La Suisse et les crimes nazis: Réflexions sur un massacre intellectuel

Henry Spira
Henry Spira
Auteur du livre "La frontière jurassienne au quotidien 1939-1945"

A l’occasion de la commémoration de la Shoah le 27 janvier 2013, j’ai été déçu en bien à l’écoute des diatribes de cet enseignant retraité de l’Université de Lausanne, me refusant à l’affubler du terme « emeritus » qui ne peut convenir à ce personnage biennois pur jus, accent inclus, expatrié au bord du Bleu Léman. Je suis fort aise qu’il ne prononce plus ses diatribes critiques de la Suisse et des suisses entre 1939 et 1945, face à auditoire estudiantin. Qu’a-t-il donc dit le dimanche soir 27 janvier 2013, au micro de la TSR, le tout bien appris par cœur et d’un ton monocorde ? Ici une version plus proche de la réalité.

A l’occasion de la commémoration de la Shoah le 27 janvier 2013, j’ai été surpris en bien à l’écoute des diatribes de cet enseignant retraité de l’Uni de Lausanne, me refusant à l’affubler du terme de « emeritus » ne pouvant convenir à ce biennois alémanique pur jus, accent inclus, expatrié au bord du Bleu Léman. Je suis fort aise qu’il ne prêche plus ses diatribes critiques de la Suisse et des suisses entre 1939 et 1945, face à un auditoire estudiantin.

Alors que les armoiries de sa ville natale arborent une paire de hallebardes de gueules se croisant, cela n’autorise pas ses natifs à s’en prendre d’estoc et de taille au comportement des dirigeants et du peuple suisses au cours de la Seconde guerre mondiale.

Je suis même ravi de constater que mes critiques, lors des sorties de certains de la vingtaine de rapports de la Commission Bergier, concoctés pas H.U.J. et ses affidés aux mêmes penchants politiques, se trouvent confirmées par les accusations redoublées et toutes récentes de ce destructeur du bon renom de la Suisse au cours des années 1938 – 1945. Il n’est d’ailleurs pas le seul à agir de la sorte. D’autres, et non des moindres, s’y sont efforcés, dont certains membres de la CIE, leurs collaborateurs scientifiques et historiens.

Les historiens d’à présent, tous nés après guerre, ont réinventé une nouvelle Suisse 1938 – 1945, sans même se référer à des études poussées, effectuées peu de temps après la fin des hostilités. Leurs auteurs pratiquèrent une approche objective alors qu’ils avaient vécu cette période durant laquelle notre pays s’était très investi dans sa survie. Ils disposaient alors de nombreux témoignages de témoins vivants et d’abondantes sources de renseignements, dont une partie importante fut détruite ultérieurement.

Il faut citer en premier lieu le rapport du professeur de droit et historien bâlois Carl Ludwig (1889 – 1967),   Conseiller d’Etat libéral de Bâle-Ville de 1930 à 1946, à la tête du Département de Justice. Il fut donc confronté quotidiennement à la problématique de l’accueil des fugitifs (traduction littérale du terme allemand « Flüchtlinge » et non pas le terme « réfugiés » utilisé faussement par la majorité des auteurs et historiens francophones. En effet, les fugitifs ne devenaient des réfugiés que pour autant qu’ils aient été accueillis !

Ludwig mit 3 ans pour établir son minutieux rapport, faisant encore autorité jusqu’à présent. Il est basé sur de nombreux interrogatoires de témoins oculaires, d’intervenants subalternes, mais surtout de décideurs tels que des Conseillers Fédéraux s’égrenant de Rudolf ou « Ruedi » Minger (1881 – 1955) à Philip Etter (1891 – 1977), en passant par Marcel Pilet-Golaz (1889 – 1958), le Général Henri Guisan et nombre de ses subordonnés hauts-gradés, par exemple le col. Roger Masson, chef du SR et le col. Jaquillard depuis à la tête du contre-espionnage.

J’ai symboliquement recours à une rivière souterraine intermittente : Le Creugenat (Creux des Sorcières en patois ajoulot), drainant ses eaux dans le terrain karstique de la Haute-Ajoie, avec une résurgence au fond d’un cirque rocheux et en amont d’un siphon. Il n’y a aucune raison de réserver l’usage du manche à balai aux seules sorcières. Donc, lorsque vous évoluiez entre Saanen et la vallée de la Broye en d’impressionnantes voltes, votre manche à balai bien en main, n’avez-vous pas commencé à avoir un début de sentiment de reconnaissance envers la Confédération ? Elle vous a pourtant bien financé en partie vos études universitaires, de même que celles d’autres jeunes officiers étudiants faisant partie des équipages volants (pilotes et observateurs) de notre aviation militaire. Quarante francs par heure de vol, sans compter la solde, à raison de 10 heures de vol durant 10 mois sur 12 par année, cela représente 4ooo francs par an, un montant appréciable à l’époque, pour un étudiant.

Quant à la perte d’un de ces coûteux Mirage (l’âme du CF et Col Chaudet en cauchemarde encore), je suis tout disposé à vous pardonner, comme l’avait fait la Confédération, puisque vous avez gradé jusqu’à devenir Major. D’ailleurs seuls les maniaques vérifient tout avant de démarrer au volant de leur auto : la jauge du réservoir de carburant, la jauge huile du bloc-moteur, du radiateur, la pression des 4 pneus et de celui de réserve. Pas vrai ?

Reddition du Rapport Ludwig

Ce rapport de 359 pages fut remis par l’auteur au Conseil Fédéral fin septembre 1955, et fut ensuite soumis pour avis à M. von Steiger, Conseiller Fédéral chargé du DFJP ainsi qu’au Dr. Heinrich Rothmund ex Chef de sa division de Police jusqu’en 1945. Le Conseil fédéral a joint au rapport Ludwig une récapitulation des directives que le CF entend suivre en de telles circonstances dans sa politique en matière d’asile portant la date du 1er février 1957, de même qu’un descriptif du 7 mars 1957 sur la pratique suisse de l’asile lors des évènements survenus à Budapest en automne 1956 et des 10000 hongrois qui furent alors accueillis en ce pays et s’y intégrèrent rapidement.

Le tout fut transmis à l’Assemblée Fédérale le 13.09. 1957. Traduit en 2 langues nationales, il fut publié et réédité à plusieurs reprises par l’Office fédéral des imprimés, sous couverture – papier jaune. Il y a deux ans, lors de nouvelles polémiques haineuses envers la Suisse, j’ai tenté de m’en procurer plusieurs exemplaires. Je désirais les transmettre notamment à l’Ambassade de Suisse à Washington, DC et à une institution gouvernementale des Etats-Unis : Le US Holocaust Memorial Museum à Washington,  DC Cet organisme était victime de mésinformation en provenance des Archives Fédérales à Berne citant 11885 fugitifs civils – majoritairement juifs d’ailleurs – accueillis en Suisse via le territoire genevois et d’une liste nominative citant également nominativement plus de 25000 personnes  ayant franchi la frontière franco-genevoise durant la même période, soit du printemps 1942 à fin 1945, dressée sous l’égide et les directives       de Melle Santschi, surnommée la Grande Catherine. On y trouve pêle-mêle aussi bien les arrivants que les partants, omettant de préciser le lieu, la date et le sens de franchissement de cette frontière. C’est avec peine que j’ai finalement obtenu du successeur de La Grande Catherine à la tête des Archives d’Etat de Genève, M. Pierre Fluckiger, lors d’un entretien présidé par Mme Isabel Rochat , Conseillère d’Etat, alors son autorité de tutelle, que cette liste soit précédée d’un texte explicatif.

J’ai alors appris, à ma grande stupéfaction, par la librairie Payot, que le rapport Ludwig n’était plus disponible. Derechef, ayant pris contact avec le bureau fédéral de la logistique ayant succédé au service des imprimés, il m’a été confirmé que cette publication n’était plus disponible et qu’aucune réédition n’en serait faite. Ce n’est que grâce à l’amabilité de M. François Wisard, l’historien Jurassien responsable du service historique du DFAE, que j’ai obtenu une paire d’exemplaires du rapport Ludwig en version CD, qui ont ensuite fait des petits, dont ont notamment bénéficié l’Ambassade de Suisse aux Etats-Unis, le USHMM, un ancien inspecteur d’académie à Colmar en train d’effectuer des recherches sur les « malgré nous » et les nombreux Alsaciens qui, fuyant l’enrôlement de force dans la Wehrmacht, cherchaient aide et protection en Suisse, les Archives cantonales et l’Office de la culture jurassienne, notamment.

Et ce qui est surprenant j’ai découvert 3 interventions effectuées à la même époque par 3 Conseillers Nationaux, d’un libéral, le second socialiste et le troisième UDC et ASIN de surplus :

-          Le 21 mars 1997, une question ordinaire est déposée par le CN socialiste genevois, Me. Jean-Nils de Dardel, sous le No. 97.1043 :

Le « Rapport Ludwig » sur la politique des réfugiés est épuisé. Le Conseil Fédéral est-il d’accord de le rééditer dans les meilleurs délais, compte tenu de l’intérêt évident que ce document est susceptible de rencontrer dans l’opinion publique ?

Réponse de CF : « le rapport du professeur Ludwig… est disponible dans diverses bibliothèques et archives et, partant, toujours accessible au public. Cependant, les récents évènements ayant considérablement accru l’intérêt général porté à ce document, le Conseil Fédéral estime que la situation actuelle n’est pas satisfaisante. Il a fait imprimer un nombre suffisant d’exemplaires du « rapport Ludwig ». Les milieux intéressés peuvent commander ce dernier auprès de l’OCFIM, 3000 Berne, au prix de 36 francs.

-          Le 5 juin 1997, une motion est déposée par le CN UDC Ulrich Schlür, président de l’ASIN, sous le No. 97.3270. Elle est contresignée par 15 Conseillers Nationaux : Binder Max, Bortoluzzi Toni, Brunner Toni, Fehr Hans, Fehr Lisbeth, Föhn Peter, Freund Jakob, Frey Walter, Hasler Ernst, Oehrli Franz Abraham, Rychen Albrecht, Schmid Samuel, Seiler Hanspeter, Speck Christian, Vetterli Werner. On remarquera qu’une seule femme apparaît parmi les 16 signataires.

Son libellé est le suivant : « Le CF est chargé de faire rééditer intégralement à l’intention du public en général, le rapport du professeur Carl Ludwig publié en 1966 (erreur de frappe sans doute, car datant de 1956) sous la forme d’un ouvrage intitulé « la politique pratiquée par la Suisse à l’égard des réfugiés de 1933 à nos jours ». Le développement conclut en ces termes : « … Ce rapport, complété d’un commentaire rédigé par le CF E. von Steiger ainsi que les principes devant inspirer la pratique de l’asile qui ont été formulés en 1957 par le CF, a été réédité sous forme d’ouvrage destiné au public en général. Les conclusions du rapport restent d’une grande actualité. Eu égard au débat public, parfois empreint de vives controverses, qui s’est déroulé ces derniers temps au sujet de la politique de la Suisse à l’égard des réfugiés pendant la deuxième guerre mondiale, il semble impératif de rendre ce rapport disponible pour toutes les personnes intéressées.

Une réédition du rapport permettrait de rendre plus objectif le débat relatif à la politique d’asile et serait manifestement dans l’intérêt général. »

-          Enfin, en pleine crise des fonds en déshérence, le Conseiller National libéral  neuchâtelois Rémy Scheurer dépose une interpellation le 10.06.1998, contresignée par les CN Verena Grandelmeier, François Lachat, Jean-François Leuba, François Loeb, et Jean-Philippe Maître. Elle est enregistrée sous le No. 98.3242. Elle demande CF de publier, sous forme de livre, la liste nominative des personnes civiles, juives et non-juives, accueillies en Suisse durant la Seconde guerre mondiale, démontrant notamment que la Suisse avait accueilli plus de pourchassés juifs que tous les autres pays. Les chiffres effectifs et les données historiques à la base de cette interpellation avaient été fournis à son auteur par Henry Spira. Puis, lors d’une de ses séances plénières hebdomadaires, le Conseil Fédéral avait décidé de publier cette liste sous forme de livre. Or, une équipe de tricoteurs et de tricoteuses, notamment de gauche, se sont mis à fricoter – terme argotique français plus imagé que « lobbying ». Parmi cette équipe figurent des fonctionnaires des AF, des parlementaires et des journalistes, dont entre autres Dame Gisela Blau, l’hyperactive collaboratrice de « tachles », l’hebdomadaire israélite zurichois. Cette même personne, par qui le scandale Meili/Wache A.G. était arrivé, était intervenue afin que l’on n’apprenne pas qu’elle-même, alors âgée de moins de huit mois, avait été accueillie en Suisse, de même que ses proches, le 4 novembre 1942, par le poste-frontière de Chancy (GE) !

Et bien que pensez-vous qu’il est advenu de cette louable décision du CF ? Cette liste nominative sous forme de livre n’a jamais été publiée. Cette décision a été victime d’un enterrement sans suite ni bénédiction à l’initiative de Mme la Conseillère Fédérale Ruth Dreifuss.

Devant ces interventions datant de la même époque que la naissance du Nouveau Testament Fédéral par la Commission Bergier, on peut subodorer un second enterrement, de première celui-là, des remarquables travaux du Prof Carl Ludwig, farcis de chiffres précis.

On aurait économisé plusieurs millions de bons francs suisses en éliminant du pensum de la CIE les travaux de recherches concernant l’attitude de la Suisse envers les fugitifs de 1933 à 1945, et en publiant à nouveau le rapport Ludwig et ses traductions indispensables, outre les versions française et allemande c’est-à-dire en anglais, précédée d’introduction adéquate. Ceci aurait été tout bénéfice, non seulement en coût, mais aussi en rehaussement de la réputation du pays.

A part les critiqueurs autochtones de la Suisse et des suisses durant la seconde guerre mondiale, les critiqueurs et accusateurs les plus virulents ne sont pas germanophones, mais bien anglophones et francophones. Or, le rapport intermédiaire exigé dans l’urgence à la mi-décembre 1996 par le CF a été publié début 2002 dans les langues nationales de même qu’en anglais, quasi simultanément avec le rapport intermédiaire sur l’or.

D’anciens réfugiés néerlandais juifs ayant pris connaissance du contenu du rapport intermédiaire sur les réfugiés, se sont offusqués – avec raison – des accusations mensongères envers le cpl  Demierre de l’Ar ter de Genève. Ils avaient été enrôlés par ce dernier dans les services du SR suisse et hébergés au domicile de Demierre, place Claparède. Ces néerlandais ont immédiatement protesté auprès du DFAE et de la Commission Bergier. Ces organes m’ont alors prié de contacter dans l’urgence M. Willem Julius Wolff (1921-2009) à Amsterdam, alors même que je me trouvais en clinique et venant d’être opéré. A la suite de mon appel téléphonique, M. Wolff est venu me rendre visite 2 jours plus tard (à consulter, pour plus de détails, les pages 42-47 de mon ouvrage publié chez Slatkine : La frontière jurassienne au quotidien, 1939-1945).

J’ai ensuite transmis à la CIE, sous copies au Dr. Georg Kreis et Mesdames Michèle Fleury et Bettina Zeugin, les doléances précises de M. Wolff dans une lettre datée du 14.04.2001, y joignant une série de documents probants.

En date du 16 mai 2001, le Président de la CIE, M. Jean-François Bergier, m’a écrit :

Cher Monsieur,

Pardonnez-moi de venir si tard vous remercier des documents concernant le cpl Demierre que vous avez adressés récemment à la Commission. Nous en ferons bon usage dans la version remaniée du rapport sur les réfugiés qui sortira en automne (mais en allemand seulement).

Recevez, cher Monsieur, l’expression de mes sentiments biens cordiaux.

Signé : votre Jean-François Bergier

Ces deux documents sont reproduits dans mon ouvrage aux pages 35 à 37.

La version modifiée et finale a paru en allemand aux Editions Chronos en 2001 sous le titre « Die Schweiz und die Flüchtlinge zur Zeit des Nationalsozialismus » En début d’ouvrage sont indiqués les auteurs et auteures du rapport intermédiaire sur les réfugiés, de même que les deux collaborateurs ayant procédé aux modifications requises, soit Mme. Michèle Fleury et M. Blaise Kropf. Figurent de même  nombre d’entités diverses et de personnes ayant œuvré à l’établissement de ces deux rapports ; j’y figure d’ailleurs.

Et le texte me cite de nombreuses fois, aux pages 7, p. 158, notes 119 et 129, p. 180, note 215, p. 183, note 230, p. 186, note 242, p. 187, note 247, p. 194, note 271, p. 196, note 283, p. 206, note 332, p. 207, note 339, p. 270, note 180, concernant Marie-Rose Chapuis . Enfin, la page 459 cite 5 textes de Henry Spira publiés dans des revues d’histoire.

Ce refus de publication en versions française et anglaise ne découle pas d’empêchements d’ordre financier dus aux coûts de traduction, puisque la base est tirée de rapport intermédiaire sur les réfugiés, mais sa publication engendrerait des doutes quant à l’infaillibilité, non pas du Pape, mais de la CIE.

M. Heimberg est responsable de l’enseignement de l’histoire dans les Cycles d’Orientation de Genève. Bien que son patronyme dénote une origine oberlandaise, il ne maitrise pas la langue allemande. En conséquence, ses directives adressées aux enseignants d’histoire sont basées sur la version française du rapport intermédiaire de 2001. Il a donc ignoré le contenu du rapport corrigé, puisque publié en allemand seulement.

Depuis des années, quasiment dès la fin de la guerre en mai 1945, on persiste à clamer que le refoulement de juifs se présentant à nos frontières vers les territoires occupés par le Reich équivalait à les renvoyer vers une mort certaine, ce qui est archi-inexact. La toute dernière pécheresse n’est rien moins que Mme la Conseillère Fédérale Simonetta Sommaruga. Son péché est récent, puisque datant du 31 janvier 2013, repris par la TSR aux nouvelles de 19h30.

Venons-en à la réalité. C’est surtout par la frontière franco-suisse, de Bâle jusqu’à Chancy, que les fugitifs juifs sont arrivés dans ce pays. Ils provenaient, documents à l’appui, de la zone au Nord de la Loire, seul territoire français occupé par la Wehrmacht jusqu’au 11.11.1942. Ils provenaient de France, mais aussi et surtout de Belgique et des Pays-Bas. Par quels moyens de transport arrivaient-ils à notre frontière ? Mais tout bêtement en utilisant les transports publics, à commencer par le train, puis, jusqu’à quelques kilomètres de la frontière suisse, par les transports publics, les autobus à gazogène. Les derniers kilomètres  étant parcourus à pied, escortés par des passeurs. D’innombrables dossiers personnels ou familiaux de la série N, classés et répertoriés se trouvant aux Archives Fédérales à Berne, le prouvent.

Prenons quelques exemples parmi des centaines :

  1. Ruber Rubens, un néerlandais juif, domicilié à Bois-le-Duc, ayant été avisé qu’il serait déporté en Pologne, s’enfuit en Suisse via la Belgique. Il arrive sur sol suisse le 16.08.42, après avoir franchi le Doubs à gué en aval de Goumois. S’étant annoncé à un poste de l’armée aux Pommerats, il est conduit à Saignelégier. Puis, conformément aux instructions de Rothmund datant du 10 août 1942, il est refoulé en France occupée. Il retourne par le même cheminement à Bois-le Duc.

Le 28 août 1942, avec trois copains juifs néerlandais, ils écoutent l’émission radio Brandaris du gouvernement néerlandais en exil à Londres et diffusé à 12h45, par la BBC. Ils apprennent que le gouvernement suisse venait de rouvrir ses frontières. (Nota bene : Cette décision avait été communiquée le matin même par von Steiger et Rothmund lors d’une assemblée réunissant les responsables des services de police de la quinzaine de cantons-frontière, tenue au Château à Lausanne. Qui avait si rapidement informé le gouvernement néerlandais en exil ? Mystère) Nos 4 copains décident de partir immédiatement. Ils se rendent à Roosendal à 10km de la frontière NL-B et à40 kmau NE d’Anvers, où ils arriveront dans la soirée du 28 août. Puis, guidés par un passeur, ils se rendent à bicyclette à la frontière Belgique-France et passent la nuit à Agimont, proche du saillant français de Givet (Dépt. Des Ardennes). Ils empruntent le train pour se rendre à Nancy qu’ils atteignent vers 18h et parviennent à Belfort le lundi 31 août vers midi. Puis à pied jusqu’à Voujeaucourt et en bus jusqu’à Montandon, à3 kmde St—Hippolyte. Enfin à pied jusqu'au bord du Doubs qu’ils franchissent aux aurores et au même endroit que Rubens, 2 semaines auparavant !

  1. Le samedi tôt le matin 8 août 1942, Rothmund et certains de ses subordonnés se trouvent au poste de douane de Boncourt-Déridez, et assistent à l’arrivée d’un groupe d’une quinzaine de juifs d’origine polonaise mais domiciliés à Bruxelles. En fait il s’agissait de plusieurs branches d’une même famille, allant du grand-père à des enfants en bas âge, chargés de valises et de paquets, s’exprimant avec de fort accents belges teintés de polonais. Ils étaient bien entendu parvenus par train jusqu’à Belfort via Nancy. Des passeurs les avaient pris en charge à partir de la gare de Belfort. Le capitaine des douanes, responsable de secteur, dit à Rothmund : » il faut les refouler, ces gens-là ». Et Rothmond de rétorquer : «  je ne suis pas venu pour ça. » Toutes ces personnes seront accueillies en Suisse jusqu’à la fin des hostilités, puis rentreront chez eux.

Dans l’immédiat, les femmes et les enfants seront accueillis au couvent de Saint-Paul à Porrentruy, tenu par les bonnes sœurs de Chartres, et les hommes dans les prisons de district à Porrentruy et Delémont.

Quant à Rothmund, rentré à Berne, il médite seul le lundi 10 dans son bureau, puis décrète la fermeture de la frontière à compter du 13 août 1942.

La France occupée était en réalité une vraie passoire, dont les maillons devenaient de plus en plus grossiers. D’une part, et à l’intérieur de la zone Nord, les arrestations des juifs étaient effectuées par la Gendarmerie Nationale sur la base des sommiers de police établis dès l’automne 1940 sur instructions du gouvernement Pétain. Le contrôle des voyageurs incombait aux troupes d’occupation. Or l’organisme allemand chargé de la surveillance du territoire occupé ne disposait que de 2000 personnes, secrétaires féminines y compris.

De plus en plus, le Reich prélevait ses unités d’élite en France occupée, sauf celles engagées le long du Mur de l’Atlantique et face à l’Afrique du Nord, pour les engager sur le front de l’Est. Le remplacement s’effectuait par des soldats alors âgés et moins endoctrinés, ayant sans doute déjà combattu en 1914-1918.

Précisons enfin que plus de la moitié des réfugiés juifs accueillis en Suisse ont pénétré par le canton de Genève. Les Nazis ont réussi le tour de force de conserver secret l’existence de camps d’extermination, grâce à leur machiavélisme. Aucun des dossiers de la série N concernant des juifs accueillis ne mentionne des convois de déportation vers des camps d’extermination, mais uniquement des camps de travaux forcés, quelque part en Pologne, jusqu’en août 1944. Les deux seuls faits qui auraient pu leur mettre la puce à l’oreille consistaient dans la déportation d’enfants et de vieillards que la France raflait puis centralisait à Drancy.

Il est exact que dès l’automne 1941, des exécutions massives des populations juives s’effectuent en Pologne occupée et les territoires de l’UdSSR  envahis par la Wehrmacht. Ces massacres étaient effectués si j’ose dire, de façon artisanale, par des Einsatzkommandos  équipés d’armes à feu, mitrailleuses et mitraillettes au bord de fosses creusées au préalable par les futurs suppliciés. Notre consul général à Cologne, M. von Waiss, ayant tenté sans succès, via la voie de service par la Légation de Suisse à Berlin, d’informer Berne, s’étant rendu compte que le Ministre Frölicher pratiquait la poche restante, il avait adressé une lettre manuscrite à son voisin veveysan, le Col Roger Masson. Le CF et l’EMG étaient au courant de ces massacres, ayant été informés par des membres de la missions sanitaire suisse à Smolensk, mais ignoraient tout des camps d’extermination avec chambres à gaz et fours crématoires. Nous n’étions de loin pas les seuls ignorants de l’existence des camps d’extermination à la  Auschwitz. Ce n’est que bien plus tard, courant 1944, que l’on apprit, bribe par bribe, des détails.

A ce moment-là, on avait suggéré aux forces alliées de bombarder et détruire les voies ferrées empruntées par les convois de déportation vers les camps.

De telles interventions n’ayant aucun impact positif dans les offensives alliées contre les forces du Reich, le Haut Commandement des Forces Alliées a préféré investir ses forces aériennes dans l’anéantissement de la Wehrmacht.

Des reproches continuent d’être adressés à la Suisse pour n’avoir pas protesté face aux horreurs commises Outre-Rhin. Fallait-il alors clamer notre indignation tous azimuts ? Emettre ces accusations via Sottens, Beromünster et Monte-Ceneri ? Le fou de Berchtesgaden aurait eu tôt fait de se venger, soit en bloquant toutes nos importations vitales, soit en coventrysant une de nos villes. D’ailleurs nous n’étions pas les seuls muets à cette époque, dans ce silence étourdissant. Pie XII fut une de ces carpes parmi d’autres.

Il y aurait d’autres réflexions à faire, à commencer par comparer ce que la Suisse a entrepris en faveur des pourchassés et les prestations similaires d’autres pays. Nous ne faisions pas partie des pires, loin de là. Passé 60000 civils ont été accueillis en Suisse, dont 28000 juifs, durant la Seconde guerre mondiale. Il faudrait aussi mentionner la diaspora juive de Suisse comptant 18000 personnes, dont la moitié de nationalité suisse. Certains milieux pratiquaient un antisémitisme que je qualifie «  d’antisémitisme de salon ». Une seule personne en fut victime : M. Bloch, de Berne, ce marchand de bestiaux, qui fut assassiné à Payerne par un quatuor de crapules nazies dont un pasteur, s’étant intéressés  au contenu de son portefeuille. C’est l’ambassade d’Allemagne qui avait ensuite payé les frais d’avocat de ce quatuor. M. Chessex en a écrit une curieuse version.

Je me réserve de décrire tout ce que la Suisse et les suisses ont entrepris durant les années 1939 à 1945 en faveur des Alliés, de la Résistance, dans les domaines politiques et financiers. J’y reviendrai.

Une dernière remarque : Certains lecteurs constateront que le présent texte contient des redites publiées antérieurement sous ma signature. Je m’en excuse, mais insister sur des vérités premières ne peut être que bénéfique !

4 février 2013 Henry Spira

3 commentaires

  1. Posté par Eddie Mabillard le

    Merci Monsieur Berberat, j’ai pu l’enregistrer. Meilleures salutations. ed

  2. Posté par Jean-Guy Berberat le

    J’ai trouvé le rapport Ludwig sous l’adresse
    dodis.ch/17417

  3. Posté par Eddie Mabillard le

    J’ai essayé de trouver le rapport Ludwig, mais impossible. Auriez-vous l’amabilité de me donner plus de précision, ou l’adresse internet exacte du site. Merci d’avance. Eddie.

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