Les effets pervers d’une législation fédérale

Lorsque l’administration fédérale se mêlera de fixer les principes, nul doute qu’une loi fédérale viendra les concrétiser et, dès lors, cantons et communes n’auront qu’à s’exécuter. On peut légitimement redouter que, prenant exemple sur des réalisations à l’étranger, on voie apparaître l’exigence d’un nombre minimal de places de crèche par canton ainsi que des normes d’encadrement ou d’équipement des locaux. L’expérience vaudoise nous indique que c’est justement au niveau des normes que le bât blesse et que le pointillisme administratif a pour principaux effets un frein certain à l’ouverture de nouvelles structures et des coûts qui prennent l’ascenseur. Et l’on se rappellera que, la dernière fois (c’était en 2009) que la Confédération a tenté de réglementer la garde des enfants, elle voulait obliger les grands parents à s’annoncer à l’autorité tandis que les parrains et marraines devaient obtenir une autorisation officielle… le projet a heureusement avorté, mais ses auteurs sont toujours employés de l’administration fédérale.

La mention des tiers dans la nouvelle disposition n’est pas sans conséquence, puisqu’elle comprend notamment les entreprises qui risquent fort d’être directement visées par les futures exigences fédérales. Si l’on se base sur les instruments qui ont été évoqués par certains partisans de l’article constitutionnel, on voit qu’ils pourraient être multiples, fort contraignants et susceptibles d’accroître notablement les charges des entreprises. A titre d’exemples, on peut citer la création imposée de crèches d’entreprises à partir d’un nombre d’emplois déterminé, la mise en place de congés parentaux ou d’un congé paternité payés, la promotion réglementée de nouveaux modes de travail ou l’instauration d’un droit au temps partiel pour tous.

L’intrusion de « principes étatiques » dans le domaine parascolaire, et le cortège de normes qui leur sera lié, ne peut que créer un cercle vicieux : elle ne manquera pas de décourager tant l’initiative privée que le bénévolat – avec pour conséquence de raréfier l’offre – ce qui aboutira, à terme, à la professionnalisation (et à la fonctionnarisation) de l’encadrement – ce qui se répercutera sur les coûts, donc sur les impôts.

Il serait dès lors parfaitement paradoxal que la Confédération fixe des exigences dont on sait déjà qu’elle ne les financera de toute manière pas (il y en aura assurément pour une poignées de milliards), mais qui devront en premier lieu être assumées par les contribuables des communes, et ce en faisant abstraction des réels besoins de la population au niveau local.

Il ne s’agit pas de se prononcer pour ou contre la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, ni d’ailleurs contre le développement de structures d’accueil extrafamilial. Il s’agit avant tout du respect des principes constitutionnels et de conserver les compétences au niveau adéquat. Cet article constitutionnel – outre qu’il déresponsabilise une fois de plus les individus et les familles – se révèle inutile car il ignore les réalisations accomplies en la matière par les particuliers, les cantons et les communes. Il constitue une atteinte superflue au fédéralisme et ouvre la porte à toutes les dérives financières. Un tel octroi de compétences à la Confédération ne se justifie pas. Nous voterons NON le 3 mars à l’article constitutionnel sur la famille.

Jean-Hugues Busslinger

 

2 commentaires

  1. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Veuillez, je vous prie, me pardonner si je donne écho à quelques unes de mes lignes qui n’auraient pas été publiées. Ou qui l’on été dans un autre cadre. J’y fustigeait l’idée de mieux s’occuper de ses enfants en les fourguants à des tiers. Or Monsieur Busslinher signale qu’il n’est pas contre cette liberté. Ce qui m’incite à préciser que moi non plus. C’est l’objet de ces lignes. Il n’en demeure pas moins que le vue de petits paquets, emmaillotés après avoir étés sortis du berceau avant l’aube, m’a laissé un goût de « jamais ça! » J’ai donc, de concert avec celle dont je partageais la responsabilité de la venue au monde de deux enfants, exerçé ma liberté! Nous avions peu mais n’avons jamais manqué de rien! Jamais! Et, si vous étiez mouche, moucheron ou insecte, bienvenus dans ma demeure, vous seriez témoins des échanges riches et joyeux que j’ai avec un de ces « paquets ». Qui n’a jamais été confié à une crèche. Ceci dit je comprends ceux qui en ont vraiment besoin, celles surtout!

  2. Posté par Alain Ciocca le

    Magnifique plaidoyer pour le fédéralisme et la responsabilité individuelle.

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