Mythique mitage

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens
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Les Suisses seront amenés à se prononcer le 3 mars prochain sur la nouvelle loi fédérale d’aménagement du territoire, la fameuse LAT, combattue par référendum – dernière mouture en date de l’idée selon laquelle les politiciens seraient plus à même de décider de l’affectation des terrains que leurs propriétaires légitimes.

Gageons que ce ne sera pas la dernière offensive du genre.

Une loi pour les gouverner tous et dans les ténèbres les lier

La semaine dernière vit l'arrivée officielle dans la campagne du comité pour le Non ; celui-ci dénonce, avec raison:

  • une loi allant totalement à l'encontre du fédéralisme ;
  • une loi diminuant encore les surfaces constructibles, donc poussant les prix à la hausse comme pour toute pénurie, et qui concernera également le bâti loué ;
  • une loi rajoutant un nouvel impôt sur les plus-values de 20% - quand l'Etat a décidé de se faire plaisir, on ne va pas chipoter, hein! - des survivants de la nouvelle assignation des terrains ;

...impôt sur les plus-values qui ne devrait malgré tout pas suffire à indemniser les propriétaires spoliés de leur terrain constructible ; les contribuables devront donc passer à la caisse.

Ces arguments rationnels et acceptables seront amplement débattus dans les médias ces prochaines semaines. Mais discutera-t-on assez des autres arguments, ceux ayant donné naissance à cette révision ?

Un tour sur le site des partisans de la diminution drastique des surfaces à bâtir en Suisse en donne une petite idée. Outre la mine réjouie de Philippe Biéler, on a droit à une image parlante:

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D'un côté, le joli arbre gentil qu'il faut protéger et défendre, parce que ce benêt de végétal ne sait pas saisir la justice. De l'autre, la maison individuelle, incarnation suprême de l'égoïsme du méchant humain.

Gauche gentil, droite méchant, pur hasard.

Mais bon, partons de la répartition sous-entendue par cette image: 50% nature, 50% zones bâties ? Si seulement ! Nous en sommes très, très loin.

Prouvons-le avec le canton de Genève.

L'illusoire densité

Genève, Cité de Calvin et ville du bout du lac, subit une pression immobilière importante. La place y est rare, les logements chers, nous dit-on. Mais du côté des statistiques cantonales, on trouve quelques cartes sur la densité de population fort instructives, à l'encontre des clichés enracinés dans l'imaginaire collectif.

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La moyenne de 1'650 habitants au km² cache une répartition des plus irrégulière, de la ville de Genève densément peuplée au reste de la surface du canton où la densité est dérisoire.

Surpris ? Réfléchissez-y à deux fois. Genève dispose d'assez de vignes pour une production locale de vin, d'assez d'agriculteurs pour garnir les étals estampillés "de la région" des grandes surfaces, et d'assez de forêts et de zones sauvages pour que la chasse s'invite dans le débat d'une refonte de la Constitution cantonale.

Pas mal pour un canton soit-disant urbanisé à l'extrême !

La ville de Genève proprement dite parvient à une densité honorable de plus 25'000 habitants au km², atteinte sans grands sacrifices sur le confort, comme en atteste une demande locative soutenue. Les gens ne se battraient pas pour trouver un appartement libre à Genève si la vie urbaine était l'enfer décrit par les écologistes.

Un rapide calcul nous enseigne que si la ville de Genève s'étendait à toute la superficie de 282 km² du canton, celui-ci suffirait à loger plus de sept millions de personnes. La ville-canton ne serait pas plus dense que la ville de Genève d'aujourd'hui. On ne renoncerait ni aux parcs ni aux espaces verts ni à l'enchevêtrement de transports publics qui agrémentent la commune. Il n'y aurait même pas besoin de bâtir plus haut !

votation du 3 mars 2013,mitage,surpopulation,arnaqueBien sûr, il faudrait d'autres surfaces (agricoles par exemple) pour entretenir toute cette population, mais en termes d'habitation les choses sont claires. L'intégralité de la population helvétique pourrait pratiquement tenir sur la surface d'un seul de ses plus petits cantons.

D'où l'incontournable vérité que les partisans de la pénurie et du contrôle cherchent à cacher à tout prix: la Suisse est peu peuplée. La Suisse est faiblement habitée. Selon les standards de vie d'autres régions du monde, osons le dire, la Suisse est quasiment déserte.

L'étendue des zones non-urbanisées sautera aux yeux de quiconque prend le train ; elles sont encore plus apparentes vues d'avion.

La population helvétique toute entière ne représente même pas une fraction de la banlieue de Shanghai.

Fausses excuses et vrais prétextes

L'objectif d'une politique d'aménagement n'est pas de caser un maximum d'habitants dans un territoire donné. D'autres facteurs entrent en ligne de compte, comme l'indépendance alimentaire, la préservation d'espaces sauvages ou classés, la densité des infrastructures et la production d'énergie ; ou encore, simplement, l'intégration des nouveaux arrivants avec la population autochtone.

Le peuple suisse a ainsi délégué la gestion du territoire à ses autorités, mais celles-ci ont fait preuve d'un zèle excessif dans leur politique d'affectation. De gigantesques superficies ont ainsi été stérilisées et rendues "inconstructibles" non à cause de difficultés techniques ou de dangers naturels, mais simplement par classement administratif.

Cette vision conservatrice en matière de construction a des conséquences d'autant plus néfastes qu'elles sont aggravées par une politique d'immigration diamétralement opposée, à la limite de la fuite en avant. La collision entre la préservation du territoire et l'ouverture des frontières provoque une pression à la hausse continuelle des prix des terrains et de l'immobilier dont on ne voit pas le bout, y compris sur le segment locatif.

Loin d'harmoniser la construction et d'encadrer l'accès à la propriété, le zonage a permis l'émergence de toute une caste de spéculateurs tablant sur le changement d'affectation des surfaces, la thésaurisation des espaces constructibles et, pour tout dire, la gestion de la pénurie.

Mitage, vous avez dit Mitage ?

Le mitage, aussi appelé étalement urbain ou grignotage, correspond à la dispersion de surfaces bâties au milieu d'espaces naturels. Dans sa forme extrême, il ne correspond même pas aux interminables banlieues résidentielles américaines où des maisons juxtaposées s'étendent à perte de vue, mais carrément à des résidences individuelles semées ça et là au milieu des champs.

Dans les films d'horreurs, les étudiants en goguette finissent invariablement dans une maison isolée à des kilomètres des secours. Une telle demeure ressemble plus à une vision de cauchemar qu'au rêve de la majorité ! Les gens ne cherchent pas à habiter dans des logements excentrés ; ils sont justes poussés à agir ainsi par deux mécanismes dont, bizarrement, l'Etat est entièrement responsable...

Car le mitage est un phénomène récent et de nature purement économique. Ses causes n'ont rien de compliqué:

1. les terrains éloignés sont meilleur marché ;

2. la collectivité, et non le futur propriétaire, assume une grande partie des charges pour l'extension des réseaux et des infrastructures aux nouvelles constructions.

Les promoteurs sont amenés à bâtir au milieu des campagnes par des prix fonciers moins élevés et se retrouvent subventionnés par l'ensemble des contribuables pour une partie des travaux: ces deux effets créent et encouragent le mitage.

Puisqu'il est économique, le phénomène de mitage peut se combattre, voire s'éradiquer très facilement avec d'autres mesures économiques: une libéralisation de l'affectation des zones, amenant une baisse générale des prix - donc plus besoin de s'enterrer dans la cambrousse pour trouver un terrain abordable - et une implication plus grande des propriétaires dans le coût du raccordement aux égouts ou au réseau d'électricité, ce qui les mettra face à leurs responsabilités.

Et le mitage disparaîtra.

En guise de conclusion

Les hommes aiment à vivre près de leurs semblables ; des siècles avant que les contraintes bureaucratiques modernes ne se concrétisent, alors qu'ils avaient le choix, ils se regroupaient déjà en villages. Ils voyaient les avantages à vivre en communauté en matière de services, de sécurité, de commerce.

L'idée d'une libéralisation de la construction et de la fin du zonage donnera des sueurs froides à la plupart des Suisses. Elle a pourtant existé dans le passé, nous laissant en héritage une campagne et des villages bien définis, et des bâtiments anciens dont nous sommes nettement plus fiers que leurs contreparties récentes.

Si le classement en zone agricole / constructible disparaissait finalement un jour, la Suisse ne serait pas bétonnée du jour au lendemain. Il y aurait certes du retard à rattraper, mais une fois le nouvel équilibre atteint (et par équilibre, il faut comprendre des loyers raisonnables pour tout le monde!) les logements cesseraient de jaillir de terre comme des champignons, là encore sous le simple effet de l'offre et de la demande.

Reprenant notre exemple de Genève, si seuls 10% des 41'284 km² du territoire helvétique étaient effectivement constructibles - une hypothèse prudente - la surface en question permettrait, avec une densité urbaine genevoise, de loger plus de... 100 millions d'habitants ! Mais il s'agit de pure spéculation, car qui se lancerait dans la construction de 92 millions de logements vides ?

La pénurie fait toujours des heureux, ici les spéculateurs fonciers et les propriétaires, aux dépens du plus grand nombre. Lorsque cette pénurie est artificielle, elle n'en est que plus révoltante. Le 3 mars prochain, les Suisse décideront s'ils veulent encore la renforcer. Mais plus l'Etat aura de prérogatives en matière de construction, plus il en usera ! Une couche d'administration supplémentaire à l'échelle fédérale renforcera le prix des terrains existants, pour le plus grand bonheur des rares individus à en posséder, et le plus grand malheur des candidats à la propriété et des locataires.

Il est de bon ton de s'emporter contre la thésaurisation du foncier par des propriétaires "irresponsables". Ceux qui les critiquent le plus vertement réalisent-ils que l'administration fait exactement la même chose, et à une toute autre échelle ?

Stéphane Montabert

 

Première publication sur le blog de Stéphane Montabert.

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