« La vérité sur l’affaire Harry Quebert » de Joël Dicker

Francis Richard
Resp. Ressources humaines

Rediffusion: Francis Richard a été parmi les premiers critiques à reconnaître la qualité de l’Affaire Harry Québert. A l’occasion de la réception du prix de l’Académie française, les Observateurs présentent toutes leurs félicitations à M. Joël Dicker.

– Marcus est en effet atteint de la maladie des écrivains – qui n’atteint pas ceux qui les critiquent, confortablement installés dans leur fauteuil.

Le livre sur les quais, Morges, 8 septembre 2012:

- J'ai beaucoup aimé votre premier livre
- Je sais... Celui-ci est très différent
- Vous savez, je ne parle, en principe, que des livres que j'aime.
- Je patienterai et je guetterai...
(Tu peux toujours attendre. Ton livre est un vrai pavé...)

A été pris qui croyait prendre. Je n'aurais pas dû commencer ma lecture. Je n'ai pas pu m'en déprendre, et j'ai aimé. Beaucoup. Impossible donc de ne pas en parler aussitôt.

Si tu ne veux pas abandonner le boire et le manger, y passer la nuit le jour, ami lecteur, je t'en conjure, ne lis pas le premier chapitre de ce livre. Il te captivera, comme tout bon premier chapitre, qui est essentiel, et tu ne voudras plus rien faire d'autre que lire le reste, quoi qu'il t'en coûte.

Le 30 août 1975, une jeune fille blonde, aux yeux verts, âgée de 15 ans, disparaît, une certaine Nola Kellergan. Elle est l'enfant unique de Louisa et de David, révérend pasteur de son état. Cela se passe aux Etats-Unis, dans le New Hampshire, dans la petite ville d'Aurora, tranquille comme peut l'être celle peinte par Edward Hopper, qui orne la couverture.

Trente-trois ans plus tard, début 2008, Marcus Goldman, 30 ans, après l'avoir délaissé plus d'un an, fait signe à son vieux maître et ami, Harry Quebert, 67 ans, qu'il a connu il y a dix ans et qui lui a donné 31 conseils pour devenir l'écrivain à succès qu'il est maintenant. Il l'appelle au secours parce qu'il n'a pas écrit une ligne du deuxième livre qu'il s'est engagé, par contrat, à remettre à son éditeur, avant la fin juin de cette année d'élection présidentielle.

Marcus est en effet atteint de la maladie des écrivains - qui n'atteint pas ceux qui les critiquent, confortablement installés dans leur fauteuil - et se fait assaisonner d'importance par Harry:

« Les pages blanches sont aussi stupides que les pannes sexuelles liées à la performance: c'est la panique du génie [...]. Ne vous souciez pas du génie, contentez-vous d'aligner les mots ensemble. Le génie vient naturellement ».

Pendant quelques semaines Marcus s'installe donc chez Harry dans sa propriété de bord de mer, Goose Cove, toute proche de la petite ville d'Aurora. Sans résultat. Il découvre seulement, par indiscrétion, que son maître Harry était tombé amoureux de Nola, la jeune fille de 15 ans, disparue trente-trois ans plus tôt. La queue entre les jambes, Marcus retourne donc bredouille à New York. Où il reçoit quelque temps plus tard un coup de fil d'un Harry affolé.

Le 12 juin 2008, des jardiniers, venus planter des hortensias dans son jardin, découvrent le corps de Nola enterré avec, dans un sac, le manuscrit de son best-seller, Les origines du mal, qui lui a valu sa notoriété et sa respectabilité. Harry, le brillant professeur de l'université de Burrows, est, comme il se doit, accusé de meurtre:

« En moins de deux semaines, Harry avait tout perdu. Il était désormais un auteur interdit, un professeur répudié, un être haï par toute une nation ».

Sa réputation est ternie. Son magnifique livre, Les origines du mal, inspiré en fait par cet amour pour Nola, est retiré des programmes scolaires et des rayons de librairie d'une Amérique horrifiée par tant de turpitude. S'en relèvera-t-il? Lui qui disait naguère à son disciple:

« L'important n'est pas la chute, parce que la chute, elle, est inévitable, l'important est de savoir se relever ».

Marcus ne fait ni une ni deux. Il se rend à Aurora et s'installe à nouveau à Goose Cove, seul. Cette fois pour défendre son ami Harry, dont il est convaincu de l'innocence. Commence une longue enquête aux multiples rebondissements qui tiennent le lecteur en haleine jusqu'au bout, jusqu'au dernier chapitre qui est le plus beau, suivant le premier conseil donné par Harry à Marcus.

L'avantage de lire ce livre d'une traite est de voir naître au fil du récit les lacunes que l'avancement de l'enquête fait apparaître et de vérifier que Joël Dicker, au fur et à mesure, les comble et répond aux questions restées en suspens. Mais l'intérêt de ce livre ne réside pas dans la seule intrigue policière, particulièrement bien construite et cohérente.

L'intérêt réside également dans les 31 conseils pour devenir un écrivain que prodigue Harry à Marcus et qui figurent en tête des chapitres, numérotés de 31 à 1, comme une manière de compte à rebours précédant le dévoilement de la vérité. Ils sont fort judicieux et l'auteur les suit à la lettre, tout en dévoilant au passage les ressorts du monde de l'édition aux Etats-Unis.

L'intérêt réside encore dans les fausses pistes dans lesquelles s'engagent Marcus et son lecteur parce que l'interprétation des faits est toujours sujette à caution: « il ne faut pas se fier à l'apparence des faits ». Il convient de les creuser profondément avant de faire des déclarations péremptoires.

Ce livre rappelle enfin que, dans la vie, il n'est pas rare que la réussite dissimule de réelles impostures, puisqu'il suffit, pour qui est intelligent, « de biaiser les rapports aux autres ». Toutefois cela n'est pas sans risque pour ceux qui s'y adonnent, puisqu'ils vivent dans la crainte d'être découverts un jour et que, sans cesse, ils doivent se défiler.

Le livre se termine pourtant par une dernière imposture, qui, celle-là, est réjouissante... et par un dernier conseil de Harry:

« Un bon livre, Marcus, est un livre que l'on regrette d'avoir terminé ».

Le « on » peut s'appliquer en l'occurrence aussi bien au lecteur qu'à l'auteur. Qui donne l'impression d'avoir pris beaucoup de bonheur à écrire ce livre épatant.

 

Première diffusion le 18 septembre 2012.

 

Voir aussi: Un jeu de miroir

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